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Décor final de Rufus Didiszus (détail). Photo : Bertrand Ferrier.

 

Ce devait être une belle soirée, bien qu’elle soit mécénée, et hop, par Eiffage.

  • Du Offenbach, déjà, avec du tube dedans – du Offenbach, donc, et à Garnier en plus !
  • Une présentation convaincante de Barrie Kosky.
  • Un récit plus loufoque que drôle, avec une trentaine de solistes, un grand orchestre et le chœur maison. What else?

La déception est à la hauteur de cette espérance. La faute au premier chef au thomas-jollysme dans lequel patauge et se fourvoie cette nouvelle production. Alors on va faire une première notice générale, puis on racontera l’histoire qui nous a inspiré cette chronique.

 

Du danger du thomas-jollysme

Longtemps, les amateurs de théâtre et d’opéra ont eu droit à l’olivier-pysme, avec ses ingrédients principaux :

  • néons,
  • praticables,
  • messages écrits,
  • danseurs avec ou sans zlops,
  • convocation des symboles catholiques pour fricoter avec le blasphème,
  • présence de soldats nazis presque obligée, et
  • esthétique homosexuelle souvent sans rapport avec le sujet.

Le thomas-jollysme a prolongé ce phénomène en reprenant d’abord, comme nous le pointions sans excès de clairvoyance jadis, de nombreux marqueurs pystes

  • (néons,
  • écriteaux,
  • praticables,
  • codes gay)

puis en les simplifiant et en les grand-publiquant. C’est dans cette veine – désormais intégrée par une large France qui fait un triomphe au télécrochet des drag queens proposé par la télévision publique et à sa déclinaison sur scène – que se situe Barrie Kosky, homosexuel revendiqué et metteur en scène de ces Brigands.

  • Certes, l’œuvre d’Offenbach utilise largement le motif du déguisement, mais celui-ci n’est jamais réductible à une esthétique de bar à putes ou de backroom du Marais, et pas souvent compatible avec lui (ha ! si, a minima, les metteurs en scène respectaient le principe du primum non nocere !).
  • Certes, l’œuvre d’Offenbach est souvent joyeuse et farfelue, mais ce farfelu-ci ne saurait se réduire à un étalage de
    • perruques pour supporters décérébrés (pour supporters, donc),
    • T-shirts résille et
    • slips à paillettes pour danseurs se donnant des coups de cul.
  • Certes, l’œuvre d’Offenbach utilise ponctuellement des femmes pour chanter des rôles d’hommes, conformément à la tradition, mais ceux-ci sont clairement circonscrits.

Ainsi, Falsacappa peut se déguiser en carmélite, mais il joue avec son déguisement pour amuser ses affidés, il ne se prend pas pour une drag le reste du temps – la tension entre le stéréotype du chef et la réalité de l’homme qui dépend pour beaucoup de sa fille passe par cette évidence. De même, Antonio, le caissier, est un homme, pas une femme – accessoirement, c’est aussi un chanteur lyrique, pas une fredonneuse pour radio publique à qui il a été décidé d’offrir une tribune suscitant un sentiment bien plus fort qu’une simple gênance – peut-être de la gerbance.

 

Des avantages du thomas-jollysme

Contre toute espérance, ces inepties sont possibles. Par quel miracle ? Simplement parce que le thomas-jollysme jouit de trois avantages.

  • Le premier avantage est de permettre une lecture savonnée et à grands traits de l’œuvre à mettre en scène, puisque les codes gay voire drag sont censés éblouir le spectateur par
    • leur originalité supposée (super ! un chef des brigands drag queen, mais quel yéni, messs amisss !),
    • leur extravagance canaille ou
    • leur inadaptation roborative.
  • Le deuxième avantage est qu’il peut s’appliquer à n’importe quoi puisque le support n’a plus d’importance. Il ne s’agit pas d’apporter un nouvel éclairage sur une œuvre qui n’en demande surtout pas tant ; il s’agit de répéter toujours le même éclairage (ou la même enténébration, c’est selon), et d’écraser l’opéra sous une esthétique bien en cour, passe-partout, tortillant du popotin en se prétendant inclusive et moderne alors que, dans les faits, elle n’est que
    • paresseuse,
    • hors sujet et
    • incapable de rendre la finesse des ressorts humoristiques ici au travail.
  • Pourtant, il serait malaisé de s’offusquer que Barrie Kosky peinturlure Les Brigands à grands traits, dans une effervescence dont la joie sonne faux. En effet, c’est là que le troisième avantage du thomas-jollysme entre en jeu : contester sa pertinence, sa justesse et son omniprésence étouffante dans les commandes publiques expose à l’accusation d’homophobie, à peine moins ostracisante que celle d’antisémite (avec Barrie Kosky, c’est le strike).

La farce suintante de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, jeux cités pendant Les Brigands grâce au texte écrit pour l’occasion (on explore le répertoire parce qu’il est palpitant, mais on le modernise parce qu’on vaut mieux que lui, m’enfin), a rappelé qu’il est peu ou prou interdit d’exprimer sa consternation devant le thomas-jollysme. Il est choquant d’être choqué quand, sur les scènes opératiques, la vie, artistique ou pas, commence ou finit à la Techno Parade et assimilé. En réalité, il n’y a rien de moralement révulsant à estimer qu’il est triste et écœurant de voir Les Brigands représentés avec tant de moyens et si peu d’exigence. Pourquoi le critique devrait-il craindre d’être désigné à la vindicte des Défenseurs autoproclamés de la Morale Moderne ? Au contraire, il faut repousser cette anticipation inquiète car quiconque sortira son cerveau de ses chaussettes constatera que, ici, le problème n’est pas l’homosexualité ni même ses codes.
Non, le problème est que ces topoi sont à la fois banals et dissonants par rapport à l’œuvre. Banals car souvent vus sur les grandes scènes d’Europe pour illustrer tout et n’importe quoi, donc rien mais beaucoup. Dissonants car nullement en harmonie avec l’opéra concerné. En l’espèce, banalité, avec un “b”, pas pu m’en empêcher, et dissonance sont complémentaires : les mêmes codes, plaqués sans autre raison qu’une idée de la modernité conforme à ce que les grands subventionneurs subventionnent, ainsi que des pulsions personnelles,

  • peuvent choquer dès lors qu’ils sont tartinés sur des scènes qui valent mieux que ça,
  • rabaissent des œuvres exceptionnelles ou puissantes en les plongeant dans la fange d’un convenu auquel elles sont étrangères, et
  • brident des artistes souvent soumis aux désirs stupides de metteurs en scène thomas-jollystes qu’il leur faut de surcroît trouver “particulièrement intelligents et à l’écoute” sous peine, à quelques exceptions près, de ne plus être programmés pour incompatibilité d’humeur.

Non,

  • cette révolte,
  • ces hauts-le-cœur,
  • cette lassitude aussi

n’ont rien d’homophobes. Ils relèvent, je le crois, d’une forme de lucidité attristée, et je ne vois guère pourquoi il serait malsain de partager une telle intuition. Une telle conviction. Un tel désarroi, surtout.

 

À suivre : le récit de la représentation !