Les Puritains, Bastille, 6 février 2025 – 1/2

Décor des « Puritains » de Vincenzo Bellini par Chantal Thomas (détail), le 6 février 2025. Photo : Bertrand Ferrier.
Et si, parfois, aller à l’Opéra, c’était passer un bon moment ? La question se pose tant les grandes œuvres dix-neuviémistes, singulièrement des Richards Strauss et Wagner, ont été massacrées par des mises en scène dont on a eu l’occasion d’évoquer quelques consternations. La reprise des Puritains réglés par Laurent Pelly n’est pas de cette eau-là, même si cela ne suffit pas à attirer les grandes foules – la salle est bien remplie mais loin d’être complète. Cela confirme le manque de sex-appeal de Vincenzo Bellini à Paris, après Beatrice di Tenda, recensé ici et là. En l’espèce, c’est dommage pour les absents parce que, comme susmentionné, les présents vont passer un bon moment.
L’histoire
Elvira (Lisette Oropesa, pieds nus peut-être parce que ça fait fantasmer, des pieds nus de femme ?), fille de Lord Gualtiero Valton (Vartan Gabrielian), est promise à Riccardo Forth (Andrii Kymach). Oui, bon, une fois pour toutes, les gens ont des prénoms italiens et des noms anglais, disons que c’est une convention, OK ? Grâce à Sir Giorgio (Roberto Tagliavini), son oncle, Elvira est finalement accordée à Arturo Talbot (Lawrence Brownlee), son lover boy. Hélas, celui-ci découvre qu’une prisonnière doit être exfiltrée pour être jugée et sans doute condamnée à mort. Cette malheureuse engeôlée, c’est Enrichetta di Francia (Maria Warenberg). Royaliste, il décide de s’enfuir avec elle pour la sauver. Elvira pense que c’est plutôt parce qu’il veut convoler avec une rivale. Elle en devient folle, fin de l’acte I (1 h 15).
Après la mi-temps des spectateurs, le petit peuple qui s’apprêtait à festoyer est dégoûté et maudit Arturo, désormais condamné à mort. Giorgio essaye de convaincre Riccardo de sauver son rival vu que, d’une, il l’a laissé s’enfuir avec la prisonnière en espérant ainsi récupérer Elvira, ce qui l’implique dans l’évasion ; et de deux, si Arturo est exécuté, Elvira périra d’amour. Riccardo reconnaît sa défaite et accepte de filer un coup de main, fin de l’acte II (45′).
Arturo revient, re-séduit Elvira, mais Riccardo n’a cure de sa promesse et arrête l’élu pour l’emmener à la mort. Sauf que la victoire des cromwellistes s’accompagne d’une amnistie générale, donc Arturo pourra épouser Elvira, et réciproquement, fin de l’acte III (40′).
Évidemment, pas un Français parmi les solistes, ce qui renouvelle notre proposition de limiter les subventions de l’État à l’institution – en plus, ça fera plaisir aux équipes de cette inculte de pensionnée-maire-ministre qui se prétend cultureuse. Bah, on dépense des millions pour former des musiciens, amateurs mais aussi professionnels, et, à l’arrivée, aucun Français ne serait digne de se présenter sur la principale scène lyrique hexagonale ?
- Lisette est américaine,
- Lawrence est lui aussi américain,
- Andrii est ukrainien,
- Roberto est italien,
- Manase est tongien,
- Vartan est canadien, et
- Maria est hollandaise.
Tous sont valeureux à leur aune, mais il serait parfois (val)heureux que l’opéra national français donne leur putain de chance à des gars de France, quel que soit leur sexe, puisque, pour l’essentiel, c’est la France qui paye et qu’elle n’est pas exempte de gosiers formidables. En d’autres termes, oui, ce racisme antifrançais, qui se reflète à la tête de l’Opéra, devrait finir par être choquant, et pas que sur ce site, et si le formuler peut choquer, eh bien, choquons.
Le spectacle
Après L’Or du Rhin, chroniqué ici et là, on est presque prêt au pire. Heureusement, celui-ci n’est jamais certain. Même ouï du fond de l’orchestre, face à cour, le prologue orchestral déroule un palimpseste appétissant.
- Plusieurs pupitres et groupes de pupitres se montrent à leur avantage ;
- l’orchestre affiche sa capacité – bien connue quand il est en forme – de jouer ensemble, ici sous la direction du chef et claviériste italien (surtout pas français, voyons !) Corrado Rovaris, qui fait ses débuts dans la Grande Maison ; et
- les contrastes qui vont bien sont cuisinés aux petits oignons.
Le lever de rideau révèle un décor de château stylisé en fer évidé, espace dans lequel Lisette Oropesa ne cessera de déambuler. Dès la première apparition du chœur, on note un souci de chorégraphie qui valorise l’effet d’ensemble. Malgré un son de clavier en plastique plutôt affreux pour figurer l’orgue, Manase Latu (Sir Bruno Roberton) lance le premier ensemble avec Elvira et Arturo, avant que le chœur des femmes, vêtues entre robes-toupies et costumes de dervichesses-tourneuses, n’entre pour hâter les préparatifs de la fête.
Sir Riccardo Forth, le loser de l’opéra, se voit offrir un premier air avec récitatif (« Oh dove fuggo io mai? ») une fois qu’il a compris que la partie était perdue. La voix d’Andrii Kymach est sûre et puissante, mais l’on regrette un vibrato à notre goût un peu trop relâché. À la détresse de son personnage, conforme aux topoi les plus éculés, l’orchestre répond avec délicatesse. In fine, la fine bouche pincée en anus de gallinacée se décrispe car
- souffle,
- présence et
- un chouïa de tension ou de prudence qui rend humain le soliste
dessinent une jolie aria. Roberto Tagliavini profite de son premier duo avec Elvira (« O amato zio, o mio secondo padre ») pour rassurer sa quasi fille. Lisette Oropesa semble n’en avoir pas besoin. Dès la première de cette reprise coordonnée par Christian Räth, elle paraît avoir déjà ses marques. En dépit d’un texte gonflé de clichés à presque en devenir comique (ha, l’obsession de la virginité pure et sans tache, qui aurait pu être kitsch voire, soyons foufous, poétique si elle n’était aussi instamment ressassée en boucle !), et malgré une direction d’acteur qui n’aura de cesse d’obliger le premier rôle à
- crapahuter dans le décor,
- s’agiter,
- surmimiquer,
- jouer l’ultrasensible à grands coups de Stabylo la fois inutiles et contreproductifs,
la chanteuse assume son double statut de vedette lyrique et d’actrice. Elle
- habite son personnage et la situation,
- laisse sa voix investir la partition
- (aigus,
- tenues,
- phrasés), et
- cisèle de parfaites synchronisations avec l’orchestre.
Roberto Tagliavini n’est pas en reste. Chez lui brillent notamment
- la sobriété de la posture,
- la richesse du timbre, et
- la clarté de la ligne de chant.
L’air content contant, haha, le retournement du père (« Ascolta! Sorgea la notte folta ») confirme
- sa prestance,
- son souci de jouer avec sa partenaire, et
- son plaisir de narrer.
L’orchestre persiste avec bonheur dans
- sa souplesse,
- sa précision et
- sa variété.
Tant pis pour nous si les déambulations d’Elvira nous fatiguent bien plus qu’elles ne fatiguent l’Américaine !

Lisette Oropesa (Elvira) et Ching-Lien Wu (chef des choeurs), le 6 février 2025 à l’Opéra Bastille (Paris 11). Photo : Bertrand Ferrier.
Le retour du chœur montre la phalange de Ching-Lien Wu en grande forme pour tonner : « Amor unisca beltà e valor ».
- Nuances,
- contrastes et
- netteté des ensembles
emballent avant même que Lawrence Brownlee ne se lance à son tour dans la danse. Grand habitué du rôle, le ténor pourrait cumuler les reproches.
- Il n’a pas le physique de l’emploi, euphémisme.
- Il semble souffrir d’un certain déficit de puissance.
- Son émission paraît un rien serrée.
Toutefois, c’est le début de la fête, et un troisième acte de fou furieux l’attend. Il ne peut probablement pas lâcher les chevaux de suite. Saluons donc plutôt le métier du gars, car, dès « A te, o cara »,
- le ton est juste,
- la voix est posée, et
- les aigus sont tenus,
augurant du bon pour le moment et, qui sait ? du meilleur pour la suite. La brève apparition de Vartan Gabrielian en Valton laisse aussi entrevoir de belles promesses pour ce membre de la troupe lyrique locale. Maria Warenberg, sa collègue de troupe campe une Enrichetta
- dépassée par la situation,
- promise à la mort et
- soucieuse de ne pas entraîner Arturo dans une fuite funeste.
L’on croit percevoir chez la troupiste un désir de ne pas trop en faire, scéniquement et vocalement. C’est un parti pris pertinent qui, s’il ne rend pas raison de tout son probable potentiel lyrique, respecte l’esprit dramatique de l’œuvre. Après son intervention, l’obsession de la pureté (surtout pour la femme, l’homme n’ayant qu’à trouver une excuse pour que l’éponge soit passée sur ses éventuelles turpitudes, ainsi que chacun sait ou devrait savoir) donne l’occasion à Lisette Oropesa de claquer un air remarquable (« Son vergin vezzosa in vesta di sposa »). On y admire
- la fraîcheur du timbre,
- le souffle sans limite,
- les jolis ornements,
- les envolées franches, et
- le vibrato parfaitement dosé et tenu.
Malgré un scénario digne d’un atelier créatif de MJC mené pendant les vacances d’été sous la houlette d’un animateur sans inspiration ou sous pilote automatique pour cause d’abus de rosé, Les Puritains captive l’assistance grâce à un compositeur roué alternant, d’une part,
- soli,
- duos,
- ensembles,
- présence du chœur mixte ou divisé par sexe,
- virgules instrumentales
et, d’autre part, récitatifs souvent nunuches mais préparant le terrain pour des airs de bravoure à tomber. Quand Riccardo, au lieu de lancer un vrai duel avec Arturo, comprend qu’il a tout intérêt à le laisser déguerpir, c’est la folie pour Elvira (« Non sono più Elvira? »). La fin de l’acte est grandiose et néanmoins presque poignante (« Ma tu già me fuggi? »), excitant l’appétit tant pour l’en-cas de l’entracte que pour la seconde partie du spectacle, que nous évoquerons dans une prochaine notule !
D’autres critiques évoquant Lisette Oropesa
Nanetta dans Falstaff, 2017
Marguerite dans Les Huguenots, 2018
Adina dans L’Élixir d’amour, 2018