« Modernités suisses », Musée d’Orsay, 16 juillet 2021 : épisode 3, la couleur

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Giovanni Giacometti, « Vue sur Capolago et le lac de Sils », 1907. Photo : Rozenn Douerin.

 

Depuis les origines de la peinture moderne suisse, telle que la présente l’exposition du musée d’Orsay, la question de la représentation du réel – paysager ou humain – est travaillée par celle de la lumière donc de la couleur (on verra bientôt arriver celle, contiguë, de la forme).
La lumière est première. Qu’elle soit artificielle ou cosmique, objective ou artistique, elle pétrit notre perception oculaire de la réalité. Néanmoins, elle n’est pas dissociable de la couleur qui, en quelque sorte, est chargée d’incarner la lumière sur le tableau. Ce processus de traduction d’une lumière en couleur exige de l’artiste un jeu sur

  • les contrastes
    • (entre obscurité et éblouissement, mais aussi
    • entre les couleurs elles-mêmes),
  • les déclinaisons,
  • les combinaisons,
  • l’organisation spatiale et
  • les effets de réel.

La puissance d’évocation l’emporte dans les peintures modernes ici assemblées, avec cette pointe de provocation que contiennent toujours les choix de transpositionid est de réinvestissement – chromatique. Chez Giovanni Giacometti, la couleur ressentie par celui qui regarde compte plus que la couleur en tant que telle. Peu chaut au peintre que le soleil soit vert si l’ensemble du tableau donne aux rais leur vert soleil. La déréalisation de la couleur fragilise notre conception monolithique du réel pour l’ouvrir aux dimensions de l’art.

 

Cuno Amiet, « Garçon mendiant avec du pain », 1894. Photo : Rozenn Douerin.

 

À la suite de Paul Gauguin, Cuno Amiet profite de son séjour à Pont-Aven pour réorienter sa production en s’inspirant de la Bretagne, alors encore bretonne. Alors que l’helvétisme se cherche encore une iconographie, l’importance, dans cette région française,

  • de la ruralité,
  • de la tradition affichée par les costumes et
  • de la nature

marquent profondément le peintre qui sillonne des formes de post ou de péri-impressionnisme. Dès lors,

  • les couleurs deviennent mouvement ;
  • le trait se fait simple indication ;
  • les plans se concatènent plus qu’ils ne se tuilent.

Une irisation du réel imprègne l’espace sans pour autant le submerger. Les choix chromatiques redéfinissent le paysage, évoquant la phrase du guide présentant à Geoff Dyer des objets de Paul Gauguin :

« Nous n’avons aucune certitude qu’ils lui appartenaient, mais c’est fort possible. » (Ici pour aller ailleurs [2016], trad. Pierre Demarty, 2020, p. 57)

En ce sens, telles que nous les voyons sur le tableau, il n’est pas certain que les couleurs appartenaient au paysage ou au mendiant ; mais l’évidence de la peinture nous laisse penser que, in fine, c’est tout à fait envisageable.

 

Cuno Amiet, « Bretonne », 1892. Photo : Rozenn Douerin.

 

Les peintres suisses s’engagent donc avec ferveur dans la pratique d’une couleur libérée, délivrée. Celle-ci ne sert plus à remplir la toile : elle la construit, elle l’oriente, elle la définit.

  • Le choix de la palette,
  • la sculpture de la luminosité et
  • l’énergie donnée aux traits de pinceaux

structurent le motif en profondeur autant qu’ils le subliment. Ainsi, la Bretonne de 1894 a moins un visage qu’elle n’est pourvue d’une explosion chromatique où la lumière semble danser à grandes zébrures sur sa peau. C’est ce même type de flux coloré que l’on trouve chez Giovanni Giacometti, notamment après 1908, quand la découverte à Paris du travail de Van Gogh l’incite à repenser sa manière de peindre. S’enracinent alors

  • le goût pour les modèles non sophistiqués,
  • les motifs de la ruralité et
  • la capacité à mettre en évidence les jeux complexes de l’ombre et de la lumière.

La déclinaison, le sens des traits et le large spectre des couleurs contribuent à la spécificité du tableau et de l’évocation.

  • L’énergie chromatique,
  • ses mouvements coordonnés ou sursautants,
  • ses effets contrastés selon les plans de l’espace

échafaudent une poétique automnale dont la contemplation aspire le visiteur au-delà du mimétisme de la représentation.

 

Giovanni Giacometti, « Le pain », 1908. Photo : Rozenn Douerin.

 

On le voit, le travail sur la couleur ne se réduit pas à une tentative de cerner les trois thématiques jusqu’ici soulignées :

  • la nature helvète,
  • les folklores à vocation identitaire et
  • la place de l’homme dans l’immensité de la nature.

Il permet aussi de travailler l’identité même de l’humain que tente souvent de cerner le jeu du portrait. Ce sera le sujet du prochain épisode.

 

Giovanni Giacometti, « Le pain » (détail), 1908. Photo : Rozenn Douerin.

 

À suivre !