Marie-Paule Belle au théâtre de Passy, 4 janvier 2024 – 1/2
Réservé depuis mai 2023 après avoir réservé bien avant, ça ne change rien ! Ce 4 janvier 2024, voilà neuf ans presque jour pour jour que nous n’avions vu, de nos yeux vu, Marie-Paule Belle en vrai, depuis cette soirée de janvier 2015 à la Nouvelle Ève. Les invitées du chobiz qui ont le malheur de nous jouxter peuvent bien essayer de nous toucher l’épaule – déjà, fais gaffe, c’est propre, ça, c’est moche mais c’est à moi – pour nous intimer – nous intimer, les folles – d’applaudir moins fort, à part risquer un applaudissement avec leur tête entre nos mains et un « t’as qu’à écouter le CD studio, en plus, chuis sûr, tu l’as reçu gratos, arrive juste pour le coquetèle, foutriquette », aucune chance de modérer
- notre enthousiasme,
- notre joie et
- notre impatience.
Un précédent rendez-vous avait été reporté pour des « raisons de santé » restées pudiquement sous silence, même si certains médias ont révélé que la dame souffrait d’une récidive d’un cancer du sein l’obligeant à subir des traitements redoutables.
- L’attente,
- le soulagement et
- la joie
étaient donc en trouple, ce jeudi 4 janvier, pour la première de la série de dix représentations reprogrammée au théâtre de Passy. Dans la salle,
- des vedettes du temps jadis (Anny Duperey, Serge Lama, Isabelle Mayereau…),
- des semi-vedettes (Alex Vizorek, Eva Darlan…) et
- des anonymes.
Parmi les derniers nommés, essentiellement des têtes chenues que côtoient quelques rares personnes moins antiques, dont une partie ressortit fièrement de la communauté homosexuelle. Sur scène, un piano d’où émerge une rose (« je suis sûre qu’elle est en plastique », souffle derrière nous une permanentée d’un ton de connaisseuse, raté). La chanteuse lance son spectacle avec « J’ai les clefs », parolée – et hop – par Pierre Jolivet et Françoise Mallet-Joris. L’esprit facétieux de la fredonnerie n’empêche pas l’émotion de poindre dans les applaudissements nourris : la voix n’est peut-être pas encore chauffée, l’artiste paraît peut-être un brin fatiguée, mais peu importe !
- La présence,
- la personnalité et
- la proximité – idéale pour le répertoire – facilitée par le piano-voix que Marie-Paule Belle maîtrise si bien
rayonnent au point que la musicienne demande grâce en soufflant, amusée : « Si vous commencez à applaudir comme à la fin… » Puis elle annonce
- le contexte (« il y a onze mois et un jour que j’attends ce moment-là »),
- l’enjeu (« je fête mes 54 ans de scène ») et
- le projet : parcourir les épisodes précédents.
De son premier disque (affirme-t-elle : c’est inexact puisqu’elle vient de mettre sur les plateformes Mon premier album, où les chansons « réalistes » sur les filles de joie se taillent la part du lion – on y découvrira notamment « Émilienne », croquignolesque à souhait – mais sans la chanson en question), elle extrait ce qui fut longtemps un de ses chevaux de bataille, « L’âme à la vague », où le public a plaisir à murmurer les parophonies du refrain (« J’ai l’âme à la vague / J’ai l’âme qui vogue / Avide, elle drague / C’est comme une drogue »). L’artiste veut-elle déminer toute complaisance dans la nostalgie ? Aussitôt, « Amour allergie », sorti du dernier album, rappelle que, « quand on est amoureuse, ça pose certains problèmes ». Le fil rouge commence à apparaître : l’amour, forcément, donc le voyage, l’un et l’autre ne faisant qu’un. Par conséquent, la chanteuse emprunte le « Trans Europ Express » ou la version rêvée du train bleu grâce auquel on partirait loin, sollicitant avec métier la participation d’un public qui n’attend que ça.
Chansons nouvelles, chansons d’antan, la problématique est connue des chanteurs qui durent. Anne Sylvestre l’a vécue, qui refusait farouchement de revenir à ses chansons à guitare du début. Le défi de Marie-Paule Belle semble d’être de dispatcher dans sa set-list trois types de chansons dont les caractéristiques se chevauchent parfois :
- les anciennes,
- les neuves et
- les tubesques.
Voici donc venu le temps, finement pensé, de « Wolfgang et moi ». Passage obligé d’un récital de MPB, cette chanson est présentée comme un hommage à la sœur de WAM qui, en réclamant ses royalties, devient « la première féministe ». L’humour sauve cette présentation de la tarte à la crème tendant à réduire la valeur des artistes du beau sexe à l’aune de leur « féminisme ». Anne Sylvestre est un bon exemple de cette tendance assez salissante, elle qui a connu un regain de popularité quand les médias ont décidé de ne la considérer que comme une militante de l’égalité entre les genres, ce qui revient à regarder son œuvre par le trou de la meurtrière alors qu’une grande fenêtre, juste à côté, permet d’embrasser son travail d’un coup d’œil autrement plus juste et enthousiasmant. Ce soir-là,
- l’urgence,
- l’attente et
- la pression qu’elles engendrent
font chalouper les paroles du premier couplet mozartien. Cela rappelle aux plus fervents bellomanes que cette bête de scène est aussi un être vivant, et ça fait du bien de le savoir ! Ici, rien d’automatique, même si « Wolfgang et moi » colle à la peau de l’artiste. Marie-Paule Belle ne récite pas sa chanson, elle l’interprète avec cœur. Si un cahot de concentration ou de mémoire peut réveiller le voyageur, il personnalise aussi le trajet et humanise l’artiste impressionnant qui se produit sur scène. En plus, ça rassure le petit chanteur qui se morfond en rentrant chez lui après qu’il a bafouillé ou carrément avalé un couplet quand il était derrière son micro : merci, Marie-Paule !
L’enthousiasme suscité par le tube ne retombe pas avec le classique suivant, le vintage et toujours poignant « Quand nous serons amis », où l’artisane continue de démontrer le métier en usant des multiples manières de recevoir les applaudissements parmi lesquels on peut citer, en sus de l’habitude qui est un métier,
- le sirotage modeste d’un verre d’eau,
- l’attente patiente devant le clavier puis le pivotage face public,
- le petit sourire qui remet un coin dans le juke-box,
- plus tard la position debout avec son bonus qu’est le salut,
- la sortie de scène et l’attente du bon tempo pour revenir, etc.
L’amour – ici dédié à Serge Lama – bat aussi dans « Celui » (en gros, celui qui ne m’a pas parlé d’amour m’a plus donné que celui qui m’a aimé mais mal), chanson gnangnan mais à laquelle tient l’artiste. Elle l’a intégrée dans maints tours de chant, y compris dans la série de chansons interprétées sur YT au piano blanc pendant le confinement. Or, c’est pas mal que, en glissant des chansons variées dont certaines risquent de moins emballer a priori l’auditeur, l’artiste oblige ses fans à la suivre dans son parcours tel qu’elle le perçoit, le conçoit et le vit, pas juste là où ils préfèrent la retrouver. Après tout, la diversité d’un répertoire contribue à sa profondeur, par-delà les inclinations particulières de chacun.
D’autant que, finaude et rouée, Marie-Paule Belle est soucieuse de contraster ses titres afin de ne pas perdre les bellophiles, quelles que soient leurs préférences. Aussi enchaîne-t-elle avec une chanson dont elle disait ailleurs que Michel Grisolia et elle-même l’avaient écrite quand ils étaient ados. « Cinquante ans après, confie-t-elle le soir même, je la trouve d’actualité car c’est une chanson sur les curés, l’Église, tout ça ! » L’anticatholicisme est un topos de la chanson française. Évidemment et heureusement, nul ne s’en formalise, même si on attendrait les courageux sur les terrains d’autres religions encore plus strictes – si, si, c’est possible – quant au rôle dévolu aux moukères…
« L’œuf » fait un effet bœuf et se frotte avec bonheur au contraste qui arrive avec la chanson habillant un texte d’Isabelle Mayereau. « Beaux jours à Saint-Germain » ouvre le dernier disque et, avec les modulations attendues, évoque un moment (celui de la rencontre avec Françoise Mallet-Joris) autant qu’un lieu perdu – d’où, peut-être, les cinq premières notes qui semblent sampler « Auprès de mon arbre » de Georges Brassens, où là aussi le parolier se souvenait avec nostalgie d’un moment et d’un lieu disparus…
… et pour la suite du concert, il faudra aller au prochain post sur le sujet, a priori le 10 janvier !