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Arrêtons de déconner. Au moins cinq minutes. Bon, disons deux ou trois. Une, d’accord.
Sérieusement, les gens, on n’écrit pas pour le plaisir de caresser son clavier ou de contempler sa génialité profonde. Surtout pour la jeunesse. Non, la vérité, c’est qu’on publie des livres pour la jeunesse afin d’être invités, si possible, plutôt à Nice et Marseille fin septembre qu’à Besançon en plein hiver. Quoi que. Au moins, c’est typique, j’ai testé, et en fait c’était sympa. Sauf la remontée de la gare le soir dans la glacialité de l’immensité déserte, j’avoue. Mais bon, vous voyez l’idée.
En 1997, Sophie Chérer, elle, était invitée – et là, attention, on tape dans le top moumoute -, par des bibliothécaires de La Réunion. Sur place, elle découvre l’embryon d’une histoire captivante, et décide de faire partager sa révolte : pourquoi un enfant noir ne pourrait-il être considéré comme un grand savant, s’il a réussi ce qu’aucun grrrand biologiste ne savait faire ? Quinze ans plus tard paraît La Vraie Couleur de la vanille (l’école des loisirs, « médium », 210 p., 9 €), tout fraîchement arrivé en librairie.
L’histoire : Ferréol est gentil. Il lit des livres. Beaucoup. Il recueille Edmond, le fils nouveau-né d’une esclave noire qu’il n’a pas engrossée. Mais Ferréol est juste, il défend les Noirs, n’a pas peur de l’abolition de l’esclavage, n’aime pas les racistes, et a une vision moderniste de l’éducation (première partie). Il enseigne la biologie au fils de feue l’esclave, lors de longs développements sur l’acquis et Linné – on comprend mieux, à ces occasions, son goût pour les plantes fondé sur leur mutisme -, prétexte à une dénonciation des « mariages arrangés de la haute société de Bourbon » opposés aux « mariages d’amour » qui unissent les plantes. On apprend aussi, grâce à lui, c’est dire si on se passionne, l’origine de fuschia, qui se devrait dire fouxia (wouah ! ça trépide !) ; et on s’extasie avec ce guide sur l’intelligence d’Edmond, qu’il a pourtant formé avec l’aide des écrits pédagogiques de Jean-Jacques (deuxième partie).
Puis soudain, c’est le drame : inspiré par un viol, Edmond féconde la vanille, ce qui est un exploit. Ferréol refuse de le croire, se fâche, s’en veut, finit par se réconcilier avec lui et comprendre qu’Edmond a vraiment réussi cette merveille (troisième partie). Humain en dépit de sa bonté liminaire, Ferréol profite de la découverte d’Edmond, tente de s’accaparer cette avancée foudroyante sans en faire bénéficier l’inventeur – il aurait pu, pourtant, le récompenser en l’associant à sa publication, ou en l’affranchissant et en le rémunérant. Heureusement, auprès de lui, on veille pour montrer que ce n’est pas bien. Et l’abolition arrivant, Edmond devient Edmond Albius car, par sa découverte, il aurait mérité d’être blanc – albius en latin. Mais cela le sauvera-t-il, poil au pistil  (quatrième partie) ? Soudain, la chronologie s’emballe. Tous les personnages lèchent les fesses du plus puissant dignitaire de l’île. Même Ferréol s’y met. Edmond « prend femme », puis devient veuf au paragraphe suivant. Des chiffres de production montrent qu’il s’est fait méchamment enfler puisqu’il vit misérablement alors que les quantités de vanille explosent, boum. Néanmoins, quand Edmond meurt en rêvant de sa mère, il sait qu’il a sauvé l’île grâce à son coup de génie, donc que la vraie couleur de la vanille est noire comme sa gousse… et comme le héros (cinquième partie). Une brève annexe, écrite dans un petit corps – ça fait sérieux -, clôt le livre en offrant une manière de making of.
Le bilan : livre à message, La Vraie Couleur de la vanille peut agacer pour plusieurs raisons.
La première est sans doute le principe du livre à message consensuel : les colons sont tous des salopards sauf un, l’esclavage c’est pas beau, il faut respecter l’enfant dans l’unicité et la spécificité de son développement, et la lecture c’est super mais connaître la nature c’est bien aussi. Sans doute un message plus corrosif aurait-il davantage captivé que cette propagande en faveur d’une posture désormais seule à être admise.
La deuxième raison d’agacement est liée à la première : elle accompagne le développement d’un jugement rétrospectif. La distribution a posteriori de bons points historiques, compréhensible mais d’une facilité intellectuelle que l’on peut aussi juger guère digne, incite l’auteur à multiplier les archétypes à la fois favorables à sa démonstration et défavorables la dynamique romanesque (adieu surprise, émotion, attachements inattendus, etc.). Une telle façon de raconter l’Histoire en jaugeant le passé à l’aune de notre opinion contemporaine met mal à l’aise, tant elle stimule peu la réflexion. L’utilisation de formules figées (« si vous pensez à lui, Edmond ne sera pas mort en vain » – c’est quoi, pas mourir en vain, surtout pour le mec qui est mort ?) et de lourds signes de ponctuation d’insistance (récurrents « !? ») surlignent, entre autres stratégies, la leçon de choses qui nous est infligée. Cette « histoire vraie » (dit la quatrième, insiste la postface) se transforme en une pesante leçon qui vise à édifier les jeunes lecteurs, ce qui n’est pas mon premier critère de valeur littéraire, séduire les prescripteurs voire, pourquoi pas, susciter une nouvelle invitation. Pas de quoi faire vibrer le lecteur, quel que soit son âge.
La troisième raison d’agacement est donc liée à la deuxième : Sophie Chérer, qui sait être une styliste efficace et rusée, semble ici réduire sa plume à un marteau lourdingue cloutant les planches d’un cercueil de la pensée. Point d’ivresse de la nature, point d’émotions : ici, tout paraît cadenassé par la volonté de transmettre Le Message – de sorte que l’on ne ferme pas le livre  avec la conviction que cette stratégie pataude est la plus convaincante. Pour une belle scène onirique (la dernière du livre), combien de pensums didactiques ? Combien de passages visant à apprendre des choses au lecteur (donc à guigner lourdement vers le prescripteur) sans se soucier de capter son attention par le charme d’un roman ? Combien de chapitres guindés, empesés, convenus, dont on pourrait croire que le sérieux pédagogique vise à excuser les habiles sautes de style potentiellement littéraires (changement de focalisation, modification du temps et du rythme du récit…), comme si elles risquaient de détourner le lecteur du Message ? Non, j’vous rassure, j’ai pas compté « combien », mais je dirais, en gros : beaucoup.
Le résultat des courses : l’intérêt de La Vraie Couleur de la vanille, pour quiconque ne souhaite pas être réduit à la « dame du CDI » à moustache, est sans doute de découvrir ce que peut être un type très particulier et non moins répandu de livre pour la jeunesse : un produit pour prescripteurs scolaires, à stricte vocation morale et didactique. Dans cette catégorie, le nouveau texte de Sophie Chérer n’est certes pas le plus mal fichu, comme en témoigne le soin apporté à la construction d’un chapitrage cohérent, et le souci, fort louable, de distiller quelques bizarreries littéraires dans le sage flot d’un propos très cadré. Néanmoins, les lecteurs en quête d’une littérature pour la jeunesse qui soit dérangeante, émouvante ou délirante – au sens étymologique, tant chéri par Ferréol -, feront mieux de passer leur chemin.