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Décor de « L’Heure espagnole » : Florence Évrard et Caroline Ginet. Photo : Bertrand Ferrier.

Formidable association proposée par l’Opéra de Paris entre Maurice Ravel et Giacomo Puccini ! Ben oui, parfois, on va à Bastille pour assister à de grandes œuvres magnifiques et sublimes. Parfois, on y va pour entendre des compositions délicieuses et pétillantes. Ça ne doit pas être l’esprit opératique médian : l’opéra n’est pas plein. Incompréhensible car, ce soir, on va se goberger. En première partie, une femme veut désespérément profiter de l’absence hebdomadaire de son mari pour se faire niquer ; en seconde partie, un intrus va niquer tout le monde. Franchement, quel meilleur pitch proposer ?

Les scénarii

L’heure espagnole

Dans une Espagne dix-huitiémiste de pacotille (Franc-Nohain est l’auteur du livret, on se doute que l’on n’est guère dans la reconstitution historique, youpi), Concepción (Clémentine Margaine) se réjouit du départ de son époux Torquemada (Philippe Talbot). Elle va pouvoir niquer Gonzalve (Stanislas de Barbeyrac). Las, celui-ci lui déclame d’incessants poèmes. Elle espère se rattraper avec Gomez (Nicolas Courjal), mais il est coincé dans sa cachette. Finalement, elle aurait dû choisir le brave muletier (Jean-Luc Ballestra), si fort donc, n’en doutons pas, si sexe.

Gianni Schicchi

Dans une Florence du treizième siècle, aussi vraisemblable que l’Espagne précédente (livret de Giovacchino Forzano), Buoso Donati vient de crever. Comme son testament offre tout aux moines, la famille accepte que Gianni Schicchi (Artur Ruciήski) prenne sa place pour dicter, devant notaire, un nouveau testament. Chacun se retrouvera Gros-Jean comme devant, sauf les deux namoureux, Lauretta (Elsa Dreisig) et Rinuccio (Frédéric Antoun pour cette seule représentation).

Décor : Florence Évrard et Caroline Ginet. Photo : Bertrand Ferrier.

Les spectacles

Sur une base fouillis signée Laurent Pelly, dans l’esprit Deschamps de l’ancien Opéra comique, où certains éléments font le lien entre les deux mi-temps, les opéras ne font pas les malins. Foin des bergers allemands et des soldats nazis rappelant les plus sombres heures de l’histoire de la mise en scène ; en l’espèce, on est là pour servir l’opéra, donc pour faire rire éventuellement avec intelligence. L’équipe technique (Florence Évrard, Caroline Ginet que nous ouhouhtâmes jadis, Joël Adam, Agathe Mélinand) propose un duo de mise en scène qui va jouer d’abord sur la verticalité (Concepción demande que lui soient montées une puis deux horloges) puis sur l’horizontalité (la scénographie de Gianni Schicchi joue sur la profondeur, entre ce qui est hors-champ et dans le champ, et ce qui est représenté – la salle de deuil – et ce qu’elle représente – Florence et au-delà). C’est simple, charmant, pertinent.

L’excellent et modeste Maxime Pascal. Photo : Bertrand Ferrier, pas modeste, lui, alors que, bon, bref.

Le plateau

Le défi proposé aux chanteurs, dont la puissance vocale n’est pas la première caractéristique, reste de taille. Soyons précis : il s’agit de jouer deux farces… mais aussi de chanter du Ravel et du Puccini pendant deux fois une heure. Aucun des trois défis ne vaut dix minutes dans un Wagner, en termes de notoriété hyperclasse ; pour autant, aucun ne saurait être méprisé. Ne finassons pas : tous les artistes se soucient d’associer présence vocale et incarnation scénique. On apprécie le retour à Paris de la Carmen new yorkaise qu’est Clémentine Margaine ; Stanislas de Barbeyrac s’amuse et amuse en hippie impuissant ; et Jean-Luc Ballestra, sans charisme exacerbé, chante comme il faut son fier-à-bras.

Clémentine Margaine et Stanislas de Barbeyrac (costumes : Laurent Pelly). Photo : Bertrand Ferrier.

Dans la seconde partie, l’on retrouve les valeureux Philippe Talbot, dont nous applaudîmes jadis le Zizi avant de ouh-ouhter sans vergogne l’engagement moderniste, c’est dire notre peu de fiabilité, et Nicolas Courjal, jadis applaudi en Sultan, mais aussi de nombreux chanteurs étrangers (comme y a une grosse distribution, les agents doivent imposer leurs chouchous moins coûteux). Qu’importe, même si l’orchestre happe parfois – et pas forcément à tort – l’attention, le régal n’est pas moindre. Tous semblent soucieux de donner aux spectateurs leur content de rigolade. Artur Ruciήski (vu en Enrico et, toujours stachu, en Marcelo) maîtrise parfaitement les deux voix qui lui sont demandées (le pseudo mourant et le Gianni) ; les amoureux sont touchants à souhait : Elsa Dreisig propulse son grand air sans souci, et Frédéric Antoun, remplaçant de luxe qui lui sert de soupirant, est aussi crédible qu’elle. Tout cela est joyeux, et maîtrisé avec une fausse simplicité par le jeune Maxime Pascal. Mazette, quel plaisir !

Frédéric Antoun, Artur Ruciήski et et Elsa Dreisig. Photo énergique donc floue : Bertrand Ferrier.

La conclusion

Si, selon vous, l’opéra doit être ennuyeux, prétentieux et parler du nazisme quel que soit son sujet, promptement fuyez et vice et versa. Si vous lisez ce site donc que vous pensez le contraire, autant que nous puissions inciter qui que ce soit à quoi que ce soit, filez profiter de ces 2 h 22 de jubilation, incluant 30’ d’entracte (oui, on peut aller à l’opéra avec son sandegouiche et sa bouteille pour profiter de la pause sans payer, c’est tout à fait torisé, et les places les moins chères encore dispo sont optimales pour profiter du spectacle) : grande musique, bel investissement des artistes lyriques et des musiciens, aucune trahison dégueulasse de l’esprit farcesque dans la mise en scène, c’est pas si fréquent, à Bastille, peuchère, belleuh production !