L’art de Sylvie Carbonel (Skarbo) – 14/24

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Verso de la couverture du sixième disque à retrouver dans le coffret Sylvie Carbonel fomenté par Skarbo

 

Le Trio en sol mineur op. 8 de Frédéric Chopin, édité en 1829, est auréolé d’une polémique comme les classicoss aiment à s’en inventer. L’idée est que Chopin n’aimait pas le violon. Preuve irréfutable, selon la partie civile : il n’a rien écrit pour cet instrument, hormis le présent trio et les parties orchestrales de ses concerti. Allant plus loin dans le piapiapia, il se murmure qu’il aurait pensé le Trio en sol mineur non pas pour violon, violoncelle et piano mais, suprême offense, pour alto, violoncelle et piano, et qu’il n’aurait renoncé à cette option que parce que cette formation eût semblé incongrue. À Nina Bodnar Horton de nous convaincre que ces rumeurs sont pour partie infondées…
… et ce, dès l’Allegro con fuoco liminaire, auquel le piano donne le groove tandis que ses complices devisent sagement. Attentifs au discours des uns et des autres, les protagonistes échangent

  • rythmes pointés,
  • doubles croches et
  • triolets,

enrichissant leur conversation d’inflexions thymiques captivantes. Tour à tour

  • badins,
  • sombres en début de seconde partie et
  • interrogatifs,

les complices s’en remettent à l’allant quasi incessant de la partie de piano.

  • Les belles synchronisations – notamment dans le parallélisme entre violon et piano – ont l’effet wow attendu ;
  • les contrastes ménagent l’intérêt en sus du plaisir de bon aloi ; et
  • un souffle ambitieux donc stimulant parcourt ce mouvement voire ce geste de presque 8′ et emporte l’auditeur, coda virtuose du piano en prime.

Le scherzo « con moto ma non troppo » passe en Sol majeur avec l’allégresse de la facétie que renforcent entre autres

  • les pépiements du piano,
  • les échos entre interlocuteurs,
  • le joli balancement ternaire,
  • les modulations provisoires,
  • le surgissement de pizzicati dynamisants ou d’une trille pianistique, qui ajoutent au côté mozartien du mouvement,

donnant une cohérence par proximité ou presque avec le Troisième trio ouï avant et enregistré lors du même concert de 1983. Le trio prolonge ce moment qui sent son déjeuner sur l’herbe en bonne compagnie. Certes, à la légèreté, répondent çà et là

  • des unissons inquiets,
  • des accents sévères,
  • un ritendo presque menaçant et
  • un ancrage dans les registres graves ressemblant à un froncement de sourcils.

Le da capo n’en ramène pas moins manière d’insouciance. L’adagio sostenuto persiste en 3/4 et en mode majeur mais en Mi bémol, cette fois. Sous l’apparente tranquillité de la surface, des irisations témoignent d’une intense vie intérieure.

  • Tentations modulantes,
  • associations rythmiques (binaire / triolet, quintolets / sextolets / septolets voire quatorzolets, ornements),
  • ruptures de tons et
  • suspensions du discours

laissent, sous la sérénité aimable du mode majeur, imaginer que des tensions parcourent les trois énergumènes – la dernière partie du mouvement l’explicite avant de tenter d’effacer ces désaccords… vainement, par chance. Le finale se présente pourtant allegretto et tente de renouer avec le badinage liminaire, comme le manifestent le retour à la tonalité de Si bémol et le rôle moteur du piano. Sylvie Carbonel fait danser son instrument. Ses compagnons tentent de lui emboîter le pas. Le violoncelle d’Hervé Derrien est le premier à tenter sa chance, suivi par le violon de Nina Bodnar Horton. La pianiste déploie

  • son sens rigoureux du rythme et de l’agogique,
  • son art du toucher, ainsi que
  • sa capacité à phraser et nuancer.

Contribuent au charme du mouvement

  • trilles effervescents,
  • walking bass efficace,
  • changements brusques ou progressifs d’intensité,
  • dilatation du tempo ou respect métronomique,
  • marches harmoniques et chromatismes ascendants habilement brisés, et
  • prises de risque virtuoses propres au concert.

Au terme du voyage, il est certain que ce trio pour piano est d’abord un trio pour piano (si) plutôt qu’un trio pour violon ou violoncelle. Non pas nonobstant cette caractéristique mais en l’intégrant à leur interprétation, le tour de force des musiciens est de parvenir à agréger les trois instruments pour produire

  • un son cohérent,
  • un projet collectif et
  • une sorte de diastole-sistole autour du piano matriciel plus que susceptible de faire battre le cœur des mélomanes.

Nous aurons bientôt l’occasion d’écouter la troisième partie du concert. Il s’agira du massif Trio en Si de Johannes Brahms dont la longueur explique sans doute a posteriori l’apéritif constitué par le florilège de la Deuxième sonate de Chopin : les trois trios auraient dépassé les 80′ autorisées par les usines de pressage – limite de la modernité, avec intelligence artificielle, naturelle ou sans !


Pour écouter le disque Beethoven – Weber gratuitement, c’est ici.
Pour acheter le coffret (env. 35 €), c’est par exemple .

Pour retrouver les critiques précédentes du coffret
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 1
Dix-sept pièces de Modeste Moussorgsky – 2
Les Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgsky

Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 1
Dix pièces pittoresques d’Emmanuel Chabrier – 2
Le Cahier de musique de Jacques Desbrière

Franz Liszt – Totentanz
Franz Liszt – Sonate en si mineur
Franz Liszt – Deux harmonies poétiques et religieuses

De Bach à Granados – Un récital imaginaire

Ludwig van Beethoven – La Waldstein et plus
Carl Maria von Weber – Sonate pour flûte et piano

Wolfgang Amadeus Mozart – Troisième trio K.502 et plus


À suivre !