« L’Atelier du tripalium », Mariette Darrigrand (Équateurs, 2024) – 2/6

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Première de couverture (détail)

 

La thèse de Mariette Darrigrand, évoquée ici : « travail » ne vient pas de tripalium, cet instrument de torture – prémices validées, comme les délires – au sens étymologique, tu penses – qu’elles inspireront, par le groupe éditorial Humensis, propriété de la Scor, entreprise affichant près de vingt milliards d’euros de CA et dirigée depuis 2023 par un ancien patron des espions malsains de Palantir, ce n’est pas rien. Donc, contrairement à ce qu’affirment les gauchistes et les cossards, l’équivalent des rastaquouères pour les affidés du grand patronat, le travail, c’est TOUJOURS cool, personne ne peut rien dire là contre.
Cet acte de foi est le stigmate d’une forte appartenance droitière : autant la gauche s’est appropriée les travailleurs, autant la droite se présente comme la championne du travail. Le rappellerait si nécessaire la « niche parlementaire » que les toutous du LR – pas mes chiens préférés, on l’aura pressenti – ont commencé d’utiliser ce 6 février 2025 « pour aider la France qui travaille » et dénoncer les bénéficiaires de diverses prestations sociales, aka les « bénéficiaires de l’assistanat ». La technique consiste à

  • cliver,
  • opposer,
  • dresser

les uns contre les autres, et au premier chef les exploités contre les plus fragiles. Selon la théorie vaseuse – pléonasme – des députés LR, ces privilégiés sans vergogne ni compétence, l’un allant souvent avec l’autre, notre société serait composée,

  • d’une part, des vaillants, bons patriotes, qui travaillent et grâce auxquels « nous avons les moyens de protéger tous les Français contre les risques de la vie (handicap, vieillesse, maladie) » ;
  • d’autre part, des vampires qui sucent le lait de « l’assistanat » offert par l’État et les collectivités, se gobergeant par exemple grâce aux faramineux RSA ou APL (in : Le Monde, 6 février 2025, p. 9).

L’absurdité de cette partition a beau n’être qu’un piètre outil de communication (lors de la niche de février 2025, il est annoncé certain que « les textes présentés ont peu de chance d’être adoptés », le but n’est donc que de buzzer les Français), elle n’en contribue pas moins à tenter de monter « la France qui travaille » contre « la France qui profite ». Le procédé est connu worldwide :

 

Les néolibéraux soutiennent qu’un État cherchant à changer la situation sociale d’un pays par le biais de dépenses publiques et de programmes sociaux

  • récompense l’échec,
  • alimente la dépendance, et
  • subventionne les perdants.

(George Monbiot et Peter Hustchison, La Doctrine invisible. L’Histoire secrète du néolibéralisme et comment il est arrivé à contrôler nos vies [2024], trad. Mathilde Ramadier, Éditions du Faubourg, 2025, p. 12)

 

Dans une France exsangue, sauf pour les politiciens de tout bord dont les rémunérations et avantages continuent de donner une idée de ce qu’est, loin de l’assistanat, la véritable extravagance, la stratégie LR, pour grotesque qu’elle paraisse, comporte deux dangers. D’une part, elle est délétère intellectuellement et potentiellement nuisible aux plus précaires, stigmatisés comme des profiteurs. D’autre part, elle tend à faire peser un soupçon indigne sur les personnes ne disposant pas d’un emploi ou regrettant la pénibilité de celui qu’elles occupent. Or, comme le rappelait le Front de gauche dans son programme 2012, l’une des caractéristiques majeures du capitalisme néolibéral tel qu’il s’applique en France, c’est « la généralisation de la précarité », ce « fléau qui ronge petit à petit les forces vives du pays » (L’Humain d’abord. Programme du Front de gauche et de son candidat commun Jean-Luc Mélenchon, E.J.L. / Librio, 2011, p. 17). Dans la réalité, ce ne sont évidemment pas les entreprises qui sont victimes de la supposée désaffection des Français pour le travail ; c’est le comportement des grands prédateurs capitalistes qui victimise

  • les travailleurs précaires
    • (smicards,
    • temps partiels,
    • autoentrepreneurs forcés…),
  • les chômeurs et
  • les exclus en général.

Prétendre que la réalité est inverse serait cocasse si ce n’était à ce point scandaleux. Cependant, la rhétorique LR a l’avantage de faire résonner les propos de Mariette Darrigrand. Pour elle comme pour les pantins siglés LR, trop de Français sont structurellement hostiles à l’idée même de travailler. Voilà le malheur de notre nation qui, sans cela, aurait tout pour réussir. Honnis soient ceux qui ricaneraient en pensant aux boulots plus que tranquilles de ceux qui se permettent de dénoncer les pas-fanatiques du travail… et rendez-vous presque bientôt pour la suite du compte-rendu !