L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 6/24
La quatrième de couverture du deuxième disque du florilège Sylvie Carbonel a beau être peu soignée (oubli des deux points, guillemets des secondes inutiles, parfois oubliés ou de couleur changeante, cap inutile sur « collection »…), faisant écho à la première où manquent l’accent sur « Desbrière » et, accessoirement, le nom de l’interprète, le programme du disque, lui, est peaufiné
- d’abord parce qu’il présente des pièces d’Emmanuel Chabrier, certes pas inconnues mais rarement données en concert ;
- ensuite parce qu’il y adjoint onze miniatures de Jacques Desbrière qui, pour le coup, est encore plus rarement programmé ;
- enfin parce qu’il rapproche de la sorte deux cycles de miniatures, questionnant leurs points communs et leurs dissonances.
Abrité sous un titre générique laissant penser à une collection de feuillets d’album, le Cahier de musique de Jacques Desbrière – qui va nous intéresser ici – n’en est pas moins agencé logiquement. Le « Prélude » balance avec rigueur, et les respirations ménagées par le compositeur
- ne ralentissent pas l’allant,
- ne cassent pas le swing que relancent irrégulièrement les accents ni
- n’effacent pas la tentation sporadique de changer de couleur
jusqu’à la suspension de la coda. La « Ballade » habille la mélodie au soprano d’une harmonisation riche et joliment troussée. En dépit de sa clarté convenue, la forme ABA offre un mélange séduisant
- de mélancolie,
- de surprises,
- d’urgence et
- de mystère
dont Sylvie Carbonel rend le charme et les aspérités avec une rigueur séduisante.
La « Mazurka » qui suit est moins chopinique que griegienne avec
- ses quartes,
- son mode et
- ses voltes thématiques.
Le caractère dansant du projet se drape ici dans un accompagnement dont les trouvailles ne rejettent jamais l’origine populaire de ce rythme étonnant. « Thrène », la pièce la plus longue du Cahier, s’apparente à une improvisation grave avec
- arpèges,
- suspensions,
- accords répétés, et
- bref surgissement d’un flux aux accents un temps debussystes.
L’interprète en donne à entendre
- la gravité,
- la complexité et
- l’indéchiffrabilité – je tente – funèbre.
C’est une tradition : après la solennité du cortège crêpé de noir, vient le temps du brio qui secoue l’auditeur et justifie le projet d’exécution intégrale du cycle. La « Toccata » est
- concentrée (moins d’une minute),
- énergique et
- habilement pensée selon les différents registres – le grave occupant l’essentiel de la miniature, les quelques suraigus n’en claquent que davantage.
À sa mesure, cet enchaînement contrasté entre thrène et toccata n’est pas sans évoquer le début du concerto pour piano du compositeur où le largo liminaire s’apparente à une plainte grave et débouche sur un trait furibond du soliste ponctué par l’orchestre.
La « Chanson » s’ouvre paisiblement sur la tonalité simple de la mineur.
- Balancement,
- épure harmonique,
- passage en majeur,
- moment interrogatif et
- plaisir de la fredonnerie un rien nostalgique
ne se limitent pas à la structure classique de la chanson (couplet – refrain et non ABA) ni à sa simplicité d’accompagnement mais, avec élégance, n’en font pas litière pour autant. La courte « Cavatine » (pléonasme, certes, du moins en théorie) poursuit dans cette simplicité, effleurant à peine le thème. Le compositeur préfère préserver le mystère mélodique et laisser l’auditeur fantasmer sur ses développements. Indifférent à cette érotique du possible, le »Rigaudon » lance une série de quatre danses en s’ancrant dans le médium et l’aigu.
- Répétitions et brusques mutations,
- régularité rythmique et cahots,
- rusticité semi folklorique et audaces harmoniques
ne sont pas de nature à désarçonner Sylvie Carbonel qui joue
- droit mais pas neutre,
- subtil mais pas guindé,
- musical mais pas fade.
Le « Passepied » sautille grâce à
- un toucher multiple,
- un phrasé précis,
- une accentuation pensée et
- une pédalisation très fine.
La « Pavane », lente comme il sied désormais, s’étire, langoureuse et indifférente au monde, avec un mix
- de nonchalance triste,
- de snobisme compassé et
- de retenue énigmatique.
De quoi préparer au « Galop » final, en majeur, dont la joie n’est point exubérante mais plutôt légèreté. Avec
- ses à-coups brillants,
- ses staccati spectaculaires,
- ses soudaines retenues,
- ses accents tonifiants et
- sa fin déceptive,
la pièce nous fait refermer le recueil avec le regret de n’en avoir pas ouï davantage. Ce n’est hélas pas le cas de tous les cycles pianistiques, mais ce n’est pas non plus la moindre qualité de ce disque
- techniquement brillant,
- programmatiquement réussi,
- musicalement saisissant et
- artistiquement personnel.
En effet, après deux disques, semble se dégager une patte carbonélique :
- honnêteté de la lecture,
- refus du pathos et
- exclusion de tout ajout surexpressif à la partition.
La suite du coffret – lequel sera disponible dès le 19 janvier chez Skarbo – explore d’autres périodes d’activité de la pianiste et nous permettra d’examiner si cette touche a muté ou non au cours des décennies.
Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
À suivre !