Nicolas Horvath + Alcest, salle Gaveau, 2 avril 2025 (2/2)

Stéphane Paut, alias Neige, du groupe Alcest, le 2 avril 2025 à la salle Gaveau (Paris 8). Photo : Bertrand Ferrier.
À 21 h pétaradantes, ils sont désormais trois men et une woman in black sur la scène de la salle Gaveau.
- À jardin, le binôme formé par Nicolas Horvath et son piano ;
- à cour, derrière leur micro sur pied,
- Élise Aranguren,
- Pierre Corson (aka Zero) et
- Stéphane Paul (aka Neige).
C’est une version inédite du groupe Alcest, un poids lourd du metal français qui, avec son presque nouveau label Nuclear Records, enchaîne les tournées :
- Amérique du Nord en mars,
- festivals européens et Asie en juin,
- France à la rentrée,
- Amérique du Sud fraîchement reportée à l’an prochain…
Ce groupe, plus spécialisé dans la propulsion de décibels que dans le ciselage d’un pianissimo, développe un nouveau projet : reprendre son répertoire avec des arrangements pour piano minimaliste signés par Nicolas Horvath en personne.
- Étrange,
- audacieuse et
- intrigante,
cette idée revitalise le concept de concert acoustique, en général réservé aux vieux groupes tâchant de ressembler de vieux fans. Rien de cela, ici : la moyenne d’âge du public doit naviguer autour de la vingtaine, et le groupe mène sa barque triomphalement en attendant son nouveau passage par Clisson et le Hellfest, programmé dans quelques mois. Quand les trois vocalistes accompagnent le pianiste pour son retour sur scène, c’est la folie dans la salle comble. Les cellulaires chauffent.
L’ambiance recueillie qui avait suivi la partie horvathienne – dans un premier temps, il semble que les musiciens avaient envisagé d’alterner en faisant deux chansons, un morceau de classique, deux chansons, etc., ce qui aurait sans doute été plus inintéressant – bascule avec « Autre temps », un titre de 2012 dans la veine nostalgico-mélancolique qui a fait l’étonnant succès du groupe de Stéphane Paul (« Une prière lointaine que porte le vent du soir / anime les feuilles dans leur danse alanguie / (…) Demain, toi et moi serons partis »). Enfin, en théorie : d’où nous sommes, nous ne captons pas un traître mot. La voix fatiguée du leader n’est pas assez soutenue par la sono locale pour nous permettre d’apprécier le texte.
Si l’original frise longtemps le folk épicé de grunge, la version du soir cherche avec subtilité le point de bascule entre
- évocation intime et brio de l’accompagnement,
- instrumental recueilli et octaves énonçant le thème,
- retenue atmosphérique et pulsion pianistique quasi lisztienne.
« Souvenirs d’un autre monde » ramène Alcest en 2007, au moment où le son du groupe se précise. Le chanteur, impavide, interpelle l’auditeur en chantant : « Laisse couler tes larmes une dernière fois / Pour être à jamais libéré / Et rejoins le monde d’où tu viens. » Dans le dialogue avec le pianiste-transcripteur, à peine troublé par l’échange rapide entre la voix d’Instagram et les voisins de la spectatrice maladroite (il est vrai que, à Clisson, mettre ton bigophone sur silencieux pendant le set sera d’une très faible utilité), on apprécie la volonté de travailler les contrastes
- d’intensités,
- de caractères et
- de couleurs.
La musique prend son temps, nourrissant un plaisir spécifique
- à la suspension,
- à l’attente, et
- à l’imaginaire des possibles ainsi ouvert.
Au fil des minutes appert une volonté de tisser
- minimalisme,
- metal et
- construction d’ambiances
en créant une matière sonore spécifique. L’écriture vocale se refuse à tout effet de minichorale proprette qui répète du Michel Fugain dans l’église du village en vue du grand moment, le concert du 21 juin, en présence de monsieur le maire (sous réserves). Au contraire,
- unissons,
- tacet et
- harmonisation
sont astucieusement convoqués tour à tour, évitant ainsi le risque d’être répétitif ou lénifiant. Bien que les trois chanteurs paraissent plus que concentrés : pénétrés par leur tâche, au point de ne pas décoincer un sourire, Neige adresse un salut à un pote dont il a dû croiser le regard à la première corbeille. On est presque rassuré !
« Sur l’océan couleur de fer » (2010) évoque les « longs cris » d’un « chœur immense (…) dont la démence semble percer l’enfer ». Installée sur un mode mineur ad hoc, la musique d’Alcest prend le temps de se déployer (l’original pèse plus de huit minutes…). Le piano de Nicolas Horvath étoffe sa volonté de se dérober à l’évidence d’une ritournelle catchy pour s’insérer plus profondément dans l’esgourde du spectateur.
- Grilles cycliques plutôt que circonvolutions mélodiques,
- vocalité évocatrice plutôt qu’expressivité vocale,
- glissements progressifs plutôt que breaks tranchants
alimentent l’esthétique automnale d’Alcest, la simplicité d’écriture déjouant le risque de saturation par la noirceur. Pour les instrumentaux, Nicolas Horvath va chercher un arrangement fondé sur
- des basses profondes,
- un large spectre de registres et
- le temps long.
Côté voix,
- les unissons,
- les tenues et
- la polymorphie du dispositif
valident le choix de Stéphane Paut de ne pas être l’unique chanteur du concert.
- Le texte s’efface derrière le son,
- les paroles deviennent manière de charabia improvisé à tour de rôle,
- la grammaire se dissout dans la musique,
laissant s’échapper l’imagination de chacun, selon son « spiritual instinct ». Associée à l’inclination d’Alcest pour
- le développement,
- la nuance et
- l’exploration,
cette liberté fait mouche et transporte Gaveau jusqu’à l’absence de rappels. Peu rancuniers, les fans – dont certaines ont pleuré tout le long du récital – achètent les disques Chopin de Nicolas Horvath et, par dizaines, des affiches dédicacées. Même après un moment hors-sol, la machine à cash de la vie retombe toujours sur ses coussinets !