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Juliette Morel (rôle inventé), Eliza Boom (Freia), Florent Mbia (Donner), Matthew Cairns (Froh), Mika Kares (Fafner), Kwangchul Youn (Fasolt), Simon O’Neill (Loge), Iain Paterson (Wotan), Brian Mulligan (Alberich), Ève-Maud Hubeaux (Fricka), Gerhard Siegel (Alberich), Margarita Polonskaya (Woglinde), Isabel Signoret (Wellgunde) et Katharina Magiera (Flosshilde) aux saluts de « L’Or du Rhin », le 29 janvier 2025 à l’Opéra Bastille (Paris 11). Photo indicative : Rozenn Douerin.

 

Il est des notules que l’on a hâte de griffonner pour partager

  • une découverte,
  • un enthousiasme,
  • une irritation, même ;

et puis il y a celles qu’il faut bien rédiger puisque l’on a commencé d’exprimer une consternation mais pas fini d’essayer de l’expliquer ici. Voilà le propos du jour : mettre des mots sur un effarement esthétique pour le comprendre et espérer retrouver, dès le prochain exercice,

  • l’inclination pour un répertoire palpitant,
  • le respect pour un travail bien mené, et
  • l’admiration pour la capacité d’artistes à nous émouvoir

qui poussent à aimer la musique en général et la musique vivante en particulier. Partant, si, dès l’interlude, la troisième scène de L’Or du Rhin peine à soulever notre enthousiasme, sachons-lui gré de nous aider à cerner ce qui nous déçoit et désole à la fois devant le contraste entre un résultat moins plat que creux et la présence de tant de talents musicaux réunis entre fosse et scène. Y contribuent présentement

  • la sagesse d’un orchestre que l’on dirait étouffé pour ne pas gêner les voisins,
  • les vidéos parasites et énigmatiques (quel est cet Amérindien, si c’est un Amérindien, qui tournoie sur le château des dieux ?), et
  • le décor planplan de l’antre d’Alberich et consorts,

révélée sous le château, qui ressortit plus, grâce à l’aide des lumières, à une cave de psychopathe pour thriller avec Anthony Hopkins qu’à la fourmilière mythique où se prépare le renversement du monde. Cette nouvelle entrée en matière (et dans une forge où l’on a sculpté l’anneau, l’idée de matérialité est essentielle) semble s’inscrire dans une dépoétisation de l’œuvre wagnérienne. Nous voici aux prises avec

  • une musique dépourvue de virulence à cause du gommage des contrastes et de l’écrêtage des nuances, par le haut et par le bas,
  • des personnages que des costumes hors de propos et une direction d’acteurs de série B ont privé de prestance, et
  • des décors dont la banalité ensuquante et la pauvreté structurelle dissipent toute perspective de fantasmatique, de grandiose, de divin, d’enthousiasmant au sens étymologique du terme.

Ce mélange de tisane tiédasse et d’eau de boudin paraît revendiquer un réinvestissement de Das Rheingold visant à déboulonner l’œuvre, sur la forme comme sur le fond. Ainsi, d’abord, de l’anneau, personnage central de l’opéra, qu’Alberich (Brian Mulligan) porte en collier. Ainsi, ensuite, de Mime (Gerhard Siegel), dont le personnage grotesque est ici ramené à notre époque, avec

  • chaussettes sales,
  • T-shirt souillé et
  • caleçon Adidas.

Ainsi, enfin, du rôle ajouté par Calixto Bieito et offert à une danseuse (Juliette Morel), mannequin inutile qui gesticule autour d’Alberich. On espère au moins que cet énième affront au texte wagnérien est lié à la nécessité de placer une copine ou la copine d’un sponsor ; peut-être serait-ce moins insultant pour le public que d’ajouter un élément

  • exogène,
  • inspirant un sentiment de gênance devant sa piètre inutilité, et
  • moins énigmatique qu’incompréhensible donc censé être très puissamment profond

alors, que, soyons honnête, on préfèrerait qu’un chanteur chasse de scène cette actrice superfétatoire. Faute de quoi, Mime fait ses ablutions dans le même seau que celui où étaient rassemblées les pommes. Les transformations d’Alberich en dragon (il met un masque de mannequin et des cordes dans le dos, comme en ouverture de bal) puis en crapaud (il met un masque de grenouille) donnent une idée de l’inventivité et du brio de la mise en scène. Pour occuper le regard, subodore-t-on, celle-ci envoie Mime rigoler en se mettant le seau sur la tête. Pendant l’interlude, le mannequin dansant qui piquait un roupillon, l’heureuse friponne, se réveille et arrache des fils qui lui pendent au cou. C’est beau, on dirait un croisement entre un clip d’Alain Souchon et Deux kangourous devant la véranda (début à 0’36).

 

 

Pour la quatrième scène, la tanière des nains rentre sous scène. Alberich est extorqué par Loge (Simon O’Neill) et Wotan (Iain Paterson, remplaçant de Ludovic Tézier). Évidemment, aucun des Nibelungen n’apparaît pour remettre le trésor dont c’est que ça cause : cette splendeur est réduite à des pièces dorées transportées sur un chariot qui sert sans doute, le reste du temps, à déplacer une table ou des chaises en backstage. Dans cette vacuité revendiquée, Brian Mulligan se débat pour incarner sa puissante malédiction (« Schmäliche Tücke, schändlicher Trug! »). Après quoi, il récupère son mannequin dansant et libère la place. Fricka (Ève-Maud Hubeaux) débaroule avec grand manteau léopard et lunettes de soleil, façon Melania Trump. Freia (Eliza Boom) est à nouveau traînée sur scène dans sa bâche-poubelle, suscitant la joie de Froh (Matthew Cairns), lequel pense surtout à la jeunesse éternelle que va lui redonner l’arboricultrice spécialisée dans l’élevage de pommes (« Wie liebliche Luft wieder uns weht »). Une photo géante de Freia apparaît sur le château pendant qu’on est censé la couvrir d’or – ce qui n’advient évidemment pas, il n’a jamais été question de respecter l’œuvre, m’enfin. Ayant sans doute besoin de s’occuper, Melania Trump gesticule comme une greluche à laquelle le metteur en scène semble vouloir – avec un certain talent – la réduire.
Quand Wotan déclare « Den Reif geb’ ich nicht » (« je ne donnerai pas l’anneau », qui est en fait un collier, on s’en souvient), l’arrivée d’Erda (Marie-Nicole Lemieux) n’arrange rien. Capuche sur la tête, la déesse qui sait tout va caresser Wotan – nan, à ce stade, prétendre trouver des justifications à tant de conneries méprisant le spectateur ressortirait du chichiteux. Peut-être à cause de ce contexte artistique atterrant, la sympathique cantatrice canadienne aux mille répertoires nous paraît à son tour loin du personnage grave et mystérieux qu’elle est censée incarner.

  • Les conseils liminaires (« Weiche, Wotan, weiche! ») semblent précautionneux alors qu’il s’agit d’un coup de théâtre retentissant.
  • Le vibrato paraît trop relâché.
  • Les aigus, certes affirmés, manquent de ce côté sombre qui devrait envelopper le personnage.

Sur scène, c’est la Bérézina. Jésus sort de scène en rampant. Donner (Florent Mbia) chante son ultime incantation (« He da! He da! He do! Zu mir, du Gedüft! ») hors scène, ce qui atténue forcément la majesté de son terrible appel. Pendant que les fumigènes exaucent Florent Mbia, les cuivres de l’orchestre donnent de plus en plus de signes de fatigue – c’est compréhensible après 2 h 30 où ces pupitres n’ont pas été ménagés, euphémisme, mais, à ce point, c’est assez inhabituel. Un escalier de métal ouvre alors le château métallique. Il est couvert de cordes, ce qui permet à Wotan et à Fricka de l’escalader difficilement. Quand, en off, les filles du Rhin se lamentent, on est presque rassuré : le pitoyable spectacle s’achève enfin, concluant provisoirement un nouveau ratage complet à Bastille, entre consternant, lamentable, navrant, attristant, affligeant et atterrant.