L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 5/24

admin

Première de couv du deuxième des disques rassemblés par le coffret Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Des dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier par Sylvie Carbonel, cinq nous restent à savourer, les cinq premières ayant été évoquées ici (sur l’hyperlien, on trouvera un lien vers une diffusion pirate du disque disponible sur YouTube). Bien que le projet de love niveau débutant soit très clair, la partition de l’« Idylle », un Allegretto en fa dièse mineur et à quatre temps, s’accompagne de trois indications :

  • une générale (« avec fraîcheur et naïveté »),
  • une autre pour la main droite à deux voix, l’une pour la mélodie, l’autre pour ‘lénergie de notes répétées (« bien chanté et très en dehors ») et
  • une dernière pour la main gauche égrenant des octaves (« dolce e leggerissimo »).

À son habitude, Sylvie Carbonel concentre les nuances dans un spectre très serré, ce qui limite l’expression explicite de l’émotion mais valorise avec

  • honnêteté,
  • goût et
  • virtuosité

les charmes de cette amourette habitée par le riche palpitement

  • du mouvement perpétuel,
  • des contrastes entre les trois voix,
  • des accents qui relancent le groove,
  • des chromatismes et de la modulation qui pimpent la fraîcheur revendiquée, et
  • de l’entrée des doubles exigeantes mimant sans doute l’emballement et du cœur et du corps.

Allegro risoluto, la « Danse villageoise » en deux temps, forcément, et en la mineur, est le premier tube du cycle. L’artiste n’hésite pas associer

  • jolis effets de pédalisation,
  • tonicité des attaques et
  • effervescence des staccati.

Au fil des brèves minutes, l’on est saisi par

  • la justesse de la transition en majeur,
  • le swing des sforzendi moins à-coups lourdauds que ressorts et
  • l’agogique que permettent
    • les respirations,
    • un phrasé soigné et, c’est faussement paradoxal,
    • une intelligente exigence métronomique (sans limite, pas de débordement !).

L’« Improvisation » en Si bémol a beau être andantino, elle se revendique « fantasque et passionnée ». Cet apparent oxymoron (des tempi plus échevelés pourraient davantage coller aux deux adjectifs d’intention, même si le résultat est brillant) fait écho à la curiosité d’une partition écrite intitulée « improvisation », mais elle trouve dans la suite de nombreux échos, parmi lesquels les tensions entre

  • le ternaire du 6/8 et le surgissement de divisions contraires (binaire, triolets et quintolets),
  • l’écriture résolument modale et le goût typique du compositeur pour le grattouillis auditif sinon de la dissonance provisoire du moins du chromatisme créatif, mais aussi
  • l’inclination pour la clarté voire l’évidence rythmique, presque motorique, et les diversions
    • (changements de tempo,
    • suspensions et
    • ajouts à la mesure normée tels que
      • appogiatures,
      • sauts de main gauche et
      • accélérations des triples croches ou des quintolets dans un monde bien borné par six doubles par pulsation).

De même que l' »Idylle » ne décrivait pas une idylle en particulier mais une idylle topique, de même l' »Improvisation » joue avec les représentations canoniques d’un surgissement spontané de la musique, avec

  • récurrences d’une cellule-type,
  • à-coups de l’inspiration et
  • apparente construction chemin faisant.

Piment sur la harissa, le résultat s’acoquine çà et là à des accents tantôt chopiniens et tantôt lisztiens, avec un accent quasi debussyste dans le Moderato finale.

  • La perfection des doigtés,
  • la sobriété du jeu,
  • la liberté de ton et
  • la musicalité dont témoigne l’interprète

font de cet impromptu un moment très impressionnant. Changement de caractère avec le « Menuet pompeux » en sol mineur, siglé « allegro franco ». Ça n’en sautille pas moins, avec

  • l’insistance sur le premier temps,
  • les reprises,
  • l’attendu passage en majeur qui suspend les coups de marteaux en privilégiant les registres allant du médium au suraigu et, sans transition,
  • le bouclage inévitable sur la forme ABA

qui assument ainsi qu’il se doit l’épithète du titre. La suite prolonge le balancement ternaire avec l’impressionnant « Scherzo-valse » en Ré et 9/16, estampillé « vivo ». Second tube de la série, cette plaisanterie exige un sérieux redoutable de l’interprète. En sus du brio consubstantiel à toute dernière pièce qui se respecte, la course effrénée proposée ici synthétise plusieurs éléments de langage utilisés au long du cycle par le compositeur, dont

  • l’opposition binaire / ternaire comme source de groove,
  • l’association modal / chromatique qui, aussi bien maniée, is music to our ears,
  • le plaisir du moteur rythmique qui va de l’avant,
  • la joie de la modulation et du break,
  • l’intuition mêlant dans une même inspiration mélodie, harmonie et rythme,
  • l’habileté de l’écriture pianistique qui se sert de la virtuosité pour musiquer et non seulement pour tester ou faire rutiler l’interprète.

En l’espèce, Sylvie Carbonel séduit.

  • Les doigts sont là,
  • l’intuition est là,
  • le brio est là,
  • la modestie devant le texte est là aussi (en clair, pas de surjeu en vue) et, ici comme ailleurs,
  • le montage rend justice de l’énergie de la pianiste

en privilégiant à dosettes le vivant sur la perfection glacée, donc en optant pour les prises réussies, quitte à ce qu’une légère scorie, parce qu’elle est infiniment négligeable à l’aune de l’ensemble du disque, rappelle que jouer, c’est vivre, pas être un automate. Grand bien fasse au fat s’il manque de s’évanouir en constatant par exemple que, autour de 2’55, tant la question de la main droite que la réponse de la main gauche égratigne qui un sol à droite, qui un do à gauche. Laisser ce type d’accrochage discret traduit un souhait de préserver la dynamique sur le puzzle d’un montage artificiel, et le résultat n’en est que plus captivant car il fait résonner une prise de son mate, de proximité, et un jeu

  • sans trucage,
  • sans forfanterie et
  • sans bluff.

L’ensemble permet de goûter des Pièces pittoresques

  • variées,
  • passionnantes et
  • brillamment rendues.

De quoi faire saliver avant la découverte du Cahier de musique de Jacques Desbrière, qui sera l’objet de notre prochaine notule carbonélique si Dieu ou son remplaçant nous prête vie.

 

À suivre !