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Ce siècle avait 83 ans quand l’Orchestre de chambre du conservatoire américain de Fontainebleau a gravé le disque fêtant le centenaire de l’institution – France Musique a marqué le coup lors d’une émission diffusée en février. À la baguette, même dans des pièces où, en général, le chef n’est plus persona grata, Philippe Entremont, que l’on a connu pianiste et chef. Au programme, Vivaldi et Verdi.
Du prêtre roux, la musique d’attente jadis préférée par les administrations pour impatienter les clampins, id sunt les Quatre saisons. Capter les quatre concerti sans doute les plus enregistrés du monde pourrait paraître audacieux si l’on se situait dans une perspective musicologique. Le projet prend néanmoins son sens si l’on envisage l’affaire sous un angle festif, censé réjouir l’oreille en dépit de l’usure du propos conduisant parfois à d’étranges extensions de son domaine comme nous l’avions jadis expérimenté.
Acceptons donc le plaisant augure, après tout pas moins digne qu’un projet ultrasapiental si l’on considère que la musique est d’abord utile pour faire jubiler son auditeur ; et entrons dans le Printemps (RV 269) extrait du « ciment de l’harmonie et de l’invention ». Malgré une prise de son sur le vif pas au niveau des standards actuels (souffle, manque de définition, frappes sourdes du pied du chef, bip-bips comme à 2’54 ou, piste 5, à 0’29 et 0’44 pour le clac de l’obturateur, bruits du public – voir par ex. le début du Largo e pianissimo ou la toux puissante de la piste 7, 3’12, etc.),

  • le son chaleureux de la soliste Eugenia Choi,
  • l’allant de l’orchestre,
  • son souci de contraster et de valoriser les échanges

construisent une interprétation moderne point désagréable. Après un Largo intimiste, l’allègre Danse pastorale s’en remet à la soliste pour s’envoler. La phalange, elle, se charge de remplir l’espace sonore quand lui revient d’amplifier le swing ou de le discuter en mineur.

 

Philippe Entremont et la Beethoven Philharmonie de Vienne, le 8 novembre 2018. Photo : Rozenn Douerin.

 

Dans un premier temps, l’Été (RV 315) refuse de vraiment s’alanguir sinon dans d’étranges ralentendi appuyés. La ferveur des à-coups allegro est rendue avec une urgence plaisante et un sens des nuances allant des crescendi mesurés aux sforzendi claquant comme des coups de soleil au réveil d’une sieste trop exposée. L’Adagio poursuit la pièce dans son optique de contrastes rugueux, poussant la soliste jusque dans ses fragilités sonores (0’59) pour surgir ensuite avec encore plus de virulence. Le Presto impétueux (le mouvement connu du concerto) pousse cette fois la soliste à des risques où prime la vitesse d’archet sur la recherche du beau son.
D’un tube l’autre : l’Allegro de l’Automne (RV 293) sautille avec

  • ses appogiatures,
  • ses accents,
  • ses répétitions différenciées et
  • ses ruptures rythmiques très marquées.

Les attaques de la soliste semblent parfois manquer de précision (3’19, 3’25), mais la variation de climats subsume ces éventuels accrocs, bien compréhensibles pour un enregistrement sur le vif. L’Adagio molto met en valeur les arpèges d’un continuo, jusque-là parfois hésitant entre impulsions personnelles et exécution fonctionnelle. L’Allegro, tubesque, est pris comme une danse paysanne ternaire, excès de pizzicati compris (2′) ce qui ne lui messied certes point forcément.
L’Hiver (RV 297) s’ouvre sur un Allegro non molto très étrangement interprété avec un son plus décharné qu’un arbre sous le vent sibérien. L’effet est intrigant mais la laideur du résultat pourra rebuter autant que les coups de boutoir du chef frappant son estrade pour lancer le groove (1’03, 1’04, 1’05). Le Largo, mégahit, est pris plutôt allant, ce qui est loin d’être une tare : peu d’émotion, certes, mais nulle sensiblerie. L’Allegro conclusif laisse souffler les dernières bribes de bises. On note de bonnes synchronisations orchestrales et un désir de rendre les différentes sections du mouvement sans chercher à unifier le tout, plutôt en exacerbant la virulence des passages toniques – ce qui ne manque pas de déclencher sans retard les applaudissements de circonstance.

 

Philippe Entremont chez lui, en mai 2018. Photo : Bertrand Ferrier.

 

Ceux qui s’offusquent de la scie vivaldienne pourront se pencher sur la seconde partie du programme, occupée par le Quatuor à cordes en mi mineur écrit par Giuseppe Verdi alors qu’il s’impatientait d’assister à la création d’Aida. On le trouve ici dans la version pour orchestre à cordes attestée de longue date mais moins courue que la VO.
L’Allegro profite d’une phalange volontariste, qui n’a peur ni des dynamiques ni des changements d’ambiance. Ces ruptures sont-elles moins sapides, diluées dans l’orchestre ? Les cordistes de Fontainebleau tâchent de profiter de leur masse pour donner du souffle au propos verdien. Soit, mais la justesse se dérobe-t-elle parfois (4’08, par ex.) ? On n’en apprécie que davantage l’effort, louable pour un orchestre de conservatoire, visant à partager le même geste et la même énergie, id est à incarner de façon plus expressive cette musique à la fois jolie et pimpante.
L’Andantino à trois temps oscille à dessein entre langueur et regain de vitalité. On y retrouve la versatilité opératique de Giuseppe Verdi, capable de transmuter la joie en désespoir avec un seul accord ou une puissante modulation. Le chef d’opéra qu’a toujours revendiqué et rêvé d’être Philippe Entremont doit se pourlécher la baguette en dirigeant. Bien que les bruits parasites ne l’y aident pas toujours, l’auditeur se laissera aisément porter par la force narrative que l’orchestre de cordes s’attache à dessiner avec une réelle efficacité.
Le Prestissimo, à trois temps itou, balance comme il faut et préfère les accents à l’hybris du trop rapide. Le violoncelle chante la partie B avec une musicalité qui n’exclut pas la part de l’émotion (1’24 et 1’48, par ex.), évidemment dangereuse lors d’un concert probablement non patché – c’est aussi l’ivresse joyeuse du live ! Deux minutes plus tard, nous voici dans le Scherzo fugué final, désigné comme Allegro assai mosso. On en apprécie

  • les sautillements,
  • les sautes d’humeur,
  • les ressassements délicieusement irritants et
  • l’espèce de générosité excessive dont les Américains de Fontainebleau peignent l’italianité avec un patent désir d’idiomatisme, finale spectaculaire inclus.

En conclusion, évidemment,

  • la faible qualité sonore du produit,
  • le manque de soin apporté au livret pourtant étique (depuis l’orthotypographie négligée jusqu’à une relecture laissant passer des phrases comme « aime-t-on à dire à cette l’époque ») et
  • la spécificité interne de son projet,

excluent tout autre type d’achat qu’une acquisition visant à marquer son appréciation du Conservatoire ou du chef. Du moins le disque s’écoute-t-il avec intérêt : c’est un compliment que l’on ne pourrait faire au tout-venant de la production mémorielle, fût-elle de meilleure qualité technique !