Jean Guillou, “Colloques et répliques” (Augure) – 5

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la recension des colloques 1 et 2,
celle des colloques 3 et 4,
celle des colloques 5 et 6 et
celle du colloque 7.

 

L’avantage du dernier coffret en date publié par Augure est d’offrir un panoramique inédit de ce que Jean Guillou a étiqueté « colloques ». En réalité, la saga des colloques recoupe plusieurs

  • périodes,
  • formes et
  • effectifs instrumentaux.

Les trois derniers nommés revendiquent un renouvellement des interlocuteurs de l’orgue. Nous évoquerons ici deux partitions, associant l’orgue l’une au marimba, l’autre à la flûte de Pan.

 

Colloque n°8

Enregistré dans la salle de concert de l’université du Texas du Nord, à Denton, l’opus 67 bénéficie d’un orgue à trois-claviers inauguré en 2008, année  où a été donné le concert dont le présent enregistrement est extrait. Au début du premier mouvement (8′), le son apparaît comme en fade in. Une ambiance aquatique et brouillardeuse nimbe le premier mouvement avant que le grave de l’orgue et la tonicité du marimba ne secouent cette torpeur. La musique se faufile entre

  • le silence fragmentant les échanges,
  • l’investissement de l’espace par les tenues ou la percussion et
  • la gestion de l’acoustique tant pour les échanges entre instruments (résonance, questions-réponses, imitations, interjections) que pour l’espace laissé entre les breaks.

Sans entrer en franche hostilité, les partenaires semblent chercher un moyen de s’amadouer. L’orgue use de multiples sonorités auxquelles répondent les multiples registres du marimba. Celui-ci sait

  • s’imposer,
  • suggérer de nouvelles pistes,
  • commenter,
  • initier des motifs repris par l’orgue ou, au contraire,
  • s’adapter à la grammaire du zozo à tuyaux.

Pour nourrir une œuvre spasmodique et pleine de rebondissements, Jean Guillou multiplie

  • recherches,
  • itérations,
  • bruitisme roboratif,
  • explosion d’idées,
  • imitations et
  • impasses.

Tout se passe comme si le compositeur gravait moins un duo dans le marbre qu’il n’en soupesait le potentiel, laissant en évidence

  • des ratures,
  • des esquisses mal gommées et
  • des projets abandonnés en cours de route.

Le second mouvement (12′) exclut tout apaisement. Faute de direction claire, les complices semblent chercher un terrain linguistique favorable aux échanges, ce qui ne va pas sans agacement réciproque. Il y a donc une forme de jubilation dans ce dialogue kaléidoscopique entre deux instruments qui n’arrivent pas à se parler mais s’écoutent obstinément.

  • Le travail sur le tempo donc tant le rythme que l’arythmie,
  • les variations d’atmosphère et
  • la spatialisation du son permise par l’association de l’orgue et du marimba

fait de l’étrange binôme en action un objet musical dont le compositeur défriche les possibles avec une inventivité patente. Toutefois, dans ce mouvement, les parties prenantes ont l’air de gagner en indépendance, comme si l’incommunicabilité avait tanné leur sensibilité. Ainsi, un grand solo d’orgue est à peine troublé par les interventions intempestives et fugaces du marimba. L’affrontement est inévitable même si le match, quelque boosté par la prise de son soit-il, est inégal. Un orgue flamboyant invite la percussion à un peu plus de modestie. Les silences qu’il obtient sont la preuve que sa démonstration de force a porté. Pour autant, la partie n’est pas jouée. Les deux histrions se jaugent et se rendent coup pour coup, et les derniers emportements reviennent au marimba… jusqu’à la coda à la fois caricaturale et guilloutique, disons donc archétypale, qui résout l’échange sur un gros POUËT.

 

Colloque n°9

Pour pimper un recueil pourtant dense, Augure joue sur les mots à l’occasion du colloque neuvième. Il le présente comme la création de l’opus 71, et non comme le premier enregistrement discographique – l’association avait déjà utilisé l’argument pour son disque orgue et flûte de Pan qui réunissait Ulrich Kerkenhoff et Jean Guillou – alors que le colloque dixième sera et une création et un premier enregistrement discographique bien qu’il soit enregistré en concert. Donc la création, ici reproduite, a été enregistrée en mai 2010 à Sainte-Elizabeth d’Augsbourg, sur un faux trois-clavier construit par Siegfried Schmid en 2008 ; mais le « premier enregistrement mondial », hors concert, a été effectué à Sant’Anastasia de Villasanta, en 2014, avec les deux mêmes (pour lire la notule sur ce disque, cliquer ici). À trop vouloir jouer sur l’exclusivité, le label devient pour le moins spécieux. Défaut véniel mais dont l’utilité n’apparaît pas évidente.
Donc, voici la pièce conçue par Jean Guillou pour Ulrich Kerkenhoff. L’orgue s’avance en solo, avant de tendre une perche déchiquetée à la flûte de Pan, qui s’en saisit et l’imite, travaillant le son :

  • attaque nette ou soufflée,
  • tenue droite, courbe ou ondulante,
  • sortie répétée ou détrempée.

La ligne de la flûte paraît tenir en respect un orgue tour à tour

  • désorienté,
  • nerveux et
  • tempétueux.

Indifférente aux changements ombrageux et souvent imprévisibles de registration, la flûte se complait dans un ressassement unificateur (au sens où sa répétition de motifs reconnaissables tissent un fil presque rouge en dépit des cahots du texte), ressassement qui s’éclaire par des reprises de motifs organistiques et des effets idiomatiques tels que

  • dégringolades en glissendo,
  • évolution de la justesse et
  • rapidité des attaques staccato.

L’orgue travaille ses propres spécificités :

  • distinction des plans sonores,
  • ciselage des masses,
  • définition des tenues, des couleurs et des intensités.

À la souplesse du souffle de la petite flûte répond la modularité de la grande flûte qu’est l’orgue. Le dialogue se noue, s’approfondit, s’entretient, s’emporte parfois. Plus qu’un colloque savant ou un fight de coqs, Jean Guillou met en scène un entretien qui ne néglige

  • ni les monologues,
  • ni les duos cordiaux,
  • ni les franches oppositions.

Cette pluralité relationnelle bénéficie à un texte qui fait fructifier l’originalité de l’association et la virtuosité d’Ulrich Herkenhoff dont les cadences ébouriffent jusqu’au bon vieux gros POUËT des familles chargé d’indiquer que, a y est, c’est fini… provisoirement car, pour notre part, un dernier post nous permettra d’examiner le dernier colloque ainsi que les deux versions des Répliques incluses dans ce coffret décidément plus que riche : profus.

À suivre !


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