Les grands entretiens – Jean-Nicolas Diatkine 4
Quel est le rapport entre Sharon Stone et Wilhelm Furtwängler ? entre une tortue sous-marine et le bois de santal ? entre un verre de whisky et l’esprit critique ? entre la course automobile et la musique classique ? entre un taureau et un ingénieur du son ? Jean-Nicolas Diatkine dévoile le fin mot de ces mystères et de quelques autres presque aussi insondables afin de nous expliquer comment un artiste indépendant enregistre un disque de piano. Amis du sport et de la musique, bienvenue dans la suite de notre entretien entamé avec les trois épisodes ci-d’sous !
- Se comprendre et comprendre une œuvre
- Se construire et construire un programme
- Se déployer et déployer une interprétation
Défi 4.
Se découvrir et découvrir de nouveaux horizons
Après les trois premiers défis qui permettent de mieux saisir votre travail devant une partition, passons au concret, si vous le voulez bien. En effet, vous ne vous contentez pas de décrypter et de travailler Beethoven, Chopin et les autres : vous les enregistrez aussi – quel scoop ! Comment abordez-vous la phase de captation, moment crucial que certains artistes jugent ingrat ? Et comment décririez-vous l’énergie particulière et spécifique qui vous parcourt quand vous vous retrouvez face aux micros ?
Je vis mal de me retrouver face aux micros, bien que j’aie attendu ce moment avec impatience, et bien que j’aie créé les conditions pour qu’il advienne.
Alors pourquoi ?
Parce que l’enregistrement, c’est très cruel. Pour moi, ce n’est pas un moment ingrat comme vous le soupçonnez : c’est un moment de cruauté. C’est un peu comme se regarder dans la glace en se demandant si on est beau. En studio, il n’y a qu’une piste à suivre pour désamorcer ces difficultés : il faut trouver une astuce pour sortir des contraintes qui nous paralysent.
« Lorsque l’on est concentré sur la musique, on oublie tout »
Ainsi réapparaît votre confiance en l’équilibre que vous avez évoquée précédemment : un problème n’est effrayant que si l’on ne présuppose pas qu’il n’y a pas de problème sans solution. Or, dans votre démarche artistique, ce qui est le plus problématique, ce n’est pas de voir le problème, c’est de ne pas voir le problème. Pour vous, une fois qu’il est défini, fût-ce intuitivement, le problème n’est pas un problème, c’est le début de la solution !
En tout cas, j’essaye de partir du problème pour retrouver la pulsion de vie essentielle du morceau que je dois jouer. L’objectif est d’éviter se centrer sur le narcissisme, consubstantiel au fait de s’enregistrer.
La difficulté de l’exercice est que, j’imagine, toutes les expériences ne se ressemblent pas. Plus on retourne en studio, plus on découvre que l’on n’a pas résolu le problème : le problème est multiple, il change tout le temps…
Il est vrai que j’ai vécu systématiquement des expériences différentes pour chacun de mes disques. Le problème a toujours su inventer des variants au virus de base ! Pour plaisanter mais pas que, je dirais que j’ai parfois l’impression que l’univers s’est donné le mot pour me surprendre et me dire : « Hé non, ça ne sera pas comme avant. Ton vécu ne te sera d’aucun secours. » Ma première expérience était centrée sur la Sonate en si mineur de Franz Liszt, à Sion, avec des techniciens très gentils, beaucoup de réverbération et un sublime décor de montagne. J’avais choisi de commencer les séances par les Kreisleriana de Robert Schumann. Quelle sottise ! On ne peut pas enregistrer cette pièce de but en blanc, alors que, émotionnellement, on est froid. En même temps, il faut toujours commencer par quelque chose… Donc j’ai dû revenir à Schumann à la fin des séances et, là, ça s’est ouvert alors que ça s’était refusé jusqu’ici. Pour jouer cette musique, il faut être chaud et fou. Il ne faut pas être dans le calcul et la prise de risque très timorée. Le plus gros danger, c’est de trop maîtriser parce que l’on est intimidé par les micros.
Pourquoi est-ce dangereux ?
Parce que l’on n’est pas soi-même. On est trop contraint. Heureusement, il y a l’œuvre.
D’autant que vous avez une préférence pour les gros morceaux – ce que le pianiste normalement constitué appelle, dans sa musicologie personnelle, les « trucs injouables » !
En effet, on me demande parfois pourquoi je me coltine des bêtes de cet acabit.
Fanfaronnade ?
Paradoxe.
Bon, d’accord, vous avez gagné. Expliquez-vous, avant que l’on entame une partie de Kamoulox.
Les chefs-d’œuvre d’une grande complexité m’aident dans l’épreuve de l’enregistrement. Ce sont des œuvres d’une force incroyable. Plus il y a de force dans l’œuvre, plus on s’oublie. Or, en studio, le risque est toujours de ne pas s’oublier. Je pense beaucoup à Sharon Stone à qui une apprentie actrice issue d’un milieu très religieux demandait comment elle avait pu tourner la scène la plus osée de Basic Instinct ; et elle a répondu cette chose extraordinaire : « Si vous tournez une scène de nu en pensant que vous êtes nue, c’est que vous n’êtes pas concentrée. » Cette phrase m’a beaucoup aidé car, à la réflexion, il est certain que, lorsque l’on est concentré sur la musique, on oublie tout. Le piano. Là où on est. Les micros. Mieux : on s’oublie soi. À l’inverse, quand on est en train d’essayer tout maîtriser, on n’est plus dedans. On n’est plus dans la musique.
« Cette fois, une seule personne avait raison : moi »
Vous laissez entendre que, si l’on veut analyser ce que l’on joue, on est fatalement à l’extérieur de la musique… laquelle exige, au contraire, d’être jouée de l’intérieur ! Peut-être voit-on ici la logique de votre démarche analytique : s’il faut réfléchir à l’interprétation, tempi et intentions compris, c’est avant, pas au studio. Votre deuxième expérience discographique a-t-elle confirmé cette cartographie diachronique (si, si) de l’art d’enregistrer ?
Pour mon deuxième disque, j’ai pris mes quartiers à la salle Colonne. Les conditions étaient presque complètement différentes de celles que j’avais connues à Sion. Le piano était toujours magnifique ; l’équipe était toujours très sympa ; en revanche, la réverbération était nettement moindre… et les deux parties de mon programme ne me facilitaient pas la tâche tant elles étaient différentes. D’un côté, il y avait Beethoven, un compositeur qui vous « fait devenir », comme dit Wilhelm Furtwängler, c’est-à-dire un compositeur qui vous installe puis vous développe ; de l’autre, j’avais choisi Schumann, qui est toujours dans un état post-hallucinatoire, d’où une musique fantasque, imprévue, surprenante. Bref, il s’agissait de deux mondes résolument distincts ; et il me fallait néanmoins passer de l’un à l’autre. C’est comme Peter Sellars dans Docteur Folamour de Stanley Kubrick, où il joue trois rôles. Il était même prévu qu’il en interprétât un quatrième – il l’a refusé en expliquant que c’était trop lourd. Ce pari audacieux résonnait avec ce que je ressentais en enregistrant Beethoven et Schumann dans la foulée. Nouveau disque, donc nouveaux apprentissages !
Comment s’est passée la captation du disque Schubert à Berlin ?
Très différemment, à cause du compositeur. Pour jouer du Schubert, il ne faut pas s’interrompre. Du coup, on ne sait pas si on joue beau ou bien. Toute la concentration est mobilisée par l’œuvre. C’est comme le rêve, quand on se réveille et que l’on veut refaire ou poursuivre l’histoire. Si vous vous risquez à ça, vous ne rêvez plus, c’est fini. Donc, pour cet enregistrement, j’ai souhaité rester dans le jeu. Je ne voulais pas m’écouter. Si je m’étais écouté, j’aurais crevé la bulle schubertienne où je souhaitais me lover.
Il vous fallait néanmoins un contrôle…
J’avais mis mon sort entre les mains d’un directeur artistique – pas le pire : j’avais choisi Martin Sauer, de Teldec, une pointure qui sait ce qu’il veut. Ce choix acté, je me suis laissé complètement manipuler par lui. Ne lui avais-je pas accordé ma confiance ? À moi les doigts, à lui les oreilles. Le résultat a été assez surprenant.
Si bien que vous avez choisi un nouveau mode de fonctionnement pour votre dernier disque.
Oui, et c’était encore pire puisque j’ai décidé qu’une seule personne aurait raison : moi. Donc je n’avais pas besoin d’aller vérifier ou de réécouter. Je savais ce que j’avais joué de correct et ce qui serait moins utilisable.
Le paradoxe, quand on a toujours raison, n’est-il pas que l’on peut se tromper ?
Évidemment, je me suis peut-être trompé ! Mais mon aplomb s’entend, me semble-t-il, comme on peut parfois entendre le manque d’assurance de certains collègues. Pour ce disque, j’ai décidé de dire plutôt une chose fausse avec aplomb qu’une chose juste en n’en étant pas certain.
« Je veille à ne pas virer maniaque »
Êtes-vous méticuleux jusqu’à intervenir dans les détails techniques de la captation, ou laissez-vous plutôt libres l’ingénieur du son et les hommes de l’art ?
Pour moi, l’important, c’est le point de départ. Je dois expliquer la couleur que je souhaite, et nous devons obtenir ce qui s’en approche le plus. Quand j’entends le son, je sais immédiatement si c’est ça ou pas. Je n’ai aucun doute. Je sais trop ce que j’espère entendre. Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur le son, je ne remets plus en question les réglages.
Pour les amateurs d’horoscope, sera-ce votre côté taureau ?
Oui. J’assume la responsabilité. C’est logique, non ? Je choisis le piano, la réverbération, la couleur ; après, je fonce et laisse l’ingénieur naviguer dans son espace. Je ne change jamais de son en cours de route. La seule chose que l’on a faite, pour le premier disque, consistait à modifier légèrement la couleur du piano entre Schumann et Liszt. J’aurais préféré changer d’instrument, mais c’était inenvisageable. On a refait ça aussi entre Schubert et Brahms, car je voulais un rendu plus rond pour le second. Mais je veille à ne pas virer maniaque ! Dans ce domaine, le meilleur conseil m’a été donné par un ami metteur en ondes à Radio-France, quand il m’a dit : « Si tu réécoutes ton disque, prends un whisky et pense à autre chose. »
À défaut d’être maniaque, vous êtes le producteur de votre disque après avoir esquissé un label appelé JND. Cette position fait sens. Jadis, l’autoproduction n’était qu’un faute-de-mieux : personne ne veut de moi, je vais m’en occuper seul. Aujourd’hui, elle est devenue monnaie courante (peut-être parce que la monnaie n’est pas si courante, justement) et, souvent, signe un engagement personnel et une revendication de liberté propre à l’artiste. Travailler avec une production extérieure doit être plus confortable mais exiger des compromis parfois douloureux ; à l’inverse, se produire, fût-ce au creux d’un label installé comme Solo musica, doit offrir à la fois plus d’indépendance et plus d’inquiétudes non-musicales. Comment le musicien que vous êtes dialogue-t-il avec le producteur que vous êtes aussi ?
Pour le disque Schubert-Brahms, une production extérieure était à l’étude. L’équipe qui la portait souhaitait idéalement entendre les huit Impromptus de Schubert. Comme nous avions travaillé ensemble sur un autre projet, j’étais plutôt enclin à céder à leur demande. Cependant, après réflexion, j’ai estimé que c’était impossible. Huit impromptus de Schubert à la file, je trouve ça indigeste. Je suis donc reparti dans mes questionnements sur l’équilibre d’un programme, et j’ai décidé de jouer, d’une part, les quatre Impromptus op. 142 que je n’avais jamais joués, ce qui représentait un gros défi ; et, d’autre part, j’ai décidé de mettre exactement le contraire. Comme n’aurait pas dit Verdi, c’est ça la force du destin : quand un musicien se retrouve producteur, la nécessité musicale est devenue primordiale.
« On est loin de la course automobile »
Vous n’avez jamais été tenté par le côté rassurant et plus visible d’un disque produit par une major ?
Je n’ai pas de position tranchée sur la question. À un moment, la porte s’est entrouverte, mais l’affaire ne s’est pas concrétisée.
Vos interlocuteurs ont été gagnés par une certaine frilosité ?
Il faut admettre que, financièrement parlant, le classique, ça ne rapporte rien. Même chez les majors. Pensez ! Certains organisateurs de concerts gagnent de l’argent en gérant des courses de voitures ou des événements liés au football… et viennent le dépenser en investissant énormément sur les têtes d’affiche de la musique classique. Ils ne gagnent pas d’argent grâce aux concerts ou aux festivals ; ils vivent grâce à d’autres domaines.
Bon, puisque c’est la solution, soyez honnête : organisez-vous des courses de voitures ?
Non. Quand je dois produire un disque, c’est parce que je ressens plus qu’une nécessité musicale : un impératif. On est loin de la course automobile ! Ce n’en est pas moins bizarre… De temps en temps, je me demande si ce que je fais est bien raisonnable. Puis j’en conclus que, si je choisis d’enregistrer un nouvel album, c’est que j’ai trouvé une singularité. Sinon, ce n’est pas la peine car, je vous l’accorde, j’enregistre des pièces qui ont été enregistrées plus de mille fois. Il n’y a qu’une manière de justifier la folie de les graver à mon tour : cela m’est nécessaire. À moi. C’est totalement égoïste, mais cela me paraît faire totalement sens.
Peut-être ce que vous appelez « égoïsme » doit-il lutter contre votre modestie. En effet, vous produisez votre disque, ce qui laisse imaginer que vous allez vous échiner pour le rendre incroyablement visible. Or, non, vous n’êtes pas un artiste 2.0. Votre production n’est pas assise sur un crowdfunding. Votre site est désactivé. La dernière vidéo sur votre chaîne YouTube date d’il y a quatre ans… et elle ne parle pas de vous. Je ne sache pas qu’Instagram ou TikTok vous tente particulièrement. Est-ce, par exemple, par désintérêt, volonté de se concentrer sur la musique, désamour prudent devant le jeu parfois délétère des réseaux sociaux, ou manque de conviction sur ce que la cyberautopromotion, fût-elle déguisée, peut apporter à un artiste ?
C’est un peu un mélange de ces hypothèses. Je dirais déjà que je suis conscient de ne pas être un pratiquant frénétique de l’autopromotion, activité qui est assez incompatible avec ma nature. Mais, attention, je me soigne ! Pour ce disque, je travaille, côté promotion, avec Laurent Worms ; un producteur devrait se charger de mon prochain concert salle Gaveau ; bref, je préfère déléguer la promotion aux gens dont elle est le métier. D’autant que je n’ai jamais été très bon dans l’exercice. Vous expliquer pourquoi, j’en serais incapable.
À cause du temps ?
Bien sûr, il en faut beaucoup, pour s’occuper correctement ce genre de joyeusetés ! Peut-être aussi parce que la substance du message qu’il faut penser et faire passer est : « Achetez-moi parce que je suis meilleur que les autres. » Et on est obligés d’en être convaincus, sinon on ne peut pas se vendre !
« Facebook n’a aucun impact sur le remplissage des salles de concert. Aucun, aucun, aucun »
Avez-vous réussi à élaborer des pistes pour vous visibiliser néanmoins ?
Je sais que je pourrais réactiver mon site, mais je ne suis pas tout à fait convaincu de l’intérêt d’une telle tâche. J’essaye plutôt de créer un cercle vertueux alternatif. Des rencontres. Des projets. Des voies de traverse. Parfois, ça a « bien marché ». Par exemple, quand j’ai accompagné des chanteurs, j’ai enchaîné les dates… grâce à eux, car ils avaient déjà leur système. Aujourd’hui, la question serait : à qui je veux m’adresser et comment ? Je pense à cela aussi à l’autre bout de la chaîne, par rapport à la critique. Quand le temps passe et que vous relisez les articles qui ont été écrits sur vous, vous ne pouvez pas être insensible si vous pensez que des gens vous ont écoutés avec cœur et raison, et ont émis un avis motivé voire juste sur votre travail. De là à aller chercher les spectateurs un à un…
Malgré votre mea culpa sur votre frilosité 2.0, reconnaissons que vous avez quand même une page Facebook…
Une page et un mur, s’il-vous-plaît. J’essaye de les nourrir tous les deux, et je ne crois pas à avoir à rougir sur ce plan ; mais je préfère penser que ce que je fais de mieux pour l’autopromotion, c’est le disque.
Justement, pour le vendre, vous pourriez vous montrer devant votre piano, ou muni d’un café au bord du prochain train que vous allez prendre, ou vous pourriez demander à vos fans de prendre en photo leur exemplaire dans une situation pittoresque… À l’évidence, vous ne souhaitez pas user de ce type de communication ou faire rêver le pékin avec votre vie d’artiste !
Je n’ai aucune idée de ce que je devrais faire. Ne croyez pas que peu me chaut, j’ai travaillé avec des communicants. L’une d’elles m’a poussé à beaucoup communiquer sur Facebook. Ça n’a eu aucun impact sur le remplissage des salles de concert. Aucun. Et, quand je dis « aucun », ce que je veux dire, c’est « aucun, aucun, aucun ». C’est impressionnant. Deux mondes parallèles semblent s’approcher sans jamais qu’une once de porosité n’apparaisse et ne m’encourage à poursuivre dans cette voie. J’avais l’impression d’être un avatar qui parlait à d’autres avatars. Donc je me suis posé la question de savoir si on existait « pour de vrai » sur Facebook, ou si ce n’était que fumée. Les résultats que j’ai obtenus m’ont amené à privilégier la seconde hypothèse, bien que je me pose encore des questions.
« J’ai eu énormément de chance »
Tout pousse à penser que vous préférez le concret, ce qui n’est certes pas une insulte. Jusqu’en 2020 exclu (alors que la Vingt-huitième sonate de Beethoven, que vous vous apprêtiez à enregistrer, était au programme), vous avez créé la tradition du concert diatkinien à la salle Gaveau. En dehors de sa nécessité musicale, votre nouveau disque (l’anagramme s’impose : encore plus concret qu’un concert !), est-il aussi une manière de garder le lien que vous avez su tisser avec votre public, en dépit de l’incompréhensible interdiction persistante des concerts ? Ou est-ce davantage une astuce pour conserver votre exigence artistique alors que, sans concert et sans disque, un virtuose pourrait s’acoquiner avec celui que Georges Bernanos, dans Les Grands Cimetières sous la Lune, appelait « le démon de [s]on cœur », le seigneur « À-quoi-Bon » ?
Je vous dois un aveu. J’ai eu une chance merveilleuse de porter ce projet à ce moment. Comme le programme Beethoven était inscrit dans mon timing artistique, Laurent Worms m’a suggéré d’enregistrer. J’ai accepté parce que j’ai confiance en lui. Nous sommes tous deux dans une démarche qui n’est pas utilitaire, mais artistique, avec des questions sous-jacentes comme : est-ce que le projet paraît signifiant et mûr ? J’ai pris conscience que je n’aurais plus d’autres occasions d’être aussi habité par un programme que j’avais dans les doigts et qui, au moment où l’idée affleure, était bouillant.
Vous dites parfois que vous avez le sens du moment.
Je le crois, même si le confinement a retardé le projet ! Malgré cela, j’ai eu la chance de traverser la frontière pour aller à Vienne et à Munich. Je suis aussi tombé malade – très légèrement, par chance encore ou parce que j’ai quelques défenses, aussi. Et, pourtant, le disque s’est fait. Quand je revois l’année 2020, je me rends compte que j’ai été, sur ce plan, un peu veinard… Non, tant pis pour la répétition, je dois l’admettre : j’ai eu énormément de chance, qui plus est pour travailler dans des conditions optimales d’enregistrement. En bouddhisme, il existe une parabole mettant en scène une tortue borgne qui vit dans l’eau. La tortue remonte du fond des mers une fois tous les trois mille ans et qui, pour se réchauffer le dos et se refroidir le ventre, doit trouver un morceau de bois de santal exactement à sa taille. Quelle est la probabilité pour qu’une telle tortue trouve un tel bois de santal tous les trois mille ans ?
Vous avez été la tortue la plus chanceuse de l’histoire de la tortuité ?
Peut-être. Avoir trouvé cet endroit, à Raiding, près de Vienne, était une bénédiction. Avoir pu concrétiser le projet malgré le confinement, une autre. Du coup, je n’attends rien. Je suis déjà infiniment reconnaissant de la chance que j’ai déjà eue. Vu le contexte général et celui de ma propre vie, a posteriori, je trouve que l’existence du disque est joyeusement incroyable.
À suivre !
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