Libres, un max…
J’voudrais parler d’ma vie, c’est rare mais bon. On aura besoin d’un peu plus que d’un moment ; toutefois, la lecture étant libre, optionnelle et sans contrôle de bonne compréhension à la fin, plongeons-nous dans un épisode tout frais, tout pas beau.
1.
Le contexte
Il m’arrive durant mon existence de critique sporadique que des attachés de presse me contactent pour m’envoyer des disques à chroniquer. Je réponds toujours : « Avec plaisir, mais je vous préviens que j’écris ce qu’il me semble, prétentieusement, pertinent d’écrire, y compris quand ce ne sont pas des éloges sucrés. » Je ne reviens pas sur le snobisme égoïste du critique – les nouveaux curieux et les curieux oublieux pourront voleter çà pour retrouver le post traitant du sujet.
Or, rebondissement en cette veille de Toussaint. J’ai mis en ligne à minuit un article louangeur – un critère d’appréciation : à c’t’ heure où j’écris, il n’a recueilli que des cœurs sur son relais Facebook, fait rarissime. L’un des cybercorrespondants, compositeur roué, a même admis que « ça donne envie d’écouter » ce qui, avouons-le, était le but.
2.
Les faits
L’attachée de presse du disque chroniqué m’appelle vers 10 h du matin (non, je ne dormais pas, hélas, je répétais), doublant son appel d’un courriel offusqué. Dans la conclusion de l’article, la dame a relevé un point qui la chagrine, euphémisme puisqu’elle souhaite la suppression d’abord de la sentence qu’elle désapprouve, bientôt de l’article en entier. De quoi s’agit-il ? Le disque de Philippe Chamouard ayant été enregistré essentiellement avec l’orchestre de Plovdiv, j’avais griffonné cette phrase :
Saluons le courage d’un label soucieux de poursuivre la publication symphonique d’un compositeur français – certes sans préciser les conditions de rémunération des musiciens bulgares, que l’on imagine hélas désastreuses.
La seconde partie de la phrase est donc très claire : « Sans préciser », « On imagine ». Comme attaque personnelle et information revendiquée, on fit plus sec. Pourtant, cette incise a motivé en chaîne plusieurs appels courroucés, bien que j’eusse précisé que j’étais en répétition toute la journée et ne pouvais donc échanger verbalement dans l’immédiat (« Nouvelle génération qui n’ose plus parler », me flatte néanmoins la dame dans un énième message pour le moins virulent, à 21 h 54 – nan, pas nouvelle génération, juste gens qui bossent et qui, le soir, ont mieux à inventer, voire rien, que de s’embrouiller oralement sur des polémiques idiotes qui leur font perdre leur temps). De plus, le contenu des messages paraissait me confondre avec un influenceur aux ordres de la marque, ce que, alléluia, je ne suis pas. Le plus significatif des courriels tonnait ainsi : « Merci de retirer cette phrases!!! Elle ne correspond absolument pas à la réalité !!! D’où sort cette information? » À la pause de midi, j’ai synthétisé mon propos. Voici, infra, mon courriel, reproduit tel qu’envoyé, donc avec ses maladresses de réponse rapide.
Journée très chargée en répétitions, donc peu propice pour dialogue – j’en quitte une, d’où le délai de réponse [de deux heures], et j’en retrouve une autre promptement.
Le bout de phrase que vous citez vise à souligner que beaucoup de musiciens d’orchestre de l’Est sont, à l’aune française, sous-payés. Il est de notoriété publique que cela permet d’enregistrer des pièces à des tarifs défiant toute concurrence hexagonale donc, parfois, de les enregistrer tout court. L’extrait qui vous chiffonne ne participe donc pas de la dénonciation d’une production spécifique, comme vous semblez le craindre, mais récuse, au passage, un système qui, certes, contribue à la rémunération de talentueux instrumentistes sis en Europe de l’Est, certes permet à des œuvres d’exister en dehors des grands circuits de distribution, mais contribue également – en même temps, aurait stipulé notre Président – à l’existence d’une Europe – musicale, mais pas que : sociale aussi – à plusieurs vitesses, quelque conformes à la législation locale aient été les contrats (mais voyez un exemple : le violoncelle solo n’est pas cité, ou alors si discrètement que je n’ai pas vu son nom – imagineriez-vous semblable oubli dans un contexte moins oriental ?). J’ajoute que la délocalisation de la musique symphonique à l’Est n’aide pas non plus à développer les orchestres hexagonaux – comme ceux qui ont contribué à l’exposition d’autres symphonies de Philippe Chamouard. Il ne s’agit donc pas d’une embardée contre IndéSENS!, label pour lequel je crois avoir marqué mon intérêt du mieux que j’ai pu, mais bien d’une réflexion à la fois connexe et habitée par une certaine conscience politique.
Bien entendu, si vous souhaitez rédiger une réponse et pointer l’erreur que j’ai pu commettre en imaginant que l’on n’allait pas en Bulgarie que pour la spécificité de la curiosité orchestrale – au sens : l’orchestre est curieux de pièces moins fréquentées par chez nous – mais aussi pour des raisons économiques, je ne manquerai pas de la mettre en ligne très rapidement, en bonne et due place.
D’autres appels irrités ont néanmoins plu sur mon répondeur, jusqu’à ce courriel presque amusant :
Vous allez recevoir dans les jours à venir deux CD de nos labels. Les labels ne souhaitent pas que vous écrivez un article. Merci de me les renvoyer. Je vous rembourse les timbres.
À 14 h 15, un nouveau SMS envoyé par courriel (si, si), tonnait :
Bertrand, il faut retirer l’article tout de suite de Facebook [où il n’est pas] et de votre blog SVP !
3.
Le bilan
Alors, soyons précis. J’adore recevoir du courrier (0’58), surtout des cadeaux – même si tout cadeau de ce type mérite remerciement, en l’espèce une chronique mobilisant quatre à cinq heures de travail a minima. Mais me croit-on si fétichiste, lâche et veule au point que je cède à un chantage grotesque entonné sur l’air du « sois gentil et t’auras des disques, ou alors », tiens, oui, ou alors quoi ? Au contraire, partant de cet écart d’appréciation et admettant que je pusse me leurrer, je trouvais fort belle l’occasion donnée à un producteur d’exposer, pour ce cas précis, ses contraintes, sa pratique, ses engagements sociaux, sa logique, etc. Ce type d’échange s’est articulé dans d’autres cas avec des artistes de haute volée.
Las, peut-être, cette fois-ci, première hypothèse, l’autre côté du disque a-t-il jugé le présent site trop peu important pour perdre son temps avec lui – et pourquoi pas ? Peut-être aussi, deuxième hypothèse, complémentaire, les interrogations soulevées ont-elles touché un point réellement sensible d’une certaine économie du disque orchestral. Peut-être enfin, troisième hypothèse, les menaces d’ester en justice pour des « informations opposables » étaient-elles censées m’effrayer d’emblée. Or, il m’est arrivé de rectifier une notule suite à une erreur ; ici, il n’y a pas d’erreur, il y a une question large sur l’impact de la délocalisation dans l’industrie de la musique.
J’ai donc proposé de laisser un « droit de réponse », comme je l’ai fait, dans certains cas, à un interlocuteur qui souhaitait apporter un autre éclairage. Le plus poussé fut celui accordé à Éric Roux, patron de la Scientologie en France, qui avait réagi à un entretien avec Cyprien Katsaris qui lui-même constituait un droit de réponse approfondi ! Lorsque l’on ne partage pas les mêmes opinions mais que chacun s’exprime avec dignité, pas en commençant par réclamer la destruction d’un document sous des menaces à peine voilées de procès, l’intérêt de l’échange me semble y gagner un chouïa. En l’occurrence, il est dommage que l’occasion d’écouter l’autre versant de l’affaire ait été écartée (voir la réponse fournie en fin d’article).
4.
La conclusion
C’est promis, d’autres critiques débarouleront bientôt sur ce site. Ébaubies, louangeuses, impressionnées, mitigées, furibondes, sceptiques, les six parfois pour le même prix gratuit, mais toujours debout et le plus honnêtement possible, avec mes compétences et mes naïvetés, mes critères partiaux et mon souci de rendre compte – car j’ai la clé, j’ai l’phono, j’ai l’sourire et, parfois, j’ai quelques choses à vous dire.
J’ai.
Moi.
Enfin, moi et d’autres, quand ils acceptent mon invitation et ont des témoignages saisissants, profonds, inattendus, pourquoi pas dissonants à partager avec un p’tit site et ses lecteurs. Quant à moi, malgré les menaces, provocations, messages comminatoires et enfantillages (« Merci de me renvoyer les CD, même en port dû ») fêtant mon retour du travail, j’ai deux convictions. D’une part, par ces temps de froide pluie, laissons pisser le mérinos ; d’autre part, tout cela passera, et nous n’avons qu’une vie. En attendant les suites, un seul mot d’ordre – les uns avec les autres, musique !
Update : le 31 octobre, à 20 h 30, j’ai reçu un énième courriel issu d’un « mail de Philippe Chamouard ». Le bref extrait, qui nous a été fourni sans contexte, disait – nous ne retouchons rien : « Oui, en effet, c’est scandaleux car l’orchestre à lui même fixe le budget global, que je nài pas discuté ni négocié. » J’ai répondu à l’intermédiaire que je publierai cette réponse même si, « à mon sens, elle ne répond pas vraiment à la question ». Partant, bouclons l’affaire :
- non, je ne retirerai pas la notule qui suscite cette folle (j’ai pas fini) envie de censure ;
- non, je ne renverrai pas les disques chroniqués – d’autant qu’ils ont monté un Comité Sud-CGT-FO sous prétexte qu’ils sont bien ici, avec leurs nouveaux potes, et que reprendre, c’est voler ;
- non, je ne répondrai plus aux vitupérations citées et à venir, notamment afin de ne pas me laisser entrer en tentation de malséance inspirée par tant de rodomontades et d’injonctions à mon sens peu adaptés ;
- et tant pis pour les disques que je ne découvrirai pas, nous trouverons d’autres sujets de posts facétieux, yalllllah !