Komm, Bach!, épisode 57
Croirait-on qu’interpréter les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach puisse être, de nos jours, une provocation ? Sans doute pas si l’on n’a point suivi l’affaire çà ou là. Mais voilà que surgit Pascal Vigneron, le taulier du festival Bach et de l’orgue de Toul, le rganiss trompettiss, le policier facteur, dont nous avons chanté les louanges parfois, et parfois moins même si c’est pas sa faute. En vrai, il ne surgit pas seul en l’église Saint-André de l’Europe : il débaroule avec son orgue-à-lui, dont les lecteurs assidus ont aperçu l’arrivée.
Devant une église bien garnie de spectateurs, la question est : est-ce choquant d’introduire un mégasynthétiseur, appelé orgue Virtualis, alors que le festival invitant célèbre depuis octobre 2016 le come-back de l’orgue Delmotte-Béasse, restauré par la Manufacture Yves Fossaert ? À cette question légitime, on peut proposer trois réponses. La première est liée à la curiosité provocatrice : et pourquoi pas, surtout si cela fait bisquer les grincheux prompts à insulter sur les réseaux sociaux ? La deuxième est : où est l’artiste qui jouerait les Goldberg sur l’orgue local ? Qu’il m’envoie son CV (avec ses exigences), et l’on en reparle. La troisième est : le projet du festival n’est-il pas d’ouvrir le récital d’orgue à des propositions tant traditionnelles que musicalement puissantes et charpentées, répondant au projet d’une manifestation d’orgue-et-pas-que ? Cette expérience, unique sur Paris avec un tel dispositif technique, était une proposition qui nous a semblé légitime après cinquante-six concerts impliquant l’orgue du coin (qui reprend du service dès samedi 16 février).
Du coup, le concert était l’occasion de tester IRL le meilleur dispositif européen, pour une fois sans rapport avec la banque et la finance, d’orgue électronique via un monstre de Bach. Et, devant le distributeur de son disque, devant son attaché de presse (c’est pas dans l’édition – spéciale dédicace – que l’on verrait des pros se déplacer pour entendre à Paris une vedette de Lorraine-et-Alsace…), devant un public foufou d’enthousiasme même si parfois foufourbu, ça se comprend, par l’exigence de ces plus-que-trente miniatures, le zozo ne s’est pas dépantalonné. Précision des attaques, rigueur des doigts malgré la froidure, inventivité des registrations maison, sens de la suspension, Pascal Vigneron a fait vibrer l’audience par son ambition et sa maîtrise d’une partition qu’il habite plus qu’il ne la rrrrrelit.
Pour ce cinquante-septième grand moment du festival Komm, Bach!, l’artiste avait choisi d’associer l’exigence requise par le souffle du compositeur-qui-écrit-pour-un-insomniaque, la poésie de celui qui s’est inventé un instrument sur mesure, la jubilation de celui qui est capable de se cogner un monstre emblématique du Répertoire Klassik, l’audace du notable-de-province qui n’en a rien à carrer des pince-fesses de bon goût et la qualité du musicien qui sait jusqu’où aller trop loin dans la proposition musicale. Du coup, sans prétendre « imiter » un orgue véritable, c’est puissant, ça virevolte et ça souffle.
Au point qu’une minette a déboulé dans le narthex en cours de récital. Hypercourageux vu que j’ai déjà un procès aux fesses pour tentative d’homicide sur une intruse-de-concert, je me suis interposé sur l’air du : « Vous êtes sûre tu viens pour le concert ? » En fait, non, elle venait pas pour applaudir l’artiste mais « pour se repentir, car j’ai pêché, mon Père ». Sans la lâcher du regard, je l’ai laissée filer demander le pardon divin. Puisse le son de l’orgue Virtualis l’avoir aidée à retrouver le droit chemin, fût-ce par ironie.
Inconscient de son pouvoir rédempteur, Pascal Vigneron a reçu ses passionnés autour de son orgue. Présentation de l’instrument, démonstration sonore, explications musicologiques : comme le veut la tradition du festival Komm, Bach!, en dépit de la pression insupportable de ce stupide organisateur, la vedette ne s’est certes pas défilée. Proximité, simplicité, clarté et émotion n’ont certes rien ôté du mystère de cet instrument en plastique (surtout en chêne, en fait) ou de ce zozo capable de jouer les Goldberg, de gérer un hénaurme festival, de manager un label, d’enregistrer des disques d’exigence, de dispatcher des expositions autour de Bach, de s’occuper avec une gentille esclave du relationnel et de l’administratif tout en maintenant ses ambitions, saines et vertigineuses à la foi(s), d’artiste et de technicien-conseil en organologie. C’est ça aussi qui est fort, faut bien le dire.
Que ce soit autour d’un orgue, autour d’un verre (lui est sobre, c’est là où l’on se demande s’il est vraiment rganiss, policier ou trompettiss, mais bon), ou autour de disques à dédicacer a posteriori, le mec a fait le job. Il a même fait la pub pour ses concerts d’octobre 2019 à Toul, c’est dire s’il ne lâche rien. Sans jamais donner l’impression que c’est exceptionnel, mine de rien, de conduire le camion qui contient son Monstre, monter et démonter trois fois son orgue ou, en une journée, jouer deux fois en répète et une fois en concert (plus que fort bien, et non plus fort que bien, fi) les Goldberg. Le grand sosie de David Cassan et formidable musicien il signor Jorris Sauquet, associé à la grrrande soprano Emmanuelle Isenmann, la dame qui fait frissonner les pierres comme les humains, prendront sa suite le samedi 16 février à 20 h. Grand écran pour tout suivre en live, entrée libre, vrai orgue à tuyaux, chanteuse à deux cordes vocales même si on a l’impression qu’elle en a cinq ou dix, partant concert wow garanti. Contrairement à ce que laissent espérer cette cochonnerie de Pharaon Ier de la Pensée Complexe et ses sbires, il n’y a pas de magie, que des artistes. Merci, Mr Pascal !