Jean Perrin, Florilège de chambre, VDE-Gallo (1/2)
Soutenue par la fondation qui porte le nom du compositeur, l’œuvre du pianiste et compositeur suisse Jean Perrin (1920-1989) en était ce tantôt à sa troisième exposition discographique. La nouvelle livraison propose cinq regards sur ce créateur et interprète, enregistrés entre 1979 et 1987 et articulés autour de trois sonates que calent une mise en bouche et un digestif.
Deux Intermezzi pour piano, sur les quatre répertoriés sous l’op. 29, publiés en 1973, ouvrent le bal. Le premier, indiqué « tranquillo senza rigore » , capte aussitôt l’oreille par sa capacité à associer liberté et cadre. Côté liberté, une apparente atonalité et une liberté de mesure offrent à l’interprète tout loisir de faire résonner la musicalité de la pièce. Côté cadre, la construction immédiate de repères (motifs récurrents, intervalles systématiques, distribution des accents) guide l’auditeur dans le mystère de cette miniature.
- Suspensions,
- contrastes,
- à-coups,
- sauts de registre
cahotent jusqu’à une coda apaisée en Fa. Peut-être trouve-t-on ici les cendres d’un gamin qui aimait à improviser, comme le narre l’ouverture du passionnant document en cinq volumes proposé par la RTS en 2013, toujours disponible à l’écoute sous la patte d’Antonin Scherrer.
Le second intermezzo, deux fois plus développé, se présente comme un adagio. La modération du tempo permet un usage multiple de l’espace entre deux temps, parmi lesquels
- la résonance,
- l’insertion de traits fonctionnant comme des leitmotivs, et
- l’exploration de différents registres conjoints ou disjoints.
Outre les trouvailles harmoniques et l’effet quasi hypnotique que finissent par susciter les cellules récurrentes, on apprécie notamment, moriendo final inclus,
- les mutations de nuances (brutales ou finement réalisées),
- le vaste spectre des accentuations, typique d’un compositeur-pianiste,
- le recours à l’ensemble du clavier ainsi que
- les audaces harmoniques, claquées ou glissées comme autant de surgissements d’un son composé dans un monde aux bruits débridés.
Premier morceau de choix, la Sonate pour cor et piano op. 7 saisit le compositeur à l’orée de sa trentaine. En 1979, la Radio suisse romande enregistre la version qui unit le pianiste au corniste Jozsef Molnar.
Le premier mouvement associe un grave et un adagio ma non troppo. Le piano y cherche une voie plus rythmique que mélodique. Le cor entre sur des notes tenues et semble interroger le propos de son acolyte, qui devient bientôt son accompagnateur. Puis le piano persiste et signe, s’escagasse même, porté par une basse solide. Quand le souffleur revient, le cours des choses reprend une apparence de normalité non sans que le bariolage du piano ne sous-tende une contrariété croissante qui finit par s’apaiser sans être vraiment résolue. Le mouvement se nourrit donc à la tension de l’indécision dont témoigne la double coda : une qui finit à l’unisson ; la suivante, non.
L’allegro ben candenzato se secoue à souhait, avec de beaux effets de synchronisation qui ne renâclent point devant le swing.
- Arythmie,
- friction du ternaire avec le binaire,
- effets d’écho entre les duellistes,
- complémentarité entre détaché et suspension du discours
animent un propos qui secoue l’évidence et l’univoque, et leur préfèrent une ligne de conduite souple associant le sursaut punchy à la cohérence structurelle.
En guise de finale, l’Andante ben moderato ma con moto ne ressemble certes pas à un finale classique. Est-ce le cor qui suscite cette solennité mélancolique ? Le fait est que la riche harmonisation pianistique continue de dialoguer à la tierce avec le complice cuivré sans feindre la communion.
- Ruptures,
- unissons partiels,
- frictions résolument non spectaculaires et
- pauses dans l’affrontement
marquent le refus du compositeur de cautionner une esthétique du mignon ou du choquant, deux tendances fortes dans les années cinquante. Les breaks et la virtuosité discrète produisent certes leurs joyeux effets, mais la partition est têtue : elle se dérobe à toute exploitation fulminante. Retenue suisse, diraient les Hexagonaux ? Confiance dans l’intensité des harmonies, rétorqueraient probablement les Musicologues Sans Frontière, tant l’énergie naît de la confrontation des caractères, entre intimité et extraversion irritée.
C’est peu dire qu’un incipit aussi tonique donne évidemment fort envie d’esgourder la suite !
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