L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 20/24

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Verso du neuvième épisode du florilège Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Des lieder sans parole, même en 1866, ça n’a rien de bien nouveau ! Felix Mendelssohn-Bartholdy a bouclé ses huit recueils en 1845. Pourtant, Les Chants du Rhin ont leur petite originalité : ce sont des chants sans paroles mais avec du texte puisque Joseph Méry a écrit des stances spécialement pour inspirer le compositeur. Je vous parle d’un temps où il était encore de bon ton de se laisser aller à des rêveries germanophiles. Quatre ans plus tard, la guerre allait couper court à ces fantasmes.
Parmi les six chants louant ce Rhin qui « créa Gluck, Weber, Beethoven et Mozart », Sylvie Carbonel en a choisi deux qui complètent le récital de musique française reconstitué par Skarbo dans son florilège. « L’aurore » décrit « l »heure première » donc les « concerts de l’aurore, / de la brise du fleuve et du chant des oiseaux ». L’andantino espressivo et legatissimo associe les ondulations de doubles croches en 3/8 à l’irisation de la mélodie confiée au soprano.

  • Tempo décidé,
  • tonicité des attaques et
  • rigueur métronomique à peine troublée par quelques effets de détente ou de tension

dessinent un Georges Bizet à mille lieues du sentimentalisme souvent de mise dans ce répertoire. Sylvie Carbonel peint la vie qui part à l’assaut du quotidien plus que la poésie de circonstance avec les doigts de fée de l’aurore, le souffle du vent et la bleuisation diurne de l’obscurité.

 

 

« Les rêves », second extrait choisi, sont ceux des « jeunes bûcherons » voguant « sans péril » dans leur « barque oisive » et voyant – privilège du songe – soudain « rajeunir le vieux peuple germain ». Si l’on reste en ternaire (9/8 après 3/4), l’on avance un chouïa dans la gamme puisque, à l’Ut liminaire, répond ici le Ré bémol. L’andante ma non troppo se faufile sur un moteur de croches qui suit une mélodie langoureuse.

  • Délicatesse du toucher,
  • finesse du rendu polyphonique avec ses contrechants,
  • sens des contrastes (l’on entend bien tonner le retour de vigueur germain !)

font délicatement balancer la valse de la barque.  Après le fleuve, l’île ; l’inspiration littéraire, voici que la musique puise sa source dans la peinture. « Le Pèlerinage à l’île de Cythère » d’Antoine Watteau aurait déclenché l’écriture de « L’Isle joyeuse » par Claude Debussy, passage obligé de tout étudiant pianiste – la version proposée date de 1964, quand miss Carbonel travaillait sous la férule d’Yvonne Lefébure au Conservatoire de Paris. Le prologue marqué « quasi una cadenza » fuse avec autorité et énergie vers un « tempo modéré et très souple » aux accents hispaniques assumés.

  • Profondeur des graves,
  • effet roboratif des triolets de doubles croches,
  • souffle des crescendi,
  • tension du contraste entre ternaire et binaire,
  • art de la respiration contrastant avec la fougue indifférente aux difficultés techniques et musicales,
  • placidité des modulations,
  • clarté des aigus et
  • maîtrise des différents registres

dépassent les qualités attendues telles que

  • le brio,
  • la cohérence et
  • la largeur du spectre sonore

pour les habiller d’une étoffe musicale perpétuellement tendue dont l’éclat laisse entrevoir la cohérence d’une interprète depuis ses débuts radiophoniques jusqu’à ses derniers enregistrements.

 

 

Décidément, il ne faut pas compter sur Sylvie Carbonel pour

  • le mignard,
  • le sentimentalisme facile ou
  • les petits arrangements avec le texte qui simplifient pourtant grandement la vie.

La musicienne n’a pas besoin de

  • de truquer,
  • de feindre la larmichette pratique ou
  • d’utiliser les stratagèmes marketing

qui permettent à de jeunes dames plus aguicheuses que techniquement bien achalandées de parader sur les plus grandes scènes du monde en tenues olé-olé en dépit d’un niveau et d’une ambition artistique médiocres à l’aune de l’excellence en général requise à ces cimes. Sylvie Carbonel ne fabrique pas, ne plaisante pas, croit à la musique qu’elle joue et envoie le bois qui va bien. De quoi mettre en appétit pour les trois extraits d’Olivier Messiaen que nous évoquerons à l’occasion de la prochaine notule !


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Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky

Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
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Le Cahier de musique de Jacques Desbrière

Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses

De Bach à Granados – Un récital imaginaire

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Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus
Frédéric Chopin – Trio en sol mineur

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Robert Schumann – Humoreske op. 20

Johannes Brahms – Trio op. 114
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Charles-Valentin Alkan – Deux Motifs et +


À suivre !