Jean Muller, Les Sonates pour piano de Mozart, vol. 1 (Hänssler) – 1/3

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Jean Muller est un pianiste extraordinaire,

  • d’une aisance technique,
  • d’une vista esthétique et
  • d’une sensibilité toujours très juste.

Pourtant, ce n’est pas lui faire injure que de constater que son intégrale des sonates de Mozart est un peu passée sous les radars, du moins en France – nous avions chanté les louanges du troisième volume et d’un concert inscrit dans son intégrale live de la salle Cortot, comme nous avions goûté ses Goldberg au disque et en récital. C’est avec d’autant plus de curiosité que nous entamons la traversée cette fois par le début, sachant que chaque disque est conçu comme un récital, si bien que le premier ne commence pas par la première sonate mais comme le prologue affriolant d’une série.

 

 

Malin, le pianiste, qui s’empare sans barguigner d’un Steinway D capté dans le grand auditorium du Conservatoire de Luxembourg, dégaine pour nous circonvenir la Douzième sonate en Fa. L’Allegro ternaire s’annonce charmant à souhait. Ça tinte, ça sautille, ça cueille des fleurs sauvages en éclatant de rire. Rien de mieux pour préparer le surgissement du ré mineur qui, certes, frétille, mais avec moins d’énergie solaire dans ses batteries. Le toucher démoniaque de l’interprète excelle à

  • faire circuler les atmosphères,
  • lisibiliser (et hop) la polyphonie, et
  • épurer les changements rythmiques

avec ce petit plus technique et intellectuel, même si ce terme a mauvaise presse, qui lui permet de garder une cohérence à la partition sans en gommer les soubresauts.

  • Accents,
  • contrastes d’intensité et
  • art de la respiration

habitent ces pages et les éloignent définitivement du statut de bluette.

  • Les couleurs des modulations,
  • l’énergie des crescendi,
  • la fulgurance des piani comme des sforzendi

captent l’oreille même d’un non-mozartomaniaque.

 

 

À la précision époustouflante de ce premier mouvement répond l’intériorité de l’Adagio en Si bémol et à quatre temps. Nous voilà séduit par le soin apporté

  • à la distinction des lignes,
  • à la clarté des ornements,
  • au choix des phrasés,
  • à la construction d’une agogique férocement pertinente, eh oui, et
  • à la nuance de chaque note ou groupe de notes (ha ! ces notes répétées avec une délicatesse sidérante)…

quitte à ne pas entendre tout à fait le côté jazzy que l’interprète lit dans ce mouvement.
L’Allegro assai secoue les petites saucisses, même si Mozart continue de privilégier les petites séquences au souffle vertigineux. Ainsi se mêlent les plaisirs de la variété, de la tonicité, de la légèreté et de la suspension du discours (sans doute un aspect de l’humour que tient à distinguer le musicien dans le corpus qu’il empoigne). C’est

  • brillant sans s’abaisser au clinquant,
  • net sans se contenter d’être froidement clinique,
  • magistral sans paraître scolairement maîtrisé.

Écoutez par exemple ces reprises mélodiques à 3’56, après le trait : on a l’impression que le géant luxembourgeois gère l’attaque, la tenue et l’étouffement de ses notes. Comme n’a jamais dit aucun musicologue ni aucun humain doté d’un minimum de neurones : de base, c’est juste, mais de ouf, genre et ce, jusqu’à la coda tellement douce qu’elle semble moins décevante qu’ironique.

 

 

En contraste, la Troisième sonate en Si bémol nous ramène aux dix-huit ans munichois du compositeur. L’Allegro est moins prompt qu’il ne suscite sa propre célérité. À deux temps, il crée du groove voire du swing via l’usage

  • du ternaire contre le binaire,
  • des procédés itératifs,
  • des ornements,
  • des à-coups et
  • des motoriques bariolages en triples croches.

Partant de cette impulsion, Jean Muller impose sa musicalité :

  • nuances,
  • accents et
  • suspensions mesurées

ne se contentent pas d’agrémenter l’écoute, elles la construisent, l’épicent et l’entraînent sans cesse de l’avant.

 

 

L’Andante amoroso, ternaire et en Mi bémol, est pris avec une relative retenue qui favorise le balancement partagé entre

  • le ternaire (de la mesure) en binaire (des notes),
  • le ternaire en ternaire et
  • le mélange des deux, chaque main s’étant emparé d’une logique.

Point de mièvrerie, ici, mais manière de méditation qui n’exclut point les à-coups (appogiatures, arpèges, accords répétés ou séries descendantes, ornements enchaînés, reprise à l’octave…).
Le Rondeau allegro en Si bémol est pris avec la simplicité énergique qui va bien. À deux temps, il est irrigué par

  • des triolets roboratifs,
  • des trilles qui s’enivrent d’eux-mêmes,
  • des suspensions et même
  • une mesure quadruple !

Jean Muller rend de manière convaincante ce mélange de cahots et de fluidité, insistant avec malice sur les appogiatures légères ou pétaradantes qu’il assume comme « capables de faire sourire l’auditeur ». On a connu pire projet.

 

À suivre !


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