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C’est un projet coquet, presque coquin, que celui fomenté par Ludmilla Guilmault, une artiste aussi bien capable d’enregistrer Liszt que de fricoter avec l’inénarrable Jacky pour vendre son duo Cziffra, fomenté avec le sieur Jean-Noël Dubois, et positionné « entre musique savante et musique populaire ». Le présent disque est un nouveau développement dudit duo, mais pas de costume pour les photos de l’album, cette fois, contrairement au passage dans JLPB… juste une thématique audacieuse ! En effet, quoi de plus culotté, à une époque

  • si promptement offensée par les archétypes,
  • si pudibonde devant la caractérisation,
  • si repliée sur des identité communautaristes au lieu d’être ouverte à l’intégration des autres et aux autres par le saisissement de bribes représentatives,

que de proposer un disque dont le titre – Exotisme, sonorités pittoresques – risque de prêter le flanc aux plus nauséabondes accusations de néocolonialisme infusé au racisme le plus sombre ? Certes, l’artiste s’est bordée : il n’y aurait point de petit nègre debussyste ou de bamboula façon Louis Moreau Gottschalk – d’ici à ce que, entre le pressage et la mise en vente, un décret oblige à réintituler les pièces de peur d’effrayer les cons et de nourrir les péteux médiatiques, le risque eût été considérable ! La plus grande place sera donc laissée aux hispanismes et aux imaginaires, qui ne sont pas les exotismes pittoresques les moins explorés par la musique chevauchant les dix-neuvième et vingtième siècles.
Difficile de s’en plaindre quand on s’apprête à passer une heure avec Debussy, Ravel, Fauré, Saint-Saëns, de Séverac, de Falla et Mozart, sous les doigts de la conceptrice et de son acolyte, Jean-Noël Dubois, un lauréat de concours internationaux qui n’a repris les concerts que sous la pression de sa partenaire, après avoir tiré sa révérence pour ras-le-bolisme – on suppose que les exotismes pittoresques entourant la prestation du pianiste classique n’ont pas saoulé que François-René Duchâble. Trois configurations sont annoncées :

  • piano solo,
  • piano à quatre mains et
  • deux pianos.

Le tout est confié aux oreilles et au savoir-faire de Frédéric Dosne, sur des Bösendorfer Impérial réglés et captés par Jean-Noël Dubois en personne.

 

 

Polysémique et transgenre, le terme de « Voiles » glissé à la fin du deuxième prélude du Livre I de Claude Debussy (1910) inspire Ludmilla Guilmault. Dans cette miniature en Ut mais pas que, l’interprète sculpte

  • résonances,
  • silences,
  • étagement des voix et
  • souplesses rythmiques.

Formules récurrentes et brefs développements renouvelant le propos profitent

  • de la rondeur du si bémol grave,
  • de la légèreté des aigus qui tintinnabulent et
  • de la variété de touchers multiples,
    • tantôt fermes,
    • tantôt suggestifs et
    • toujours maîtrisés.

 

 

À quatre mains, les interprètes proposent deux extraits de la série En vacances de Déodat de Séverac (1911). Placés sous le patronage des Scènes d’enfant schumaniennes, les deux extraits s’inscrivent dans la saga très comtesse de Ségur « Au château et dans le parc ». Après « les caresses de grand-maman », on a ouï passer « les petites voisines en visite » puis des éloges du costume (« Toto déguisé en Suisse d’église », « Mimi se déguise en marquise »), le compositeur a emmené les gamins faire une « ronde dans le parc ». À présent, nous voici au moment « Où l’on entend une vieille boîte à musique » au gré d’un Allegro assai quasi presto en Si bémol et en 12/8.

  • Pédale astucieuse,
  • sourdine sporadique et
  • ritournelle centrée dans les aigus et suraigus

offrent un moment pimpant que prolonge la « Valse romantique » en Mi bémol. Pas loin de l’effet boîte à musique grâce à son ternaire élégant, cet Allegro quasi vivo mêle

  • simplicité mélodique,
  • justesse d’harmonisations,
  • élégance du développement en dépit d’une construction attendue (ça fait partie du kif aussi…),

restituées avec une parfaite absence de surcharge interprétative : à musique directe, exécution directe, sans nécessité d’en faire des caisses sous prétexte de compenser une musique légère par des minauderies escagassantes. Demeure une question : en quoi ces pièces ressortissent-elles de l’exotisme ou de sonorités pittoresques ? C’est aussi le jeu du disque : réfléchir, fût-ce incidemment, à la correspondance entre le titre et le contenu. Au fond, le procédé s’approche de la musique programmatique dans laquelle Ludmilla Guilmault a largement pioché : du son au sens et retour, il revient à l’auditeur de faire marcher un peu ses méninges. Il le faudra aussi pour les deux extraits des Valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel, que les puristes s’étonneront de voir segmentées, l’ensemble étant à l’origine pensé comme une suite dont les pièces contrastent ou se complètent. Ça tombe plutôt bien : ce disque n’est pas conçu pour les puristes, lesquels trouveront force intégrales chez leurs disquaires favoris.
La Deuxième valse en sol mineur, « assez lente avec une expression intense » commence par un prélude dans les médiums qui indiquent une forte inclination pour un chromatisme chargé de mystère.

  • Les mutations de tempo,
  • les ruptures de rythme renforcées par les appogiatures,
  • les dynamiques créées par les notes répétées et le balancement de la main gauche

alpaguent l’auditeur jusqu’au surgissement de la tierce picarde dans l’arpège final.

 

 

La brévissime Sixième valse en Ut (même si elle porte trace à ses débuts de la cinquième en Mi) sonne comme un ragtime que

  • le détaché du troisième temps et son meilleur allié, le legato,
  • les réflexes de la main gauche afçon pompe claudiquante et
  • les différenciations d’intensité sonore

 parent d’un groove affriolant. On reste en trois temps avec la quatrième prélude du Premier livre de Claude Debussy, intitulé « Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir”. Un la bémol grave obstiné offre une assise aux questionnements mélodiques, rythmiques et harmoniques qui animent la partition.

  • Modulations,
  • septolets et sextolets de doubles croches,
  • souplesse oscillant entre rubato et animation,
  • extension de la mesure à cinq temps

accroissent l’incertitude propre aux impressions ambiguës et permettent à Ludmilla Guilmault d’entendre « scintiller les étoiles ». Bah, sinon morts, que serons-nous quand nous serons sans rêve ? De la suite Dolly, op. 56 de Gabriel Fauré, les deux interprètes proposent la pièce finale en Fa (et toujours à trois temps) intitulée « Le pas espagnol ».

  • Célérité et variété du tempo,
  • synchronisation et différenciation des accompagnements,
  • fluidité et accents

font pétiller le disque, olé. On s’apprête à jubiler avec deux extraits de la « fantaisie zoologique » de Camille Saint-Saëns quand, patatras, on passe du sourire intérieur à la plus plate consternation en constatant que, plutôt que de citer le transcripteur de la version pour quatre mains, Ludmilla Guilmault se contente de recopier (sans citer sa source) une notice Wikipedia. Une recherche rapide amène à constater qu’elle a procédé de même pour les autres pièces alors même qu’elle se crédite sur le livret comme auteur des textes. Afin de ne pas gâcher le plaisir en nous offusquant et du piètre intérêt musicologique de la chose, et du peu de probité que cette indigne rapine trahit, nous éviterons dorénavant de glisser un œil sur les notes écrites par la pianiste, nous contentant des notes qu’elle joue – même si c’est vrai que constater une telle arnaque gâche momentanément la fête.
Parce que, pas pu m’empêcher de continuer tant ça m’horripile, ce comportement est

  • nul d’un point de vue artistique,
  • stupide et malsain d’un point de vue intellectuel,
  • choquant de la part de créateurs créatifs,
  • malheureux pour la confiance que l’auditeur-lecteur éprouve d’emblée pour les artistes qu’il écoute, et
  • dommageable pour l’intérêt du disque physique

auquel le livret, qui plus est signé par l’artiste, contribue. Merde, on parle de gens capables de propulser une musique passionnante, puissante, palpitante, complexe, avec savoir-faire, intelligence, feeling et, c’est parfois rare chez les virtuoses même talentueux, personnalité – et là, boum, on tombe dans du copié-collé grotesque et sale. Bref, vivement ChatGPT, l’arnaque sera peut-être plus discrète et notre désillusion moins vive !

 

 

Soit, donc, deux extraits du Carnaval des animaux (1886), à commencer par le « Presto furioso » en ut mineur rendant hommage aux hémiones, chevaux des steppes comme chacun sait. Pur exercice de virtuosité et de vertige que n’aurait pas refusé un piano mécanique, la miniature express remet un coin dans le juke-box énergétique de l’auditeur. On file donc plonger dans l’andantino du célèbre « Aquarium » en la mineur.

  • Liquidité des triples croches,
  • clarté des doubles,
  • limpidité de la réalisation

rendent une fois de plus ce tube-réceptacle irrésistible. « La sérénade impromptue » en si bémol mineur et en 3/8, neuvième prélude du Premier livre de Claude Debussy, demande au piano de jouer « quasi guitarra », avec cette savoureuse indication liminaire, pour un prélude : « Comme en préludant. »

  • Hispanisme gouleyant et malin,
  • réinvestissement sporadique à la sauce debussyque,
  • modulations « très vive » ou « modérée et lointaine » refusant la linéarité d’un développement trop convenu

suscitent évidemment l’enthousiasme, soutenu par une interprétation sensible malgré ce qui semble être un montage ou une bizarrerie sonore (1’58). Quels autres exotismes pittoresques les deux complices nous ont-ils préparés ? (Les impatients ont la réponse ci-dessous.)

À suivre !


Pour écouter le disque gratuitement et en intégralité, c’est ici.
Pour l’acheter, ça se fait parfois, c’est par exemple .