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« Lohengrin », aperçu du décor de l’acte III. Photo : Bertrand Ferrier.

 

« Le monde de Wagner, c’est plus ou moins celui de Matrix ou de Marvel”, assène le metteur en scène Kirill Sebrennikov dans sa vidéo de présentation, promettant d’en tirer parti via un spectacle digne d’une superproduction hollywoodienne. Malgré le racisme autorisé qui frappe les Russes, il a été confirmé pour cette production car il a été placé en résidence surveillée par le régime poutinien, ce qui vaut immunité de ce côté-ci des frontières. De plus, il va mettre en scène la guerre. Faut-il pour autant se réjouir de voir à l’œuvre, pour la première fois à l’Opéra de Paris, celui qui a déjà monté Parsifal à Vienne ? Nous sommes allés le vérifier.

 

 

L’histoire : pour un résumé fiable, voir notre précédente chronique sur l’opéra ici. Mais, évidemment, l’histoire racontée par le metteur en scène n’a rien à voir avec celle de l’opéra. Tsss, tsss, seriez-vous des petits-bourgeois étriqués ?
Dès le prologue, une vidéo montre un soldat d’aujourd’hui se promenant dans la forêt. Dans une esthétique type David Hamilton gay, il minaude, se fait caresser et caresse le décor, finit par se mettre nu et saute dans un lac. Au sortir de l’eau, il nous montre son sexe et se refait caresser. On a aperçu ses tatouages, dont des ailes de cygne, pour essayer de raccorder avec la thématique du jour : il était moins une.
Quand le rideau se lève, le décor représente un espace désaffecté divisé en quatre parties, un écran reprenant le lac et la forêt de l’intro. Des sortes de Daft Punk en plus nombreux, moins bruyants et avec un bocal opaque pour poisson rouge allergique à la lumière en guise de casque apparaissent. Ils sont munis de trompes qu’ils transforment à l’occasion en bâtons de majorette. Une figurante, perruquée jusqu’aux chevilles et jouant Elsa, danse comme une folle, montrant généreusement ses gambettes et occasionnellement ses fesses et sa chatte poilue. Quelques instants plus tard, elle est nue à son tour. Tout le monde ou presque est nu, alors ? Pas de doute possible : on est bien à l’Opéra Bastille.
Le roi Heinrich der Vogler (Kwangchul Youn) discute avec Friedrich von Telramund (Wolfgang Koch) derrière un cercle noir. La vraie – c’est réducteur, évidemment, mais enfin – Elsa (Johanni van Oostrum) apparaît, attirée par son double. Les amateurs de nichons grimacent car ledit double se rhabille. Des tags sont projetés sur le décor tandis qu’une troisième Elsa arrive. Le film érotique gay revient. En brandissant sa canne, Telramund s’écrie : « Vois mon épée ! » On imagine que le chanteur a refusé de sortir sa bite, hélas, alors que le symbole eût été plus conscious. À défaut d’extase, on reconnaît de suite la patte de Franck Evin, l’éclairagiste : la scène est sous-éclairée et l’entrée de Lohengrin (Piotr Beczala) est symbolisée par l’arme fatale – l’éblouissement long, pénible et agressif des spectateurs. Un art total de se moquer du monde se confirme.
Pour accompagner le rôle-titre, deux chippendales, munis chacun d’une aile géante de cygne, se meuvent torse nu, forcément torse nu. Lohengrin est vêtu en militaire contemporain. Les chippendales font tourner les néons comme d’autres les serviettes. On comprend a posteriori que cela remplace le premier combat entre Telramund et Lohengrin ; et, comme eût chanté Frederik Mey, « ainsi finit le premier acte », idéal pour que tous ceux qui raffolent de culture et aiment l’apocalyptique dès lors qu’ils sont à même d’en apprécier le profond message sociocritique.

 

 

Le décor de l’acte deuxième est celui d’une maison divisée en trois parties et demie : une sorte de salle à manger-théâtre avec un bas-relief en haut, une entrée, un salon décoré alla 1960 ou 1970, un cabinet de toilette à cour. Cet endroit est la vedette d’une vidéo où l’antique Telramund va faire popo ou se doucher, c’est pas super clair. Ortrud (Bastille frémit : c’est Nina Stemme ! c’est Nina Stemme !) ramasse ses béquilles et les lui file. Quand les chanteurs arrivent en vrai, ils boivent un sky et Ortrud garde à la fois la boutanche et son glass. Sur une vidéo tourne un vinyle.
À cour, une caméra apparente, parfois manipulée par l’un des chanteurs, fixe l’un des fauteuils. Sur les écrans se côtoient des vidéos énigmatiques et des images prises en direct, façon concert dans les grandes salles, et parfois envoyées tête bêche. Des infirmières psy s’agitent (la fausse Elsa numéro 1 ne dansait-elle pas comme une folle ?). La folie convulse Elsa, qui a quitté le blanc pour le rouge puisqu’elle est amoureuse et veut du sexe pour la première fois de sa life. Les fausses Elsa arrachent leur perruque pour révéler leur autre perruque de chauves. Comme dit l’humoriste : « Damned, sous sa fausse barbe, le maudit en cachait une vraie ! » On aurait trouvé plus puissant que, sous la perruque de blonde se cachât une même perruque, mais bon, porter une perruque pour être chauve sans même avoir subi une chimio, quel oxymoron, bref. L’important est que les filles se contorsionnent sur la table puis chorégraphient avec les infirmiers. Telramund en avant-scène ne nous empêche pas de voir une vidéo de soldats sans doute morts dans la forêt. Au cas où un doute subsisterait sur le fait que la guerre, ça tue, un gros plan sur une tête de mort sert de Stabylo aux lents de la comprenette dont nous sommes, certes, mais pas tout à fait à ce point.
Quand le rideau se relève, nous voilà dans un camp militaire. Attention pour ceux qui essayent encore, les malheureux, de suivre l’histoire de Lohengrin raconté par Richard Wagner, jusque-là, c’était du biscuit. Soit, donc, un camp militaire. Certes, c’est la guerre, mais pas que. Enfin, si, ici, c’est que la guerre. Art martial total, en somme. À jardin, les valides bâfrent. À cour, les éclopés s’entassent dans des lits avec des pieds à perf. À l’extrême-jardin, c’est la morgue, on y reviendra.
Telramund clope, Ortrud refuse sa sèche. Le type en costume cravate du début vient remettre des médailles aux éclopés, c’est le roi. Dans leur caserne, les soldats louent Elsa et l’invitent à s’avancer. Ortrud, peut-être pour s’occuper, se baladent entre les tables et les lits. Elsa est plaquée sur un lit d’hôpital et privée de sa perruque capillaire pour que l’on voie sa perruque chauve. Des morts arrivent à la morgue. Les images du prologue reviennent. Des morts ressuscitent. Ils sont nus, bien sûr. Ceux qui aiment les fesses mâles sont peut-être ravis. Les scènes des morts en forêt reviennent en vidéo. Elsa, chauve, est bordée dans son lit d’hôpital par son futur époux. L’employé torse nu de la morgue nettoie le sol. Fin du deuxième acte.

 

« Lohengrin », aperçu du décor de l’acte III. Photo : Bertrand Ferrier.

 

L’acte troisième s’ouvre sur une vidéo où des soldats luttent au ralenti contre des fumigènes grotesques. Sur la scène, c’est noce. On fume, on boit, on se fait prendre en photo en couple devant un fond cheap où se prélassent deux cygnes. Quand tout le monde est parti, on apporte un lit médicalisé pour que la nuit d’amour de Lohengrin et Elsa se déroule sous les meilleurs hospices, haha. Pendant qu’Elsa cause de bonheur céleste, Lohengrin allume une clope. Elsa aussi tire une taffe. Teralmund, Ortrud, les deux chippendales et quatre Daft Punk investissent l’espace. L’un des chippendales fait tourner non plus les néons mais une ampoule pour dessiner un Ring, qui rappelle tant la ring-light du premier acte que la tétralogie qu’évoquaient à l’acte II les nom de Wotan et Freia.
Les Daft Punk sont bientôt six. Au lieu du combat, ben, rien. On n’évacue pas Teralmund, censé être tué par Lohengrin, mais Elsa. Les figurants changent le décor alla Olivier Py. On met les tables à roulettes les unes sur les autres. On repousse les praticables. On vide la scène pour qu’elle ressemble à un hangar gris, sale, muni de barbelés évoquant les couronnes tressées tout au long de l’opéra. C’est beau comme un film de Luc Besson.
Le chœur de soldats  contemporains est en scène avec les morts et le héraut du roi (Shenyang) muni d’un adorable sac plastique. Une fausse Elsa voilée est prise pour Elsa par le roi, la vraie étant contentionnée dans le lit médicalisé. Même substitution (moins le voile) pour Lohengrin. Le vrai héros confond Telramund grâce à une prothèse de jambe également en plastique. Enfin, tout le monde se tourne vers un mobile transformé en écran. Après être grimpé sur un char en décomposition, Lohengrin se barre, revient pour libérer et instituer le duc de Brabant, histoire a minima d’escagasser Ortrud, et voilà.

 

Johanna van Oostrum en Elsa, le 27 septembre 2023 à l’Opéra Bastille. Derrière elle, Nina Stemme. Photo : Bertrand Ferrier.

 

On avait abandonné l’Opéra de Paris pour partie à cause d’une tristesse que l’on a retrouvée ce 27 septembre. En effet, comment ne pas éprouver un fichu désarroi en constatant le gap entre l’extraordinaire somme de talents assemblés de part et d’autre de la scène et le mépris ouvert de la mise, précisément, en scène ? Certes, vu le paquet de pognon que met l’État dans cette institution, on doit s’émouvoir devant l’absence de solistes français, hormis des membres du chœur pour partie déjà cités sur ces pages. Certes, pour les mêmes causes, on doit s’émouvoir devant l’absence de Français itou dans la partie scénique de cette nouvelle production : hormis le Nantais Franck Evin, ni la direction musicale, ni la mise en scène, ni les décors, ni les costumes, ni la vidéo, ni la chorégraphie, ni la dramaturgie (?) ni même la direction des chœurs – fort convaincante ici – n’est confiée à des artistes français. Vu l’investissement étatique, cela ne peut pas ne pas poser question. Mais on doit y ajouter cette question : pourquoi engager des gens payés des fortunes pour trahir une œuvre ? Que dirait-on à un chanteur s’il se décalait systématiquement au prétexte que, symboliquement, c’est vachement plus mieux s’il part trop tard ou trop ou pas ?
C’est rageant car les forces en présence sont éclatantes – certes pas les plus starisées, mais qu’est-ce qu’on s’en tampiponne ! Si Piotr Beczala commence avec une prudence un rien excessive à notre envie de le voir sortir du bois, Johanni van Oostrum, dont c’est la deuxième apparition dans le Grand Vaisseau, prend tous les risques d’emblée en osant poser des suraigus tranquillement avant un crescendo. Spectaculaire ! Le chœur d’hommes, à rude épreuve dans cet opéra et pourtant jamais senti à l’ouvrage, rejoint l’orchestre dans une recherche non de puissance mais de largeur de palette. La direction attentive d’Alexander Soddy se distribue entre ensemble vocal, ensemble orchestral et solistes. Nina Stemme et Wolfgang Koch osent des duos incarnés. Nina Stemme n’a crainte d’exceller dans la perversion que son immense tessiture permet de teinter de façon abasourdissante. L’orchestre répond aux exigences de la partition avec un semblant de gourmandise. La spatialisation des cuivres saisit par l’effet stéréo, et un minicouac rassure sur la véracité de ce que nous vivons avec les artistes dans l’acte II.
Dans les seconds rôles, Shenyang en héraut saisit par sa diction et son incarnation qui ne faiblit pas. Si l’orgue en plastique du mariage est naze à souhait, la faute n’en incombe évidemment pas au musicien qui le joue mais à ceux qui ventilent les financements. Au III, on est plus particulièrement saisi par les délicatesses qui accompagnent le duo d’amour contrarié. En dépit d’une mise en scène consternante, Johanni van Oostrum et Piotr Beczala sont des poètes édités par un orchestre qui sculpte ses nuances. La péroraison est un festival. Piotr Beczala, qui semble s’être préservé pour ce moment, éblouit lors du monologue où il révèle son identité… juste avant son tube où il ébaubit. Du souffle, du brio, des prises de risque dans les piani : ce n’est pas mieux ou moins bien que Jonas Kaufmann, le propriétaire du rôle, c’est magnifique. Après cela, un dernier coup d’éclat de Nina Stemme rappelle au public de Bastille qui est sa chouchoute et pourquoi elle l’est. Que de tels artistes doivent supporter les billevesées de foutriquets pour se produire à Paris n’est pas un mystère. Plutôt une consternation à laquelle on se sent presque coupable de, à nouveau, participer en payant son écot.

 

Piotr Beczala en Lohengrin, le 27 septembre 2023 à l’Opéra Bastille. Derrière lui, la confraternelle Nina Stemme. Photo : Bertrand Ferrier.

 


Nous accordons comme de coutume (de costume, à l’Opéra, c’est plus compliqué) un droit de réponse aux personnes citées. Voici la réaction de Franck Evin.

j’ais été tres étonné et même surpris de voir que votre Blog existait toujours ,il me semblait evident qu’une personne avec si peu de talent et une telle haine ne pouvait pas survivre dans un milieu ou intelligence et talent sont quand meme la condition sine qua non pour exister . et bien non votre diarrhée verbale et votre incompréhension total du Theatre moderne continue.
Franck Evin