Nicolas Horvath joue Philip Glass, Jam Caspule, 17 janvier 2023
Ce mardi 17 janvier 2023, il y avait au programme du Nicolas Horvath pur jus… et pourtant pas exactement.
Pas exactement : il n’était pas seul à l’affiche. Et pourtant, du pur jus quand même.
- Bien qu’il soit capable de jouer le jeu de your average récital,
- bien qu’il ait été formé et presque formaté comme un sage pianiste classique,
- bien qu’il soit passé – et avec brio, le bougre – sous les fourches caudines des concours internationaux,
- bien que la vie de ce presque tout neuf père de famille soit en apparence lisse et douce comme la plume d’orgelet chantée par Gilles Vigneault,
Nicolas Horvath est attiré par le hors norme. Les récitals de 24 h sans bouger une fesse de son siège ? Ça lui fait pas peur. Les concerts en plein air à improviser toute la nuit une set-list minimaliste ? C’est son kif, même s’il a tantôt dû renoncer à une nouvelle édition de cette proposition pour cause de maladie contagieuse. Ni la durée ni les conditions ne l’effraient. Ancien artiste de la scène underground dark (il a récemment fait son coming-out), l’homme a cousu sur son costume de concertiste bon chic bon genre, agrafé sous un brushing de premier de la classe qui saurait sourire et penser, avec une doublure d’expérimentateur instinctif.
Rien d’étonnant, donc, à ce que son dernier récital parisien en date se soit tenu dans des conditions horvathiennes.
- Un, la durée : la soirée commence à 18 h et se termine à 22 h 30.
- Deux, la salle : l’espace est celui d’un hall d’exposition de la Porte de Versailles, investi par l’équipe de la Jam Capsule spécialisée dans le cinéma projeté à 360° (pas Celsius, heureusement). TCE, tu repasseras.
- Trois, le dispositif : au centre du chapiteau, une estrade moquettée sur laquelle est dressé un Shigeru Kawai pas forcément en état d’ultrabriller, et où peuvent s’asseoir ou s’étendre quelques spectateurs tandis que d’autres se tiennent debout, déambulent ou posent leur séant où l’envie leur chante.
De l’autre côté du rideau, les visiteurs peuvent suçoter les bulles d’un excellent champagne Duval ou d’une San Pellegrino en bouteille de verre. Se croisent sans se mélanger, entre autres,
- des lambdas, dont votre serviteur,
- des ingénieurs,
- des stars du petit écran de droite auxquels des défenseurs de la cause iranienne viennent déballer longuement leur engagement – viennent déballer leur engagement, donc,
- des gens assez bien habillés pour être remarqués, entre le look dix-neuviémiste et le retour du pattes d’éph’ qui me scotche à chaque fois – c’est ça, le pattes d’éph’ m’étale, voilà, pas pu m’en empêcher.
Des parents ultraconscious ont muni leur progéniture de casques antibruit siglés « Kid » comme s’ils venaient assister à une symphonie concertante pour marteau-piqueur et démarreur de bulldozer enroué. Une dame porte un masque sur la bouche afin, suppute-t-on, de mieux souligner le profil de ses naseaux. Il y a dans tout cela un petit goût de décadence grandiose qui, fines bulles aidant, n’est pas peu appétissant. D’autant que la session s’organise de la sorte : 1 h de diffusion du film Ex anima, projection « immersive » d’un spectacle japonisant de Bartabas croqué par James Sénade, et 30′ de Philip Glass par son plus fervent défenseur français, le sieur Nicolas Horvath en personne.
Structure répétitive pour une musique minimaliste : la cohérence est presque assurée. Sauf que la soirée, co-organisée par
- Philippe Ligot, le concepteur,
- Delphine Schaack, la directrice générale de l’entreprise, et
- Renaud Donnedieu de Vabres, ancien ministre de la Culture et multi-repris de justice ayant trempé dans le blanchiment léotardien et le recel meurtrier de biens sociaux balladuriens (le fait d’avoir été, bien que gueux, invité et reçu comme un prince, même si, nous, c’est facile de nous corrompre, n’empêche pas, malgré que nous en ayons, de témoigner de notre gêne avec le concept de rédemption),
se pimente d’un défi technique. Il s’agit d’imaginer comment faire interagir musique et vidéo pour optimiser cette fameuse « expérience immersive » dont les communicants font des gorges chaudes. En effet, on connaît le cinéconcert, où un musicien improvise sur un film projeté en direct ; mais l’inverse, le film interagissant avec le musicien, c’est pas encore gagné.
Trois interactions entre piano et vidéo ont été prévues dans la soirée, autour de visuels différents.
- Lors du premier set, l’ambiance est sombre, trouée de rares colonnes de lumière.
- Le deuxième offre de plus vives torsions lumineuses.
- Le troisième, intitulé « Mad rush », fait onduler une grande vague autour de l’étude deuxième et de la sixième, choisie pour conclure les demi-heures pianistiques.
Sur le fond, l’affaire est compliquée. Les ingénieurs vidéo s’arrachent les tifs pour être dans le mood – à la seconde près, c’est impossible, d’autant qu’il faut coordonner une vingtaine de projecteurs. Pour le moment, le résultat est excitant et limité. Limité, parce que, disons-le, les pistes actuelles réduisent l’interaction visuelle aux évolutions mesurées d’une sorte de méga écran de veille Windows associée à des boules à facette – soit, on schématise. C’est, un temps, impressionnant puis… limité, voilà. Et, ce nonobstant, c’est encore plus excitant pour deux raisons.
- D’une part parce que, avec un matériau visuel plus riche et des effets de synchronisation plus ébouriffants, le spectateur sera évidemment plus happé qu’avec des ondulations hypnotisantes mais contraintes par le présent contexte de test.
- D’autre part parce que, dès lors que la technique sera plus évoluée (« il faut trouver des financements pour neuf mois de recherche et développement », nous souffle-t-on), nul doute qu’elle saura s’autonomiser.
Alors, la vidéo étant capable d’illustrer la musique, elle sera paradoxalement capable de ne pas l’illustrer mais de la prolonger, de s’y frotter, d’ouvrir l’attention du spectateur tantôt en valorisant l’ouïe, tantôt en valorisant la vue, partant en mélangeant vraiment les deux sens par
- contradiction,
- anticipation,
- dépassement,
- décalage et, pourquoi s’en priver ?
- unissons momentanés.
On quitte l’expérience horvathienne avec le smile et la hâte d’en connaître les développements. Assister à un concert non comme un tout mais comme un réservoir à fantasmes gorgé de possible, quelle chance ! La musique minimaliste donnera-t-elle naissance à des récitals maximalistes, non plus seulement par la durée mais par le défi de perception offert à l’auditeur ? L’aventure du récital augmenté ne fait que continuer.