La Camerata du Léman joue Ludwig van Beethoven (Cascavelle) – 1/2

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Première du disque

 

Tel un Nicolas Horvath cherchant des versions inouïes des nocturnes de Frédéric Chopin, nombre de musiciens

  • furètent dans les archives,
  • balayent sous les meubles et
  • explorent les moindres recoins

pour dénicher

  • qui une nouvelle œuvre d’un cador de la musique savante,
  • qui une révélation people sur tel compositeur,
  • qui une annotation d’un élève d’un maître de Radio classique susceptible de faire événement.

Dans cette veine, la Camerata du Léman propose avec un sens assumé de la provocation et dans un disque au minutage concentré (moins de 44′) de s’attaquer à deux pièces fantômes de Ludwig van Beethoven : un concerto de jeunesse et une symphonie en kit qui n’ont peut-être jamais existé. C’est le premier volet de l’aventure qui nous intéressera dans la présente notule.
Le “concerto n°0” en Mi bémol est censé avoir été composé par un Beethoven de quatorze ans pour séduire – avec succès, précise André Piguet – le prince-électeur de Cologne. La partition a disparu. N’en reste qu’une réduction partielle pour piano, sur laquelle le musicologue Willy Hess a brodé pour obtenir, en 1943, une œuvre “reconstruite” de 26′.

 

 

L’ample Allegro moderato s’ouvre sur un dialogue entre harmonie et cordes. Sans chef, la Camerata n’en montre pas moins des qualités séduisantes d’emblée :

  • netteté des attaques,
  • caractérisation des échanges,
  • précision des ensembles.

L’entrée du piano permet néanmoins d’être certain que Philippe Boaron ne leur cèdera en rien.

  • Le geste digital est assuré,
  • la variété des touchers est remarquable,
  • le groove des accents se mêle efficacement à la fluidité des traits de doubles croches,
  • le swing des triolets et des deux en deux percute un discours sagement habillé de bariolages et d’interventions orchestrales de bon aloi.

Résultat : presque insensiblement, portées par une interprétation motivée que met en valeur la grande clarté de la prise de son signée Jean-Daniel Noir, sont mises sur pause les interrogations sur

  • la nature de cet objet sonore, beethovénien-mais-pas-que-loin-de-là,
  • la proportion de l’original dans la réinvention, ou
  • la pertinence historiographique de cette proposition
    • (hommage,
    • addendum,
    • exercice bien connu des cours de composition ou
    • pastiche).

On se surprend à se laisser aller, simplement, au plaisir d’écouter une musique à la fois rare et familière. C’est d’autant plus aisé et agréable que

  • l’énergie,
  • la tonicité et
  • les irisations d’intensité

ne faiblissent jamais. Une cadence habile laisse même briller à découvert le pianiste avant que ses complices ne claquent un finale promptement enlevé. Voilà qui est fort bien troussé !

 

 

Le Larghetto ternaire associe

  • cordes aiguës langoureuses,
  • cordes graves chargées du rythme et
  • vents oscillant entre tenues des cors et commentaires des flûtes.

Le piano devient oxymorique dans la mesure où il retient ses notes avec science et lâche des paquets de quadruples croches auxquelles s’ajoutent

  • trilles,
  • appogiatures et
  • mordants.

C’est de ce mélange d’explosivité élégante et de retenue paisible, rendu avec une grande attention par Philippe Boaron, que sourd (sans jeu de mots beethovénien, le doit-on préciser ?) notre intérêt. Pimentent l’écoute

  • triolets,
  • contretemps et
  • deux en deux.

Certes, l’on pourrait parfois être moins sensible à une écriture qui coche toutes les cases du topos beethovénien, manquant dès lors de la force de la surprise. Toutefois, ce serait une double faute de goût : celle – que l’on qualifiera de florenceforestique – de la dame qui ouvre une mousse au chocolat et s’aperçoit, dépitée, qu’elle est au chocolat (“je m’en doutais,mais ils auraient pu me surprendre !”) ; et celle – que l’on ne qualifiera pas car elle n’est pas issue d’un sketch – du plaisir de l’ambivalence de ce genre d’œuvres de jeunesse, associant

  • moments familiers pour l’auditeur,
  • instants qui semblent un rien engoncés dans l’esthétique du mouvement lent de trop bonne famille, et
  • sursauts d’allégresse intérieure quand une trouvaille
    • rythmique,
    • mélodique voire (il y en a)
    • harmonique, justifie l’attention que nous portons au discours musical.

 

 

Le rondo final est un allegretto à deux temps lancé par un piano sautillant et goûtant aux joies du ternaire. En dialogue avec l’orchestre, Philippe Boaron tricote des saucisses avec une virtuosité tranquille. Willy Hess a activé de multiples modes duo entre le soliste et la phalange, par

  • confrontation (chacun investit le thème à sa façon),
  • complémentarité (l’orchestre accompagne ou est accompagné par la main gauche du pianiste) et
  • tuilage (les complices se refilent tranquillement la patate chaude).

Refusant de se laisser supplanter par le mec aux petits marteaux,

  • flûtes,
  • cors et
  • cordes

se révoltent, provoquant un brusque changement d’humeur ouvrant sur un thème presque bartókien, vite dissous dans le plaisir du ressassement du motif premier, qui aboutit à un finale manquant peut-être – à notre pas humble goût – de pyrotechnie joyeuse. Reste une proposition dont l’intérêt inégal n’obère en rien

  • la force de l’interprétation,
  • l’amusement que suscitent les topoi compositionnels hesso-beethovéniens, et
  • la légèreté roborative qu’inspire l’écoute de ce vrai-faux concerto.

Qu’en sera-t-il de la dixième symphonie ? Le suspense est insoutenable, soit, mais que l’on se rassure : il sera dissous dans une prochaine notule.


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