Katharina Ruckgaber, “Love and let die” (Solo Musica) – 3/3
Après beaucoup d’amour (chronique 1), une noyade et un corps en putréfaction (chronique 2), que nous réservent les deux dernières parties du récital de Katharina Ruckgaber et Jan Philip Schulze ? Le sprint final s’engage avec le « Horatios Monolog” extrait de Hamlet, où Horatio propos aux ambassadeurs d’entendre de sa bouche, des récits
- d’actes
- charnels,
- sanglants et
- contre-nature,
- d’accidents,
- de meurtres,
- d’assassinats pervers et
- de complots qui finissent par retomber sur la tête de leurs fomenteurs (V, 2).
Sacré programme, par ma foi ! Assez copieux, en tout cas, pour que la partition de Hanns Eisler n’en rajoute point.
- Une basse octaviée à gauche,
- un doublage de la mélodie à droite,
- une ligne simple
précèdent l’explosion inattendue d’un ré mineur et de sa trille contrastant avec la banalité apparente sur laquelle était dressée la table des horreurs.
Étrange ouverture (mais que peut-il y avoir de pas-étrange dans la mort ?) précédant « Ein Gleiches » de Heinrich von Herzogenberg sur un texte de Joseph von Eichendorff. Il s’agit de la déploration d’un parent s’étonnant que le monde continue de vivre après que son enfant est mort, contraignant le poète de griffonner des chansons de siphonné. en si bémol mineur et trois temps, la partition est évidemment sombre avec un piano
- centré sur la clef de fa,
- ne négligeant pas l’unisson et
- veillant au respect métronomique de la lenteur.
La Sequenza III (1966) de Luciano Berio ne fait pas dans le Walt Disney woke et children friendly. Le narrateur, déchiquetant un texte de Markus Kutter, dit clairement qu’il veut détruire les mots de sa nana puis « me détruire moi, enfin, vraiment » avant « que la nuit ne vienne » et se présente comme un « documentaire sur la voix de de Cathy Berberian ». Le texte burroughsisé est donc
- parlé,
- susurré,
- feulé,
- glissé,
- scatté,
- strié,
- vocalisé,
- froissé,
- crié,
- rigolé,
- snappé,
- clownisé,
démontrant l’étendue du potentiel interprétatif de Katharina Ruckgaber. D’une durée a priori similaire et d’une esthétique aussi dissemblable qu’un Basquiat serait distant d’un Monet, « Vorbei« , sur un poème de Gustav Renner, montre Bruno Walter à l’œuvre comme compositeur et non comme chef. Jan Philip Schulze reprend du service pour accompagner les questions posées à une jeune fille
- rêveuse,
- furieuse et
- triste
après un « rêve fugace« . Rêve
- de love, bien sûr,
- de death (elle s’appelle Dess) pour rattraper la faute et la détresse de la solitude, donc
- de vie façon intense.
Pour autant, ce programme valait-il 7’22 ? Pour un lied classique, c’est fort excessif. À moins que tout ne s’achève à 2’50… avant un ghost-title à 3’54 ! Un ghost-title dans un disque de musique savante, quelle idée excellemment jubilatoire !
Même si elle ne dit pas toute la vérité (« les poèmes qui ne sont pas dans le domaine public n’ont pu être reproduits que sous la forme d’un résumé » écrit-elle dans le livret : formule absurde – de même que l’on peut chanter de la musique qui n’est pas dans le domaine public en payant, de même en demandant les autorisations et en rémunérant l’ayant-droit, on peut reproduire des textes récents), Katharina Ruckgaber apparaît donc facétieuse et joyeuse, même quand elle claque sa lettre d’adieu fomentée par Erich Kästner et Kurt Weill, façon Teresa Stratas (Marlene Dietrich l’ayant dédaignée), où l’on sent que son désespoir d’avoir été larguée ne l’emportera pas sur son urgence de se venger en mourant, à nouveau, d’amour. Superbe conclusion pour un disque supérieurement interprété et passionnant de bout en bout.
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Pour acheter le disque, il paraît que c’est autorisé, c’est par exemple là pour environ 10 €.