Nicolas Horvath joue les premiers “nocturnes secrets” de Frédéric Chopin (1001 notes) – 2/4

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Nicolas Horvath à la Philharmonie de Paris (Paris 19), le 17 mai 2019. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Récapitulons : après de nombreuses explorations dont l’intrigant “Debussy inconnu”, le nouveau projet de Nicolas Horvath, défriché ici, vise à faire découvrir des versions alternatives des nocturnes de Chopin déjà connus, et plus si affinités. La démarche consiste à interpréter d’abord un nocturne canonique (les œuvres sont proposées par ordre chronologique, même si celui-ci est parfois sujet à controverse d’experts) puis à en proposer une version alternative, voire plusieurs versions alternatives… quand il y en a ! Aussi le premier volume, bien qu’il pèse 78′ au compteur, ne contient-il que sept nocturnes…
… à commencer par l’opus 72 n°1 en mi mineur, associant dans un premier temps le balancement ternaire d’une mesure à 12/8 côté gauche avec un thème à quatre temps côté droit.

 

 

L’interprète restreint volontairement la palette de nuances pour les faire mieux éprouver qu’entendre. À cette fin, en sus d’user avec précision de la pédale de sustain, Nicolas Horvath travaille en finesse sur

  • le rythme (régularité a tempo versus tensions ou ritendi),
  • les notes dynamisantes (appogiatures parfois doubles, double croche ou croche suivant une note pointée, trilles, grupetti),
  • les respirations éclairantes et
  • la friction stimulante entre binaire et ternaire.

La résolution en majeur (“comme pour huit nocturnes en mineur sur dix”, précise le livret dont nous avons critiqué la tenue de l’incipit en omettant d’insister sur sa richesse) crée le lien avec la piste suivante, le Lento con gran espresione, version antérieure du nocturne opus posthume n°20, puisque le sol dièse qui attire à lui toute la lumière résonne dans la tonalité de do dièse mineur qui habite cette version préalable du même thème.

 

 

Dès le prélude, Nicolas Horvath laisse entrevoir les choix d’une interprétation qui, cette fois, ouvre l’éventail

  • des nuances,
  • des touchers et
  • des contrastes rythmiques dans la régularité (les surgissements du ternaire et les changements de mesure marquant l’arrivée de l’énigmatique partie centrale s’intégrant dans un battement inamovible).

Les mélomanes par le titre alléchés piafferont jusqu’à la cinquième piste car il n’y a rien de secret jusque-là. De notre point de vue, c’est assez sain voire logique : on n’entre pas à brûle-pourpoint dans la confidence. Il faut le temps de régler ses vibrations à une atmosphère propice à l’intimité.

 

 

Comme pour construire ce préalable, le musicien glisse alors la version officielle du nocturne posthume dit WN37 – dans le monde des experts musicologues, les nomenclatures musicales ont souvent un côté bataille navale cryptée… Probablement oucieux de soulager les auditeurs n’aimant pas le jeu des sept différences, le livret attire l’attention sur les quelques éléments distinguant les deux versions

  • (telle note octaviée,
  • tel ornement allégé,
  • tel trait modifié)

à vrai dire ni flagrantes ni déflagrantes à nos esgourdes, mais l’envie de les découvrir pousse à une écoute plus attentive qui flatte les qualités d’un pianiste toujours prêt à froisser les images lisses et sépia qui confisent parfois Frédéric Chopin dans ses légendes et réduisent

  • sa musique,
  • son talent et
  • son inventivité

à des éléments biographiques dont les notes ne seraient que la transcription littérale – ha !

  • le malheureux prompt à geindre,
  • le déraciné accroché à ses souvenirs de Pologne,
  • le délaissé marinant dans une nostalgie savamment désespérée, etc.

Aussi Nicolas Horvath n’hésite-t-il pas à

  • pimper l’élégance d’un trait par un sforzendo prolongé par un piano puissant,
  • galber le dessin d’une phrase en accentuant çà et là le déséquilibre entraînant d’un rythme pointé,
  • prendre le temps de vraiment prolonger le point d’orgue comme pour profiter à plein de l’expérience rythmique proposée par le compositeur, à la fois rigoureuse, régulière et cahotante (changement de mesures, différenciation de tempo, utilisation de grupetti spectaculaires…).

De quoi mettre en appétit avant le gros morceau du disque : les trois nocturnes opus 9 et leurs variantes (neuf pour le deuxième), de quoi combler les amateurs de secrets musicaux. Ce sont ces cachotteries que nous dévoilerons lors d’une prochaine notule.

 

À suivre…


Pour acheter le disque digital ou physique (et même l’écouter !), c’est par exemple ici.