Olivier Messiaen, Intégrale de l’œuvre d’orgue, Forlane – 7 – Méditations (1)
Dix-huit ans après le Livre d’orgue, Olivier Messiaen écrit à nouveau pour l’orgue à l’occasion de la réinauguration de l’orgue de la Trinité. À l’instar de la Messe de la Pentecôte, Méditations sur le mystère de la sainte Trinité (1969) s’inspire d’improvisations tout en articulant ses quatre-vingt minutes sur une triple trinité :
- trois méditations sur la Trinité (le Père, le fils et le Saint-Esprit) ;
- trois méditations sur les caractéristiques divines ; et
- trois méditations sur la définition de Dieu.
Parmi les élèves du CRR de Saint-Maur et de la Schola cantorum, c’est Oleg Dronikov – formé à l’harmonie au CNSM de Paris par Yves Henry et à l’orgue au CRR par Éric Lebrun – qui a été choisi pour donner la première méditation, intitulée « Le Père des étoiles ». La notice d’autres intégrales souligne la profondeur du propos en insistant sur
- le sens des leitmotivs (le premier à apparaître « symboliserait Dieu », c’est pas rien) et
- l’organisation sérielle appuyée sur des combinaisons de durée et de hauteur de notes inspirées par un alphabet musical que le compositeur a appelé « langage communicable ».
Quant à nous, nous parlerons surtout de ce qui est perceptible à l’écoute, tel cet unisson liminaire, avec mixtures, fonds et anches de 16′, 8′ et 4′. Un dialogue s’ensuit, d’où se détache le propos déchiqueté proféré par la main droite. L’arrivée de la pédale, bombarde en étendard, secoue un peu plus la cathédrale de Toul sous les scansions puissantes des claviers. Les silences (écrits) soulignent la spécificité de l’orgue, dont le propos s’inscrit à la fois dans
- la réalité de la note,
- la spécificité d’un instrument et
- la matérialité d’un espace.
Nul doute que l’espace de Saint-Étienne soit magnifié par la captation. Celle-ci parvient à déjouer – avec brio mais sans l’ostentation que plaquerait une réverbération artificielle ou une proximité clinquante, par exemple – le danger d’une voûte prompte à monopoliser le son. Après le tutti, nouveau changement de cap pour le retour du thème du Père au positif, traité en duo, la main gauche commentant. Doublette et cornet, bien accompagnés, batifolent autour de la séquence matricielle, permettant à l’auditeur, en dépit de la longueur un brin abusive, de goûter des sonorités proches et lointaines, ainsi que des rythmes associant la régularité des doubles à gauche et l’irrégularité répétée de la main droite. Un quasi tutti conduit au plenum final avec la solennité qui sied sans doute à ce dieu dans lequel Olivier Messiaen voit un « principe qui n’a pas de principe » au sens où il est pleinement « inengendré », et pourquoi pas ?
La deuxième méditation, « Dieu est saint », échoit à Marion André. Autant pianiste (elle a enregistré CPE Bach au piano pour Qantum, le label de Pascal Vigneron) qu’organiste, également violoniste et désormais en voie de cheffisation grâce à ses études à l’ENM Cortot, l’interprète est passée par Londres et Bruxelles avant, donc, d’affronter sous les micros la triple louange au Christ, seul saint, seul seigneur, seul très-haut. Le tempo choisit peut sembler lent : Olivier Latry bouclait en moins de 10′ ce qu’il faut plus de 12′ à Marion André pour conclure. Toutefois, le compositeur en personne a enregistré l’affaire en 12′, ce qui valide la battue de la musicienne.
Un plain-chant alléluiatique, de nouveau traité à l’unisson octavié, se décline sur deux plans sonores avec des effets d’écho (2’50). Le gloria en commentaire déploie une harmonie en valeurs longues que des chants d’oiseaux viennent aérer et éclairer. Ainsi du troglodyte (1’30), pour lequel le compositeur exige une registration singulière (doublette, tierce, piccolo et fourniture). Le merle noir (3’10 et 8’07), lui, chante sa monodie sur des flûtes de 8′ et de 4′. La fauvette des jardins et ses notes répétées, comme la fauvette à tête noire, légèrement harmonisée, se glissent avant que le retour des mixtures ne signale la reprise du début de la partition.
- Sollicitant avec pertinence l’ensemble de l’instrument,
- laissant à la fois le son s’épanouir et le silence faire son œuvre,
- travaillant la spécificité des tenues avec ce qu’il faut de boîte expressive pour coulisser un decrescendo élégant,
Marion André s’emploie à rendre la spécificité de ces différents visages musicaux de la sainteté. Les tempi, lents plus que « presque lents », permettent de contraster habilement la solennité des plenums et la vivacité des oiseaux. La variété
- des sons,
- des couleurs et
- des caractères
nourrit l’intérêt de l’auditeur, d’autant que la structure répétitive est pimpée par des inserts évitant l’enlisement. Ainsi de la coda paisible égrenant les « litanies du saint nom de Jésus », 11′, avec les ondulants qui vont bien et ces registrations très messiaeniques que sont le quintaton de 16′ + nazard et le bourdon de 16 + quinte. C’est un plaisir de profiter à nouveau
- de la profondeur,
- de la variété et
- de l’harmonisation intéressante
des registres de l’instrument.
La notice de l’intégrale Tanke, souvent savoureuse, nous prévient : la troisième méditation est « peut-être la plus mystique et la plus compliquée à comprendre du recueil ». Prometteur ! Sacha Dhénin, agrégé de mathématiques passé par le conservatoire de Saint-Maur, s’empare de « La relation en Dieu est réellement identique à l’essence » (même par temps de pénurie de matière première, il ne faut pas mettre l’accent sur « l’éssence », Mme la pochette !). La partition indique trois plans sonores :
- bombarde et fonds au récit,
- fonds aux positif et grand orgue,
- fonds et soubasse de 32′ à la pédale.
Les évolutions des trois plans séparés, où le compositeur fait figurer des significations mystiques oscillant entre Dieu, sa figuration verbale et sa grammaire (çà le datif « à », là le génitif « de »), dessinent un monde escarpé, entre
- grondements graves,
- aigus découpés et
- harmonisations têtues.
La plus courte pièce du cycle ne dévie pas de son projet, peignant de façon unie manière de dogme trinitaire et ouvrant la voie à la quatrième méditation, résolument tautologique : « Dieu est » est son titre. Formé par Éric Lebrun et préférant, selon Ouest France, une carrière d’historien à celle de musicien, Paul Isnard l’interprète. Au programme, ce n’est pas forcément bon signe, moult chants d’oiseau comme ce récurrent « cri du pic noir » triple forte pour commencer « en fusée », puis ce merle à plastron, cette chouette de Tengmeim qui aura le dernier mot, etc.
- Mutations d’atmosphère,
- trilles et
- récurrences
couturent une partition essentiellement manualiter qui assume sa spécificité trouée voire déchiquetée. Plus imposante, la cinquième métition, longuement intitulée « Dieu est immense, Dieu est éternel, Dieu est immuable » est confié à Alice Nardo. Presque deux fois plus longue que la précédente, cette méditation centrale articule différents thèmes représentant les multiples qualités de Dieu. Les anches sont largement mises à contribution, sur des tempi allant de « très lent » (Dieu est immense, Dieu est immuable) à « très modéré » (Dieu est éternel), avec quelques incursions dans de brèves furies… et parfois des traces de montage pour une fois maladroit, comme à 2’08 où la résonance est coupée net avant l’arrivée du si bémol au basson de 16′ (faut bien laisser croire que l’on écoute vraiment les disques, sinon, c’est pas drôle). La variation
- des registrations,
- des articulations,
- des tempi,
- des forces sollicitées,
mais aussi
- la récurrence des leitmotivs,
- la richesse de l’orgue de Toul habilement sollicité
- la virtuosité exigée et
- le sens des respirations que manifeste l’interprète
contribuent à soutenir l’intérêt de l’écoute. L’admirable coda, jouée avec l’apaisement et le recueillement qui conviennent mais sans le gnangnantisme dévot qui plomberait tout, parachève le plaisir de l’auditeur jusqu’au dernier cri du bruant jaune. À suivre dans les quatre dernières méditations !
Épisodes précédents
1 – Pièces diverses
2 – L’Ascension
3 – La Nativité
4 – Les Corps glorieux
5 – Messe de la Pentecôte
6 – Le Livre d’orgue