Jann Halexander, « La Question des ovnis en Afrique centrale »

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Et si les Africains avaient, eux aussi, leurs ovnis et leurs extraterrestres, et pas seulement des esprits et autres fantômes ? C’est la thèse que défend Jann Halexander, connu à la fois

  • pour son activité de chanteur (en solo ou dans un duo russo-gabonais qui continue de tournoyer de ci de là) et
  • pour sa curiosité à l’endroit de l’ufologie.

Lui-même se présente comme un abducté. Il a témoigné de son expérience, de ses doutes et de ses certitudes tant face caméra que face public dans « L’abduction ». Son nouveau livre, La Question des ovnis en Afrique centrale, cherche donc

  • à attester des phénomènes de ce type sur le continent noir et
  • à interroger le manque de documentation sur le sujet.

 

 

Pourquoi cette terminologie si développée chez les colonisateurs n’a-t-elle pas ruisselé sur l’Afrique ? De même, si le sujet semble peu prisé dans cette aire, sera-ce

  • par manque de termes ad hoc pour désigner lumières, soucoupes et petits êtres verts,
  • par souci – presque réflexe – de préserver une culture qui fait la part belle à l’animisme, voire
  • par refus de se laisser contaminer par ces balivernes de Blancs, ainsi qu’ont été considérés en leur temps le sida ou le covid ?

Ainsi l’auteur respecte-t-il son titre. Loin de déballer une collection

  • de témoignages de première main,
  • d’articles de presse des années 1950,
  • d’analyses et d’hypothèses émises par des sommités de ce petit cercle,

il assume frontalement l’incongruité de ce projet. Si les déclarations de la NASA et de certains élus américains ont revigoré les passionnés d’ufologie, il n’en reste pas moins saugrenu que l’ovni soit surtout occidental. Difficile de croire que les extraterrestres aient sciemment évité l’Afrique – à moins de considérer qu’ils soient racistes et aient décidé qu’il était vain de communiquer avec des attardés mentaux… L’absence d’une solide littérature africaine sur le sujet égratigne quelque peu l’affirmation d’une existence extraterrestre interagissant de façon multiple avec les humains. Pour appuyer sa certitude, l’auteur ne cherche pas d’emblée à prouver que, en réalité, des observations d’ovnis ont été recensées, mais à faire rendre gorge à cet argument des sceptiques : si les ovnis existent, ils existent aussi en Afrique ; pourquoi leur présence est-elle si peu attestée, sinon parce que ce folklore n’est qu’un conte occidental ?
Jann Halexander rétorque que, au problème lexicographique (dans les langues locales, les ovnis pouvant être assimilés à des esprits et accueillis voire noyés dans cette vaste catégorie) s’ajoute un problème technique. En effet, l’un de ses interlocuteurs expose un cercle vicieux que l’on peut résumer en une phrase : pour voir quelque chose, il faut regarder. Or, les armées autochtones ne s’intéressent pas aux ovnis parce que leur maîtrise de l’espace aérien est très faible, euphémisme. Donc, ce qui se passe dans les cieux, ça ne les intéresse pas plus que ça, donc ils n’observent pas, donc ils ne voient rien. Certes, ce n’est pas parce que l’on ne regarde pas qu’il y a quelque chose à voir mais, s’il y a quelque chose à voir, encore faut-il regarder dans la bonne direction pour l’observer.
Aussi l’auteur poursuit-il son enquête auprès d’autres témoins. Cheryl Itanda suggère que si une forme d’extraterrestre est arrivée, elle a peut-être donné une forme de savoir à nos anciens » et que le silence sur le sujet est lié à la volonté des initiés de ne pas dévoiler le contenu de ce « savoir venu d’ailleurs ». Nanda rejette l’hypothèse lexicographique : elle sait que les génies existent, mais « ce sont les habitants de notre environnement immédiat », ils ne viennent pas d’autres galaxies. Déo soupçonne que la religion joue son rôle : un phénomène extraterrestre est inexplicable, or, la religion permet aux fidèles de comprendre le monde ; si bien que l’inexplicable, pour des « chrétiens fanatiques », doit être expulsé. Jann Halexander renchérit : « Un Congolais de Brazza me disait que si des gens, par chez lui, observaient des choses inhabituelles dans le ciel, ils se tairaient car le simple fait d’en parler pourrait porter malheur. »

  • Crainte sacrée,
  • peur du performatif,
  • épouvante devant la possibilité d’une malédiction,

l’exploration du monde des extraterrestres n’est pas un petit monde tranquille. À en croire maints interviouvés, il engagerait l’ensemble de notre conception du monde,

  • du stade individuel
  • jusqu’au niveau métaphysique
  • en passant par la collectivité nationale.

 

 

Quand les États-Unis privilégient la justification des silences militaires par la sûreté de la fédération, le silence autour des ovnis africains pourrait être davantage lié aux religions, croyances et traditions locales soucieuses de préserver leur appropriation du réel en général et des mystères du monde en particulier.

  • Les génies,
  • les créatures non-humaines,
  • les phénomènes cosmiques ou
  • les micro-événements comme la découverte d’objets dont l’origine est attribuée à la Divinité

ne seraient pas compatibles avec la geste extraterrestre telle qu’elle est narrée en Occident, avec trois conséquences :

  • une non-observation,
  • une non-prise en compte de ce qui est vu malgré tout, et
  • une intégration des bizarreries de l’atmosphère dans une cosmogonie plus locale que galactique où feux follets, « gris », « génies », et divinités ont la part belle.

Le juriste David Ikoghou-Mensalt avance que c’est le revers de la médaille : « Les Noirs sont moins dubitatifs dans leur relation avec le phénomène. » Dès lors, ils auraient développé un rapport plus intime avec l’exceptionnel et n’éprouveraient ni attraction, ni besoin, ni inclination pour l’explication ufologique, tandis que l’homme blanc, dont le rapport au réel serait moins enchanté et plus encadré par une forme de réalisme teinté de scientisme, aurait eu besoin de construire, nourrir et étayer l’hypothèse ovni. Celle-ci se retrouve face à son miroir : elle dénonce la superstition autochtone pour justifier le peu de références ufologiques sur zone comme d’autres dénoncent les récits d’ovnis et d’extraterrestres comme une jolie superstition post- ou péri-hollywoodienne.
Fidèle à sa ligne de conduite, Jann Halexander ne nie pas les contradictions, les tensions, les zones d’ombre, et c’est l’un des grands intérêts de son livre. En multipliant les entretiens, il propose un kaléidoscope stimulant de ressentis, de perceptions, de convictions qui traduisent mieux qu’un long discours

  • la complexité de l’affaire,
  • ses cahots,
  • ses soubresauts,
  • ses tâtonnements et même
  • ses éructations dont portent trace des témoignages inattendus.

Ainsi de celui du vendeur originaire de Kinshasa. Fou de rage contre « les élites occidentales », il considère que, contrairement à notre corps, notre esprit « ne s’est pas densifié » et « est comme un nuage qui peut prendre n’importe quelle forme » ce qui suscite l’appétit de « créatures ».  Credo sincère ou explication pratique pour justifier le viol de sa sœur par son père, qui aurait été au moment de l’acte « sous l’influence d’entités » maléfiques ? L’un n’empêche pas l’autre, évidemment – l’abolition ou l’altération du discernement n’est pas réservée aux justices africaines… Il n’en demeure pas moins que les croyances de l’interviouvé lui sont triplement précieuses puisqu’elles lui permettent

  • de fonder son acceptation d’un crime familial,
  • d’alimenter sa pulsion poétique (laquelle justifie à son tour une appétence pour l’alcool qui colore probablement son récit) et
  • d’insulter à sa manière son pays d’accueil (« les démocraties occidentales utilisent nos anciennes sorcelleries »).

 

 

Grâce à la friction entre des entretiens souvent dissonants appert un autre grand intérêt du livre de Jann Halexander : son pointillisme honnête, corrosif et subtil.

  • La diversité des témoignages,
  • la variété des croyances (j’avais écrit « la variété des fois », c’était pas super net),
  • la capacité de l’auteur à écouter

saisissent à chaque page car elles valorisent la spécularité de la réflexion. Si, si.En interrogeant comment les ovnis, concept a priori non africain, sont perçus sur le continent noir, l’auteur offre une plongée anthropologique rare qui renvoie la question à son questionneur. Au fond, c’est quoi, des extraterrestres ?

  • « Des cris dans une langue incompréhensible » qui font du 2 février 2003 le plus beau jour de la vie de Théo le Sénégalais ?
  • la Vierge Marie « apparue à une fenêtre, du côté de l’aéroport de Yaoundé ?
  • un mythe de superhéros superpuissant pour Bastia Ndinga ?
  • des omnipotents inutiles (« où étaient-ils, les ovnis, quand les hutus massacraient les tutsis ? » lance un Rwandais immigré au Québec) ?

L’approche africaniste des ovnis rappelle qu’il s’agit d’un phénomène difficile à cerner, à expliquer, à justifier – et cet angle est particulièrement précieux. En effet, face à une ufologie qui érige la rigueur et la science en guidelines censées assurer la respectabilité des auteurs, Jann Halexander montre que le sujet mérite aussi de valoriser sa part d’énigmatique, d’indécidable, osons même : de poétique voire d’onirique. En composant un livre choral, l’auteur s’adresse à la fois aux passionnés-experts du sujet, aux sceptiques et aux indifférents, car tout son texte renvoie à la question philosophique de l’humanité. Oui, les extraterrestres sont indifférents aux vicissitudes humaines, ils n’empêchent ni les attentats, ni les guerres, ni même l’essor perpétuel de la connerie donc de la haine.

  • Leur intentionnalité n’est pas claire,
  • leur origine est nébuleuse et
  • leur ontologie nous échappe,

justifiant pleinement le scepticisme qu’ils inspirent. En revanche, ils interrogent notre conception

  • de l’homme,
  • de ses limites et
  • de l’altérité.

Voilà pourquoi La Question des ovnis en Afrique centrale n’est jamais un ouvrage technique sur un sujet pointu dont nul – ni soldat, ni politique, ni scientifique, ni fan transi – ne peut affirmer définitivement qu’il n’est pas chimérique : c’est

  • un reportage sur un tabou au sens fort,
  • un éclairage singulier sur les rapports entre Occident et Afrique, et
  • une proposition
    • stimulante,
    • attractive et
    • excitante pour
      • découvrir,
      • observer,
      • réfléchir des Terriens qui parlent
        • d’extraterrestres, donc
        • d’eux, donc
        • de nous.

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