L’Or du Rhin, Bastille, 29 janvier 2025 – 1/2
Rarement l’on est sorti aussi consterné d’un spectacle. Attention ! À Bastille, on le sait,
- la mise en scène calamiteuse,
- les décors daubés du cul,
- les costumes effarants de nullito-banalité et
- les inutilités faisant opéra moderne (vidéos et « personnages muets » ajoutés par le metteur en scène)
sont une tradition désormais bien tristement sédimentée, à laquelle s’ajoute souvent la sauce LGBTQIA+ dégenrant les personnages ou plaquant sur le récit des esthétiques queer ou trans. Cependant, l’on continue de fréquenter ce lieu pour
- la musique,
- l’orchestre et
- le plateau vocal,
dont on essaye de se persuader que, malgré les parasites visuels, c’est l’essentiel. Cette époque serait-elle révolue ? La première de la nouvelle production de L’Or du Rhin, en présence d’autres parasites habituels – dont Jack Lang, paradant à la sortie faute sans doute d’avoir pu partir à l’entracte, vu qu’il n’y en a pas, dans cet opéra – et avec le sponsoring de Bertrand Ferrier (pas moi, on l’aura compris), déçoit aussi au niveau musical. C’est un choc.
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Le prologue de la première scène nous permet de profiter d’une vidéo sublime de pieds aux ongles mal vernis filmés dans l’eau par Sarah Derendinger. On frissonne devant ce qui était peut-être un projet de visuel pour le Club Med refusé par les propriétaires de la marque. Nous ne voyons pas d’autre explication. Sur scène, Alberich (Brian Mulligan), le nain dragueur, se tient à cour, premier de cordée avec des tas de cordes dans le dos. Il lève puis ouvre les bras. J’aime autant vous dire que l’émotion est déjà au top du zénith du climax. Bien que le son paraisse assourdi depuis le milieu jardin du premier balcon, on veut se laisser séduire par les couleurs de l’orchestre, familier de l’œuvre.
- Les piani des cuivres sont jolis,
- le crescendo est fluide,
- le bref fortissimo est maîtrisé.
Le festival commence.
- Vachement super pensée au niveau de la réflexion et de l’intelligence subliminales comme un tube de Gandhi Alimasi Djuna, la vidéo montre à présent un coffre-fort pour symboliser l’or du Rhin.
- Les ondines apparaissent avec la classe attendue des filles du Rhin :
- combinaisons de plongée qu’elles finiront par ouvrir pour laisser se profiler leur poitrine (ça part d’un bon sentiment, mais était-ce vraiment nécessaire ?),
- palmes qu’elles ôteront parce que, ben, on sait pas, et
- bouteille d’oxygène contre laquelle elles se résoudront à se balancer, façon autiste, quand elles auront perdu.
- Le texte peut déjà aller se faire enculer (« Où t’enfuis-tu ? » gémit Alberich en tenant Woglinde, bien tanquée sur son fessier).
En dépit de leur costume, les filles font leur impossible pour incarner leur personnage tout en travaillant en trio (on note singulièrement le plaisir de jouer qui émane d’Isabel Signoret en Wellgunde). Le rideau, type protège-douche Casto XXL, qui masque un peu le fond scène est arraché et emporté par Alberich – lequel récupère donc cette ordure, hein. Après leur câlin à la bouteille d’oxygène, Margarita Polonskaya, Katharina Magiera et leur collègue débarrassent le plancher, le trésor du Rhin en moins. Parce que, oui, autant le préciser presque d’emblée, ainsi que le laisse augurer ce quatuor liminaire, l’opéra national n’engage presque jamais d’artistes français. Brian Mulligan est états-unien ; Margarita Polonskaya est russe ; Katharina Magiera est allemande ; et Isabel Signoret est péruvienne. Ce soir-là, même parmi les francophones – espèce déjà rare – invités sur scène, pas un n’est né sous le signe de l’Hexagone.
- Florent Mbia est membre de la troupe lyrique locale, très implanté à Paris… et camerounais,
- Ève-Maud Hubeaux est suisse, et
- Marie-Nicole Lemieux est canadienne.
Évidemment, puiser dans des viviers multiples des artistes est nécessaire et sans doute sain. Toutefois, à ce niveau de mépris pour les artistes autochtones, alors que l’État français subventionne largement les productions, on peut se demander s’il ne serait pas temps de signer la fin de la récré et d’exiger que soit, enfin, donnée aux meilleurs artistes lyriques de notre nation une chance de rencontrer le public de l’Opéra national de la capitale.
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Pour la deuxième scène du Rheingold, apparaît un immense canapé pour lequel on s’attend à entendre tomber des baffles : « 70 % de réduction et 32 % en plus jusqu’à lundi chez Poltrone Sofa, solo divani di qualità ». Sous deux couvertures de survie (problème de budget, sans doute, ou désir de pousser le mauvais goût au max du curseur) ronflent Wotan, costume noir, et son épouse Fricka, surrobe en léopard et petite tenue dessous. Vue sa posture improbable, le metteur en scène semble laisser supposer que la très sage Fricka s’en est pris une bonne la veille, ce qui n’a évidemment aucun sens. Quand la sage femme, sans trait d’union, réveille le dieu volage, la crainte saisit le public : dès « Der Wonne seligen Saal », le déséquilibre entre Iain Paterson et l’orchestre est flagrant. Ce n’est pas que l’orchestre est trop fort, c’est peut-être que Wotan a été casté au mieux du possible mais pas au mieux du rôle, en dépit de sa recherche de musicalité. De son côté, on sent Ève-Maud Hubeaux prête à exploser (Fricka est une femme en colère contre son mari et sans doute contre elle-même), mais la mise en scène la renvoie dans les cordes en la contraignant à s’agiter de façon grotesque et fatigante pour elle, probablement, et pour le public, c’est évident. La voici qui
- jette des pommes de jeunesse éternelle autour d’elle (Jack Lang doit être emballé),
- se transforme en tapis de sol,
- multiplie simagrées faciales et physiques sur le canapé, et
- finit par être culbutée façon quickie quand arrive Freia (Eliza Bloom).
La fête ô combien festive est gâchée quand les géants qui ont construit le palais des dieux pètent des portes (on ne sait pas pourquoi, c’est donc très intense, tu penses) pour réclamer d’être payés, c’est-à-dire qu’on leur cède ladite Freia. Dans le rôle des géants,
- Mika Kares incarne Fafner dans un costume digne de JR, chapeau et veste à franges couleur diarrhée inclus ;
- Kwangchul Youn, géant comme je suis champion du monde des lourds en MMA, est un Fasolt – mauvaise pioche pour lui : Fafner aura plus de travail au fil du festival scénique – en costard-cravate (à ce stade, on peut presque parler de costard-crevette) façon représentant de commerce arrivant au Campanile ou au Buffalo Grill de La Ferté-sous-Jouarre.
On n’est là qu’au début du sublime, mais l’institution où se déroule la représentation tient à préciser fièrement que « l’ensemble des décors et costumes de la production a été réalisé par les ateliers de l’Opéra national de Paris ». Wow, that’s made in France for you anyway!
Pour défendre la pauvre Freia et ses bottines vert moche, personnage incarné par une Eliza Bloom qui passera plus de temps traînée dans des bâches-poubelles qu’à la verticale, apparaissent
- Froh (Matthew Cairns), déguisé en Jésus avec tunique large et barbouze, et
- Donner (Florent Mbia), pour lequel le costumier a abandonné toute dignité en lui ordonnant de chausser lunettes de sun et infâme casquette.
Qu’importe, ici, le but semble être de cracher sur l’œuvre wagnérienne, qui blinde pourtant l’Opéra de Paris dès qu’elle est programmée :
- sous la direction de Pablo Heras-Casaldo, l’orchestre est réduit à un statut de faire-valoir contraire à la partition
- (peu de contrastes,
- pas de tensions,
- plutôt un robinet d’eau tiédasse que
- des oscillations,
- des relations avec les chanteurs qui oscillent entre
- caresses,
- bourrades,
- triomphe et
- défi, et
- des geysers incontrôlables quoique contrôlés) ;
- le texte continue d’être bafoué (comment Wotan peut-il parler du « bois de [s]a lance » en maniant une tringle à rideaux métallique ?) ; et
- les chanteurs subissent une mise en scène qui les contraint à jouer comme des acteurs perdus dans une sitcom d’AB Production, période fin de règne.
Quand Loge – presque aussi attendu que Tartuffe en d’autres lieux – arrive, il porte
- costume noir,
- T-shirt,
- casquette et
- lunettes de soleil.
Franchement, on avait hâte de découvrir l’incipit de ce nouveau Ring, de vibrer à l’ambition de la partition et à l’exigence de la musique. À ce stade, impossible de feindre. Rien, ici, n’a
- de sens,
- de cohérence,
- de direction ni
- de puissance artistique.
Dans ce foutage de goule assumé, Fricka semble avoir le choix entre faire une démo d’arts martiaux catégorie tubulaire pour salle de bains ou se tripoter la chevelure. Difficile de savoir ce que l’on préfère. Si, peut-être les caresses capillaires, c’est nul mais plus discret. Lorsque Freia est enlevée dans une bâche-poubelle, la pauvre femme de Wotan fait, pendant ce qui semble environ un millénaire, semblant de se taper la tête contre la cage du fond. Palsambleu, est-ce que ce monde est sérieux ? Effaré mais résolument positif (il faut encore tenir la moitié du spectacle), on essaye de jouir des tirades de Simon O’Neill comme les très exigeantes « Immer ist Undank Loges Lohn! » et « Jezt fand ich’s: hört, was euch fehlt ». Sans que le gosier du Néo-Z, quoique
- juste,
- efficace et
- savant,
n’ait l’ampleur wagnérienne à laquelle l’auditeur pourrait aspirer pour son personnage, l’artiste est assurément valeureux. Toutefois,
- la nullité des
- décors,
- costumes,
- mise en scène, ainsi que
- la timidité d’un orchestre qui semble muselé par son chef
épuisent notre capacité d’enthousiasme. Deux scènes du Rheingold restent à venir. Nous les évoquerons tantôt. À suivre… hélas !