Nicolas Horvath joue Hélène de Montgeroult (Grand Piano, 1/3)

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Avec son nouveau double disque, Nicolas Horvath – souvent évoqué sur ce site – rappelle qu’il est possible de défricher des parcelles de la terra incognita qu’est le répertoire musical dès lors que l’on s’éloigne des autoroutes surfréquentées, sans recourir aux astuces marketing un brin puputes dont les labels sont friands. En 157 minutes, l’ex-Monégasque ne labellise pas Hélène Antoinette Marie de Nervo de Montgeroult (1764-1836) sous le sceau réducteur d’un féminisme bêlant, pas plus qu’il n’avait souillé Brillon de Jouy sous ce propos toc. Une fois de plus, il s’empare de partitions, disons, confidentielles, pour proposer une intégrale qui a de quoi inquiéter le chaland. Si, si, inquiéter est le terme juste, le terme vrai ; car, m’enfin, 2 h 30 de musique du tout début du dix-neuvième siècle, sera-ce pas abuser de notre patience à l’endroit des bariolages niaiseux et bavards dont Mozart a si souvent gonflé ses sonates – obligeant des musiciens de la trempe d’un Jean Muller, en disque et au concert, ou d’un Christian Chamorel, lui aussi au disque et aux concerts goethistique et pauvre, à accomplir des prodiges pianistiques pour rendre ces œuvres effectivement pimpantes ?
Cette méfiance, on ne peut jauger sa pertinence sans la passer au crible de l’écoute attentive, comme l’on passe l’or au creuset (au moins). En gros, la problématique de cette notule en trois temps pourrait être : est-ce kiffant aujourd’hui d’ouïr le travail d’une dame de la haute dont le talent pédagogique lui valut de garder la tête sur les épaules ? À vrai dire, de cette compositrice, l’on ne connaissait jusqu’ici qu’une étude sur les cent quatorze qu’elle a écrites – Nicolas Horvath nous avait fait cadeau de cette découverte à l’occasion d’un cyberconcert du festival Komm, Bach!. Il était donc temps de combattre notre ignorance en montant à l’assaut des trois recueils de sonates de la même créatrice.

 

 

Montgeroult, ainsi que la nomine, et hop, la première du livret, ouvre son catalogue par un recueil de trois sonates pour le forte-piano, publié en 1795, toutes trois sous forme italienne, donc en deux mouvements. La sonate en Fa (10’) commence par un Allegro con spirito dont Nicolas Horvath sculpte un prélude presque libre avant de plonger dans un flot de notes en quête de mélodie. Les ornements, trilles en tierces et appogiatures boostent le propos et valorisent l’oscillation entre

  • détaché et legato,
  • tonicité martiale et segments plus phrasés,
  • formules récurrentes et ruptures d’atmosphère.

Tête et doigts bien faits, l’interprète dédaigne le mignon pour mieux concentrer l’énergie du mouvement. Le premier chapitre semble préparer l’arrivée du Prestissimo ternaire, joué sans concession mais non sans nuance. Le musicien maîtrise

  • respirations,
  • attaques différenciées et
  • utilisation savante de la pédale de sustain.

L’allant du tempo, les modulations et l’absence de chichis quand les marteaux doivent marteler, transforment les répétitions en refrains dont la réitération soutient l’écoute. Grâce à une prise de son très proche signée Paul Metzger, l’auditeur est projeté dans un monde musical qui, à défaut de séduire par son élégance, son originalité saillante ou son sens de l’earworm, s’écoute de bout en bout en suscitant l’intérêt.

 

 

La sonate en Mi bémol (15’) propose un Allegro con moto qui se révèle très vite bondissant à sauts et à gambades, les passages pastoraux se frottant à d’autres plus enlevés (et réciproquement), par breaks ou par tuilage. La maîtrise technique de Nicolas Horvath s’exprime moins dans l’exécution – qui demande pourtant des doigts et de la précision – que dans sa capacité à travailler les changements de lumière, qu’ils soient brutaux ou progressifs. L’attention portée à l’intention (ha, ha) musicale évite une lecture des notes que l’on entend parfois sur des intégrales de compositeurs peu connus. Ici, rien n’est ripoliné mais tout est rutilant, dans l’éblouissement ou l’obscure clarté. La musique semble briquée par la conviction que ces sonates sont valables en soi et non par leur seul statut de découverte. Hormis la sonate en fa mineur, tout le premier disque n’est-il pas constitué de premiers enregistrements ?
L’Allegro vivace ne met pas à mal la foi du pianiste dans son héroïne. Souvent en duo, parfois dans l’unisson motorique qu’affectionne Hélène de Montegroult, le mouvement n’omet jamais de varier les atmosphères autour de cellules rarement très développées, ce qui contribue à nourrir la curiosité du mélomane.

  • Les récurrences structurant la pièce,
  • les appogiatures qui fusent,
  • le collage de passages simples et d’autres segments plus riches

construisent une musique dont la qualité est assurément valorisée par l’interprète.

 

 

La sonate en fa mineur qui conclut le recueil est deux fois plus longue que celle qui lançait le bal. Un Maestoso con espressione dégaine d’emblée une vaste phrase longtemps à l’unisson et en écho. Un jeu de questions-réponses s’ensuit, puis le piano s’emporte, revient à l’unisson en écho. La reprise est animée par un même souffle à la fois rigoureux et libre. Nulle préciosité dans les moments doux ; en revanche, de la netteté permettant de distinguer les différents plans sonores. Nul systématisme non plus dans les segments fougueux ; en revanche, de l’engagement et  de l’exactitude dans les sections fondées sur un léger décalage. Le propos est ainsi enrichi par de nombreuses astuces qui défient le cadre rythmique telles que

  • les appogiatures qui anticipent la note à venir,
  • les ornements qui la prolongent,
  • les échos à la double qui dilatent le temps,
  • les accélérations-détentes qui accompagnent l’agogique, ou
  • les respirations qui
    • éclairent le discours,
    • l’aèrent et
    • le rendent plus saisissant.

C’est un Nicolas Horvath survolté qui attaque l’Allegro agitato dont il rend plus volontiers le côté agité qu’allègre. Le texte lui donne raison. Même les passages qui pourraient sembler apaisés sont emballés, trilles incluses, dans une fièvre indispensable pour donner de la puissance à ce gros mouvement de plus de 10’ avec reprises. L’interprète ne joue pas une sonate de la fin du dix-huitième siècle mais, hypermieux, une sonate tout court, dans laquelle il insuffle de l’urgence, ose la percussivité frontale, et parvient à garder le cap du bouillonnement y compris dans les rares oasis plus calmes.

  • Puissance de la ligne de basse,
  • clarté de la ligne supérieure,
  • agilité digitale et
  • radicalité de l’approche (dont le son YouTube ne rend qu’imparfaitement raison, précisons-le : il faut ouïr le disque !)

portent l’écoute et saisissent l’auditeur sans merci… construisant de la sorte un excellent cliffhanger pour pousser à écouter le deuxième recueil de sonates de la compositrice !

 


À suivre.
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