Jean-Nicolas Diatkine et Estelle Revaz jouent Schumann et Brahms, Musée Jacquemart-André, 2 février 2025 – 1/3

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Jean-Nicolas Diatkine et Estelle Revaz le 2 février 2025 au musée Jacquemart-André (Paris 8). Une évocation d’après Rozenn Douerin.

 

Sa précédente tournée, Estelle Revaz l’avait calée autour des préludes de Dall’Abaco que nous avons évoqués tantôt. Sa nouvelle tournée, elle l’a calée après les débats que la représentante nationale helvétique qu’elle est aussi a suivis autour du foie gras, des crèches et des feux d’artifice. Pendant que ses collègues du PS local partent en séminaire, elle s’évade et file enchaîner les programmes (« en six concerts, je donne trois heures d’œuvres différentes », confiera-t-elle a posteriori), à commencer par une première date parisienne partagée avec Jean-Nicolas Diatkine.
Cela se passe dans le cadre feutré et désormais prémiumisé d’un musée Jacquemart-André (un immense hôtel particulier transformé en musée aux règles strictissimes pour les conservateurs, cédé à l’Institut de France et laissé en gestion à une entreprise privée), avec coupe de champagne bienvenue, fauteuil sauf pour les gens qui ne payent que 55 €, et, pour tous, concert dans un salon privé dominé par un balcon et couronné, tout là-haut, par un plafond peint. Le prix des places tabasse, mais il faut reconnaître que l’expérience clients, comme c’est qu’est-ce qu’on dit aujourd’hui, peut justifier que l’affaire soit tentante – cette fois, nous sommes invités, mais, avant la discrète restauration du musée, nous y étions allés en spectateur payant pour applaudir

Ce dimanche soir, pour la rare excursion hors des sentiers des récitals uniquement pianistiques, en dépit du nom de la prod, « Autour du piano », deux ensembles et une pièce sont au programme. Première série : les trois Fantasiestücke op. 73 pour clarinette et piano, œuvres autorisées – entre autres – à la violoncellisation par Robert Schumann en personne. Évidemment, un ancien clarinettiste continuera d’écouter cette version avec un petit sourire en coin, puisque la clarinette est le plus bel instrument soliste du monde, sauf quand c’est moi qui en joue aujourd’hui. Hélas, s’il est un peu de bonne foi, et ça arrive même aux clarinettistes désormais pitoyables, ledit souffleur reconnaîtra que le violoncelle propose une toute autre vision sonore de la partition et que, avec Estelle Revaz à l’archet, par ma foi, ça mérite de se laisser ouïr.
Le premier mouvement, mineur, « délicat avec expression », annonce la couleur acoustique absolument sèche propre au salon où se donne le récital. Les musiciens en tirent le meilleur en sachant que, ici, nulle emphase donc nul amphigouri ne sera envisageable. Dans cet espace,

  • la musique,
  • le son et
  • le propos

sont à nu.

  • Pas question de chercher à mystifier l’auditeur, ce serait vain.
  • Pas de rattrapage possible en cas d’embardée.
  • Pas de floutage à espérer si décalage entre partenaires.

Même si le duo a sans doute disposé d’un peu moins que de quelques mois de résidence pour travailler leur relation, cette gageure du direct-to-ears ne semble pas les impressionner. D’emblée, l’on goûte

  • la fluidité du piano,
  • le lyrisme du violoncelle et
  • l’ondulation des intensités, et hop.

Dans le deuxième mouvement, « vif et léger », les deux compères font rutiler

  • l’allant de la partition,
  • les foucades très schumaniennes à hue et à dia, ainsi que
  • les audaces harmoniques dont la jolie quintessence – mais non l’unique coup de génie – est la mutation de La en Fa.

L’ultime mouvement semble inventé pour Estelle Revaz puisque, en français, il est plus ou moins siglé « rapide avec du feu », un état d’esprit musical qui ne fait pas peur à la violoncelliste, au contraire. La flamme de la femme à la robe sanguine trouve son réceptacle dans l’âtre de Jean-Nicolas Diatkine, un foyer musical doux mais, mine de rien, volontiers crépitant si l’exigent les circonstances. Ensemble, les artistes rendent raison d’un morceau saisi par

  • la fougue,
  • les contrastes et
  • les multiples formes de dialogue qui constituent l’essence de la musique de chambre, dont
    • les unissons spectaculaires,
    • les échos roboratifs et
    • la confrontation de collègues prompts à se défier.

C’est le cycle le moins compliqué à mettre en place dans un programme dense et ambitieux. On pourrait en déduire que, stratégiquement, les musiciens l’auront traité en légèreté faute de temps pour le peaufiner. L’écoute pose un diagnostic strictement contraire. Le foisonnement schumannien, loin d’être négligé au profit d’une lecture gentillette, est animé par des artistes aux tempéraments opposés donc richement complémentaires. Dès lors, il apparaît

  • joyeux et tendu,
  • riche et sans chichi, bref,
  • soufflant pour des spectateurs qui arrivent, au soir de leur journée, désireux d’écouter de la musique envolante mais ou parce qu’usés par la vraie vie.

Si Dieu or something nous prête vie, le récit de la suite, palpitante, suivra !


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