Loïc d’Argut, « Premier volume », Théâtre Le Bout, 6 mars 2018

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Loïc d’Argut. Photo : Bertrand Ferrier.

Loïc d’Argut (Argut étant une petite commune de la Haute-Garonne) est un artiste en développement. C’est comme tel qu’il faut envisager son spectacle Premier volume (une heure de comique-qui-chante-avec-sa-guitare) et non à l’aune de pairs déjà méchamment installés dans le métier, tel Redouane Harjane. Aller voir Loïc d’Agut, c’est donc imaginer un potentiel plutôt que de jauger un résultat.
Dès lors, toute critique signale moins un défaut supposé qu’une piste que l’artiste s’apprête sans doute à creuser, à mesure que se déroulera sa carrière. Des exemples ? Donnons-en six.
Un, son personnage, peut-être peu défini en l’état, se nourrira au fur de l’expérience, même si l’on apprécie la tentative d’associer stand-up (saynètes pseudo autobiographiques) et petits bouts de sketchs.
Deux, les punchlines, encore sporadiques, vont s’affiner et se multiplier.
Trois, Loïc atténuera sa modestie qui le bride encore, nous semble-t-il, sur deux plans : il n’ose pas développer ses idées les plus prometteuses car les plus singulières, et il paraît s’obliger à délayer des tunnels sur des sujets convenus (du type : « Je respecte la religion mais j’ose critiquer que les cathos alors je vais critiquer les cathos avec des piques pas forcément injustes mais éculées donc pas toujours drôles »).
Quatre, ses audaces vont probablement s’audacifier, en transformant la provocation en ironie et le non-conventionnel en inattendu distancié : tenter de choquer en contant fleurette à la mort ou en se gaussant des victimes de criminels, éternel petit Grégory compris, ne suffit pas à se rapprocher de l’insolence d’un Desproges, référence revendiquée au début.
Cinq, détail qui a son importance, les retours d’expérience lui conseilleront très vite de changer de costume s’il veut continuer à lever les bras sans que le public profite de ses auréoles ensueurées.
Six, la mise en scène de Coralie Lascoux va se déniaiser : pour le moment, on a du mal à comprendre la maladresse qui consiste à mettre l’artiste sur scène pendant que les gens s’installent ou passent devant lui pour aller pisser en arrière-scène. Plus encore, on eût aimé que la conseillère scénique de Loïc poussât plus loin les bonnes idées, comme celle de boire une gorgée de Mort subite sur scène en parlant de la mort : il y aurait beaucoup plus à faire autour de ce running-gag (accumuler les bouteilles au lieu de les cacher, alléger ou varier la revendication du sponsor, par ex.), quitte à remotiver l’idée simplissime d’Elisabeth Buffet entrant sur scène et commençant par boire vraiment, elle, une bouteille de bière, bordel.


Pour le moment, on apprécie la méritoire prise de risque de Loïc d’Argut. Après s’être souvent produit sur de petites scènes comme chanteur, il tente à présent de chanter par la bande (qui n’est pas qu’un terme porno – thème cher au zozo), en se glissant dans la programmation du théâtre Le Bout, désormais spécialisé dans les one-man-show. Certes, cela change la vision des chansons qui, malgré l’enthousiasme du clan d’Argut, ne paraissent pas assez drôles pour remplir la promesse de rigolade pas bête faite aux spectateurs – parce qu’elles ne sont pas préconçues, pour la plupart, pour être uniquement drôles. Quelques ratures joyeuses – trou, si l’on peut dire sans avoir l’air con, redites d’amorces, jointures trop visibles – rappellent le plaisir de voir un artiste en live : plutôt qu’un DVD patché, nous avons affaire à un être vivant, certain du message qu’il veut communiquer mais potentiellement fragile. Ainsi, on est convaincu que l’artiste en développement, qui se sort souvent fort bien des aléas du direct, transposera bientôt ses chansons un peu plus haut, notamment la première qui, malgré la confiance de l’hurluberlu dans sa voix grave, semblait trop basse et était, du coup, peu audible.
De même, l’artiste en développement saura créer ses propres gimmicks, auxquels il travaille (« une chanson pour vous-même de moi-même », avec un savoureux effet d’attente que j’aurais encore prolongé : c’est gros, mais ça marche très bien car c’est joliment troussé…), tout en continuant à reprendre des intertextes de vedettes : Florence Foresti et sa nounou gothique disparue (technique de l’horreur macabre réutilisée à propos de l’épouse ou presque, tuée de plusieurs façons) ; Franck Dubosc et son « mais tout ça c’était avant le drame, bien entendu » ; truc repris par moult comiques du « vous pouvez me parler, je suis pas un DVD », ici bien remotivé par « je suis pas une VHS ». Artiste en développement, on l’aura compris, Loïc va, à l’évidence, continuer à travailler son jeu de scène, notamment sur les transitions, sur la diction (sporadique impression d’un texte plus récité qu’interprété) et sur la gestion du public (ce soir-là, les piques, euphémisme, au premier rang, où se trouvaient maman et deux autres « vieilles », sont trop faciles et appuyées : quand on n’est pas du clan quasi-toulousain, ces quolibets, même s’ils sont pris en bonne part par la famille, sont, pour les étrangers, plus gênants qu’amusants).
En résumé, il est joyeux de voir quelqu’un qui a partagé une scène de chansonniers avec soi remplir le petit mais chaleureux théâtre Le Bout grâce à un vrai spectacle à lui-tout-seul, qui plus est le soir où le PSG, fidèle à sa tradition, se ridiculise – cette fois devant le ridicule pantin au double Z. Faut-il, si on n’y alla point, regretter de n’être point allé applaudir LDA ? Soyons clair : non si vous rêvez d’un show léché et conforme aux standards mous que déploient benoîtement la plupart des « nouveaux talents » de « Rire & chansons » ; oui si vous souhaitez découvrir un talent brut mais riche de possibles, perfectible mais volontaire, provocateur mais mesuré, chanteur mais comédien, bref un type à la sauce Goldman-Jones : il est, comme les pôles, solide et fragile à la fois… comme tout respectable artiste en développement.