Les Discours, 7 décembre 2017, Église évangélique allemande (Paris 9)
Un beau concert, un programme ambitieux, un ensemble plutôt cohérent… et néanmoins, admettons-le, Denis Comtet sera le personnage central de ce post. Couteau suisse DeLuxe de la musique, il est virtuose du piano et de l’orgue, chef de chœur et d’orchestre admiré dans toute l’Europe, et en sus artiste généreux – si, c’est l’un des premiers à avoir accepté de donner un concert magistral à Saint-André de l’Europe en dépit d’un cachet rigolo (quand c’est pas toi qui le touches).
Oui, pas de cachet, ça va.
Donc, quand ce musicien formidable et ce chef fascinant ses ouailles – à l’époque où il suppléait sporadiquement Lolo, force chanteurs d’Accentus nous confiaient leur joie d’être dirigés par lui plutôt que par leur grande cheftaine adorée – décident de se poser à Paris pour diriger un concert de l’ensemble vocal Les Discours qu’il coache, nous y courûmes – qui plus est pour un concert a capella, un genre dont nous sommes friand, et pour un projet qui fait un effort de problématisation : il s’agira ici de « Nuits d’hiver », dans un sens large incluant tranquillité, Scandinavie, « quiétude jubilatoire » et ésotérisme.
D’emblée, toutefois, reconnaissons un défaut patent au discours des Discours : la langue de bois. Pâteuse, même, la langue. Disons donc langue pâte de bois, vue la bio du combo : « À l’origine des Discours, un noyau de chanteurs issus d’un même parcours musical et animés par le désir de chanter un répertoire intimiste. » C’est sans doute beau comme du Macron si on pense que cet infâme banquier produit du beau ; sinon, ça sonne comme une insulte aux êtres sensés, capables de se rendre compte que cette phrase n’apporte, juste, aucune information tout en prétendant le contraire.
Certes, la présente notule aspire à rendre compte d’un concert, pas d’une piètre tentative de noyer un poisson qui n’en demandait pas tant. Mais c’est aussi l’occasion de rappeler aux rédacteurs de programme que pourquoi cacher ? Les codes sont connus, surtout en musique ! Ne dis rien si t’oses pas, embellis si tu t’amuses, assume si tu penses qu’un prix de CNSM ne fait pas tout, mais jouer au pipeauteur, franchement, c’est médiocre. Un détail, oui, mais un détail qui ne rend pas justice du travail musical accompli.
Au programme, ce soir-là, le grand écart cher à cet ensemble : Renaissance et musique du vingtième siècle. Articulé en deux mi-temps, à la fois bref et riche, le concert, passionnant contrairement à ce que pourrait laisser supputer le préambule de cet articulet, propose d’abord une alternance entre Roland de Lassus et modernité bien tempérée – en l’espèce, « O sacrum convivum » d’Olivier Messiaen et les « Quatre motets pour le temps de Noël » de Francis Poulenc. D’emblée, malgré des attaques liminaires parfois perfectibles, on est frappé par l’équilibre des voix, en dépit de la modularité de l’ensemble (si nous avons bien compté, sept voix féminines, sept voix mâles, même si quinze chanteurs sont crédités et tous ne sont pas toujours sollicités). Seule nous chagrine une soprano 1, dont la propension à se mettre en avant même dans les ensembles paraît tout à fait excessive et inappropriée.
La seconde partie du programme explique en partie notre regret. La dame est la soliste du troisième Rechant d’Olivier Messiaen, qui succède à une troisième pièce de Roland de Lassus et une première de Jan Pieterszoon Sweelinck. Bien qu’elle apparaisse comme formatrice en technique vocale à la prestigieuse antenne de la Maîtrise vocale de Radio-France de Bondy, l’acidité de son timbre, ses difficultés de justesse et l’incapacité apparente de l’artiste à se fondre dans un groupe nous déçoivent. Ce nonobstant, cela ne doit en rien celer notre plaisir à ouïr deux types de musique que nous aimons fort, et qui se retrouvent ici, sous le regard et l’ouïe de Vincent Rigot, grantorganissépianiss planqué à la tribune, particulièrement valorisées par l’exigence et la précision de la direction comtétique… et l’engagement de l’ensemble Les Discours. Pas suffisant, soit, pour convaincre que, même gentiment spatialisé, le remix banal de Praetorius par Jan Sandström, façon « Immortal Bach » de Knut Nystedt comme nous le notions tantôt, relève de la grande composition. Mais assez pour mériter les applaudissements, partant l’exigence de bis, qui saluent le travail d’un ensemble sciemment mystérieux, où l’auditeur peut préférer la discrétion efficace des voix graves et la modestie de certaines voix aiguës aux excès disgracieux, as far as we’re concerned, d’Anne-Laure Hulin.
Notons pour finir que, lors de ce concert à entrée libre, l’association a la bonne idée d’offrir aux spectateurs un programme abondant, incluant contextualisation, texte et traduction. Cette aide au concert, fût-elle entachée de stéréotypes inutiles (« Francis Poulenc grandit dans une famille aisée, ce qui lui permet d’avoir une éducation musicale »), est très appréciable en cela qu’elle témoigne d’une volonté de permettre à chacun de participer pleinement tant de la musique que de sa substance. Bien ouèj, et même yo.