L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 17/24
Ceux qui aiment
- le biscornu,
- l’inattendu et
- le mystérieux
en sus de la belle musique devraient adorer ce florilège de Sylvie Carbonel. Nous voici au huitième disque, et c’est peu de dire que les galettes se suivent sans se ressembler.
- Tantôt bien garnies, elles sont tantôt plus légères (39′ pour cet album, à peine plus que le quatrième volume).
- Tantôt centrées sur un compositeur (Moussorgsky en ouverture de bal) ou sur une forme (deux sonates pour piano nous attendent pour clore le festival), elles affichent parfois une cohérence moins immédiate (ainsi de ce disque associant de la musique de chambre de Brahms à trois pièces solo d’Arnold Schönberg).
- Tantôt clairement thématisées, elles cahotent aussi à l’occasion (pourquoi les deux trios de Brahms n’ont-ils pas été réunis sur un même disque ?).
Un livret pertinent eût sans doute aidé l’auditeur à comprendre ces hue et ces dia ; l’on suppute que l’éditeur a préféré privilégier le suspense au détriment du détricotage logique. Cela renforce l’intérêt d’une écoute au fil de l’eau mais aurait peut-être gagné à être clarifié.
Pas de quoi nous désarçonner au point de ne point nous lancer dans l’impressionnant Trio pour piano, clarinette en la et violoncelle en la mineur op. 114 de Johannes Brahms, enregistré début 1981 avec, excusez du peu, Michel Portal à la clarinette et Roland Pidoux au violoncelle…
… ne serait-ce que parce que c’est une formation bizarre (parfois même travestie en alto-violoncelle-piano), donc a priori sexy. Le Quantum Clarinet Trio l’a rapproché en 2022 d’autres pièces composées sur le même modèle par des « compositeurs dégénérés » selon le régime nazi, ce qui est en général bon signe pour la musique. L’œuvre se décapsule sur un Allegro en la mineur, ouvert par le violoncelle. Au début, les zozos se jaugent avec une arme pour imposer leur voix : les triolets toniques. Passée la première explication de texte, l’affaire semble s’apaiser. Las, les triolets de noires puis de croches réénergisent les débats. L’oscillation entre
- apaisement et emballement,
- sagesse et enflammades,
- suspensions et gammes tant ascendantes que descendantes,
- la mineur et tonalités proches (La et La bémol),
- binaire et triolets
permettent aux artistes d’échanger avec un mélange de variété de couleurs et d’intentions qui capte l’écoute. Le trio mêle
- accents,
- crescendi/decrescendi/ sautes d’humeur,
- échanges courtois et grommellements
avec un naturel séduisant. Le Poco meno allegro conclusif semble calmer les esprits en aboutissant à un La préparatoire à la tonalité de Ré de l’Adagio.
Au début du mouvement lent, la concorde paraît avoir gagné l’arène. Piano et clarinette interrogent le violoncelle, chacun faisant valoir ses qualités principales :
- souffle de Michel Portal,
- chaleur de Roland Pidoux et
- souplesse caméléon de Sylvie Carbonel.
Se distribuent ainsi les rôles entre
- clarinette lyrique sur de multiples registres,
- violoncelle tantôt pizzant tantôt vibrant,
- piano accompagnateur n’hésitant pas à se transformer à l’occasion en énergumène remuant.
On se laisse séduire par une partition empreinte
- de chromatismes,
- d’une certaine épure et
- d’une nette volonté de donner à chaque protagoniste l’heur de parler sa langue vernaculaire.
L’Andante grazioso en La et en 3/4 ne manque certes pas
- d’élégance,
- de rythme (le groove est confié au piano) et
- de fluctuations évitant l’enlisement dans le choupinet.
Les partenaires sont tous trois du même tonneau.
- Sylvie Carbonel séduit entre autres grâce à une main gauche alliant sûreté et discrétion, et une main droite expressive à souhait ;
- Michel Portal (le trio est quand même écrit pour le clarinettiste) charme en associant son rond et intensité ;
- Roland Pidoux convainc par la versatilité de son instrument,
- toutes vibrations dehors ici,
- pizzant avec verve çà et
- fluidifiant l’échange là.
L’Allegro revient au la mineur liminaire (presque haha) et, cette fois, c’est le violoncelle qui lance les hostilités. Johannes Brahms jouit à nouveau des tensions entre binaire et ternaire.
- L’explosivité du piano,
- la capacité des trois collègues à rendre tant la beauté que la puissance narrative des changements de mesure (6/8, 9/8, 2/4…),
- et la capacité à faire instrument collectivement
sont du miel pour l’esgourde. Les mutations
- de couleurs,
- de nuances et
- de densité habitant la partition
sont rendues avec acuité par les interprètes. Dans ce « concert improvisé de musique de chambre », à en croire le livret,
- phrasés,
- contrastes,
- synchronicités de notes et d’esprit
séduisent… mais une pause s’impose hic et nunc avant d’aller taquiner l’opus 11 d’Arnold Schönberg !
Pour acheter le coffret (env. 35 €), c’est par exemple çà.
Pour écouter le disque en intégrale et gratuitement, c’est par exemple là.
Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière
Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses
De Bach à Granados – Un récital imaginaire
Ludwig van Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano
Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus
Frédéric Chopin – Trio en sol mineur
Johannes Brahms – Trio en Si
Robert Schumann – Humoreske op. 20
À suivre !