Jann Halexander, l’art des nouveaux départs

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Lord Phoebius lors du lancement d'”Ornithorynque” par Jann Halexander, le 13 septembre 2024 (Paris 13). Photo : Rozenn Douerin.

 

Il le promet plus ou moins à chaque fois : c’est la dernière date, le dernier concert de proximité, le dernier whatever. Puis il replonge, drogué jusqu’à la moelle. Accro aux concerts, Jann Halexander ne cesse de promener sa grande carcasse jamais contente de théâtres en appartements et de scènes partagées en projets inattendus.
C’est un cadre intime, dit “chez l’habitant”, que le chanteur franco-gabonais a symboliquement choisi pour son premier concert de sortie d’album. D’aucuns y verraient un signe de lose, pour un artiste qui a enflammé le théâtre Michel avec son concert issu de la tournée Consolatio. Par chance, Jann Halexander se tamponne le coquillard des d’aucuns. Comme pour mieux inscrire sa chanson dans la vraie vie, la quotidienne, l’intime, la concrète, plutôt que de se produire sur une jolie scène francilienne marquant clairement la séparation entre le chanteur qui chante et les gens qui clap-clapent, il a réservé la primeur de son nouveau tour de chant, incluant une édition spéciale du nouveau disque, aux curieux qui avaient eu la chance de pouvoir réserver une place. Jann pratique la chanson cabaret, un mélange

  • de rive gauche et de liberté,
  • de poésie et de recette pop,
  • de mélodies et de goût pour la langue plus que pour le texte.

Au programme, comme à son habitude, du neuf, beaucoup de neuf, et du vintage revisité. Car Jann n’a pas le culte du passé, il a plutôt un côté ruminant : il aime le remâcher, le réinventer, le recréer. Jann n’a pas non plus le culte du présent, il a plutôt une conscience du flux : moins hic et nunc ou carpe diem que let’s go. Moins urgence du moment que conscience de l’instant donc de l’éphémère. Ses nouvelles chansons sont comme les anciennes, des fredonneries inscrites dans

  • une durée,
  • un prolongement, disons
  • une carrière.

Dès lors, il n’y a presque rien de saugrenu

  • à ses incartades,
  • à ses embardées dont on ne sait jamais si elles sont spontanées ou presque prévues,
  • à ses saute-moutons qu’il semble goûter plus que tout.

L’homme chante parce qu’un chanteur chante, et la nave va quand elle ne coule pas.

 

Jann Halexander lors du lancement d'”Ornithorynque”, le 13 septembre 2024 (Paris 13). Au clavier : Bertrand Ferrier. Photo : Rozenn Douerin.

 

La set-list du concert de lancement se découpe en quatre parties. La première, clavier-guitare en renfort, égrène trois chansons bien connues des aficionados

  • (“C’était à Port-Gentil”, sur son enfance gabonaise,
  • “Rester par habitude”, autour de la pérennisation sinon de l’amour, du moins du couple, et
  • “Papa Mum”, hymne au mélange identitaire célébré en son temps par des remixes efficaces)

avant une nouveauté, le contrasté “Miss Amelia”, issu d’une inspiration littéraire comme, jadis, “Souvenir d’Hadrien”.
La deuxième partie, avec pianiste et sans la gratte de Claudio Zaretti, mêle la déclaration d’identité du “Mulâtre” à trois titres du nouveau disque :

  • l’amusant “Amie de ma mère”,
  • le très autobiographique “Ballade pour un enfant”, coming-out d’un papa ayant depuis longtemps assumé voire proclamé sa bisexualité, et
  • le fabuliste “Ornithorynque”, qui prolonge le “Mulâtre” en mariant poils et bec

(nous aurons prochainement l’occasion de revenir sur le dernier disque de l’artiste et d’évoquer plus précisément ces chansons).
La troisième partie accentue l’intimité entre le chanteur, qui s’empare du clavier, et son public, avant d’ouvrir le champ des possibles en convoquant Charlotte Grenat pour “Les gens qu’on aime” et “Je deviens de Différence”. La quatrième partie renvoie du pâté avec l’iconique “Poisson dans mon assiette”, dont Jann Halexander accentue la noirceur explicite après d’autres versions où il insistait sur l’humour comme outil de dénonciation, et le lumineux “Soleil” de Catherine Ribeiro, chanteuse dont il arpente régulièrement le répertoire avec émotion. En bis, une reprise inattendue de “La Granvillaise”, également disponible en version studio, trahit la constante recherche du musicien pour

  • ménager,
  • nourrir et
  • agrandir

la diversité de son répertoire… ainsi que sa capacité à embarquer avec lui un public métissé.
En conclusion, un concert à la fois maîtrisé et spontané, donc joyeusement foutraque par moments, donnant

  • du charme à la rigueur,
  • de l’imagination à l’indispensable et
  • de la fluidité aux exigences d’un tour de chant.

Pour prolonger cette évocation et écouter gracieusement voire acheter Ornithorynque, c’est par exemple ici.

 

Claudio Zaretti lors du lancement d'”Ornithorynque”, le 13 septembre 2024 (Paris 13). Photo : Rozenn Douerin.