Jean-Nicolas Diatkine, salle Gaveau, 16 décembre 2024 – 2/3
Pour ouvrir son récital 2024 à Gaveau, Jean-Nicolas Diatkine a choisi le concerto dans le goût italien BWV 971 de Johann Sebastian Bach, soit une œuvre doublement paradoxale, comme l’interprète l’explique au micro. D’une part, c’est la réduction d’un concerto qui n’a jamais été écrit ; d’autre part, c’est une réduction pour clavecin qui va, ici, se retrouver orchestrée par les sonorités plus larges du piano. Sous les doigts du musicien, le premier mouvement – un allegro qui ne dit pas son nom – se caractérise par
- la tranquillité du tempo choisi,
- l’articulation de nuances rebelles à toute emphase et
- la réussite d’un swing porté par
- des accents subtils,
- des mordants et des trilles raffinés, ainsi que par
- des contrastes finement suggérés.
L’andante laisse une basse tranquille servir d’assise à une main droite qui va son chemin. Loin de s’en tenir à l’énonciation du topos italien (ploum-ploum à gauche, mélodie à la dextre), Jean-Nicolas Diatkine tâche
- de créer un espace sonore singulier dans une acoustique qui lui est familière,
- d’inventer une temporalité où l’agogique – légère – paraît fondue dans l’énoncé du texte, et
- de susciter une concertation – rappelant le titre de l’œuvre – entre les deux protagonistes se promenant sur le clavier.
Le presto se présente sans excès de célérité. Le spectateur peut se pourlécher les esgourdes grâce à
- une motricité discrètement virtuose,
- une polyphonie toujours très claire et
- une régularité métronomique d’autant plus efficace que de justes accents la pimpent.
Le musicien, plus connu pour ses disques dix-neuvièmistes, rappelle à qui l’aurait oublié que spécialisation n’est pas exclusivité. Néanmoins, les quatre impromptus op. 90 de Franz Schubert renouent avec la veine plus fréquemment creusée par l’interprète. Lequel explique que, d’après lui, le premier impromptu serait la marche d’un poète obligé de faire la guerre et finissant par mourir alla Chopin : en majeur. Aussi l’interprète-t-il avec,
- d ‘abord, un sérieux martial,
- ensuite, l’optimisme que constitue la tentative d’envol de la mélodie,
- enfin, le souffle narratif que portent les modulations, les nuances et les articulations.
Comme le confirmeront les applaudissements saluant la performance, on ne peut que saluer la netteté
- de l’étagement des voix,
- des notes répétées et
- des mutations d’intensité.
Avec une aisance confondante, le deuxième impromptu associe
- fluidité,
- ductilité et
- mobilité des nuances,
avec une partie centrale marquée par
- une tonicité sans brutalité,
- des contrastes sans brusquerie et
- une vivacité plus intérieure qu’exacerbée.
La virtuosité de Jean-Nicolas Diatkine suscite son bouquet d’applaudissements avant que le troisième impromptu ne propose à la salle, très attentive (c’est devenu rare, dans les salles parisiennes…),
- une méditation intérieure et non démonstrative,
- offerte par la musique et non par la mise en scène d’un interprète mimant sa fausse torture intérieure,
- suggérée par les ondulations des tensions plutôt qu’explicitée par des à-plats de nuances flashy,
et à peine troublée par les malotrus qui trahissent leur connerie en parcourant leur programme à la lumière crasse de leur cellulaire-torche. Des applaudissements secouent l’hypnose dans laquelle l’artiste tenait ses spectateurs, puis le quatrième impromptu cliquette. On y goûte
- la légèreté de la main droite,
- la délicatesse de l’accompagnement et
- l’art du dialogue à trois (thème à gauche, harmonie au centre, mélodie à droite).
La partie centrale rend
- presque palpable l’inquiétude,
- vibrante l’obscurité qui descend,
- saillante la tension qui s’installe.
Elle sied comme un gant de soie à un Jean-Nicolas Diatkine dont on apprécie
- la virtuosité qui s’efface sans s’excuser,
- les lectures sensibles qui esquivent la sensiblerie d’un romantisme cliché, et
- les pétillements qu’il sait faire crépiter sans obérer le sombre qui guette et finira par nous envelopper.
De quoi mettre en appétit pour la seconde partie du récital où Schubert by Liszt et Beethoven promettent de grands moments. À suivre !
Pour retrouver nos chroniques sur Jean-Nicolas Diatkine, cliquer sur l’hyperlien choisi.
- Le grand entretien
- Les disques
- Les concerts
- Le disque tiré des concerts, parties 1, 2 et 3