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Ce qui est bien, quand on ne connaît pas grand-chose, c’est qu’il reste beaucoup à découvrir. Ainsi de Jan Novák, dont VDE-Gallo a publié de nombreux disques, à commencer par ce volume, capté en 1996 par Olivier Buttex en personne et édité en 1999. Le Kammer Ensemble de Paris est alors dirigé par Armin Jordan. Et le disque est super. (Voir infra pour une vraie critique suintante de prétention, comme d’hab’.)

Balletti à 9 (23′) précipite l’auditeur dans un Allegro molto aux allures de danse de saint Guy – dont les premières mesures ont pour le moins inspiré l’arrangeur de l’excellent « Coup de queue de vache » de Thomas Fersen ! La pulsation des violons trouve écho et swing dans les formules des bois, le grondement de la contrebasse, les unissons soudains et les énoncés du cor. Quel début en fanfare, astucieusement écrit et follement énergique ! D’autant que la prise de son, donnant une impression de proximité, accentue cette ivresse de la farandole, même si le montage de Jean-Pierre Bouquet manque parfois de délicatesse (2’51).
Le Moderato offre à la clarinette de Philippe Cuper l’occasion de lancer la partie. On y retrouve les carburants de la première phase : motifs circulant de pupitre en pupitre, bariolages facétieux ou virtuoses, fusées ascendantes et accents synchrones, avec l’ajout de cellules obsédantes ornées de cordes volontiers viennoises. Chaque instrument obtient l’occasion d’intervenir, en tête d’ensemble ou en solo, de la flûte de Clara Novakova au basson de Henri Lescourret en passant par le cor de Daniel Catalanotti tandis que les cordes (Jean-Claude Bouveresse, Philippe Dussol, Hugh Mackenzie et Bernard Cazauran) savent impulser le rythme voire les breaks (4’30), coll’arco ou en pizzicati, jusqu’à l’accélération finale.

Le Lento oppose la nonchalance des violons aux contretemps de la contrebasse et du basson. Ça se balance avec élégance, porté par les montées de la clarinette, les minauderies de la flûte et les intermèdes soufflés auxquels font écho les cordes. Le cor puis l’alto ajoutent du piquant à ces beaux échanges où les rôles permutent gracieusement jusqu’à l’apaisement final. Le Vivo n’enlèvera certes rien à notre enthousiasme. Le quatuor à cordes semble davantage moteur, mais le compositeur veille à alterner les fonctions et à insérer, au gré des mutations d’atmosphère et des modulations, des surprises comme ces glissendi en parallèle ou à l’unisson (2’15 et 2’37). Son sens brillant de la déclinaison des motifs offre, singulièrement un résultat aussi impressionnant que passionnant de bout en bout.

Changement partiel d’équipe, avec les Sept métamorphoses in pastorale L. V. B. (7′) pour flûte, hautbois, deux violons et piano – Christophe Poiget et Christophe Larrieu se glissent alors dans le combo. Œuvre de commande terminée peu avant la mort de l’artiste (peu après eût été plus étonnant), elle esquisse sept évocations de la « Symphonie pastorale » de Ludwig van Beethoven d’une durée moyenne d’une minute. L’énergie de l’Allegro liminaire est mise en valeur par une écriture inventive et une exécution soignée (virtuosité, sonorité, synchronisation et nuances). La flûte baguenaude, gaie et primesautière dans l’Allegro non troppo, que troublent le piano puis le trio de cordes. Le troisième mouvement joue la vitalité du ternaire tournoyant en associant cordes, flûte et hautbois. Le piano, silencieux dans le mouvement précédent, prend avec élégance et brio le contrôle de l’Andante, en dépit des interventions des cordes.

Le « Quasi scherzo vivace » qui s’enchaîne remet aux prises l’ensemble des protagonistes, à coups de contretemps délicieux. Ces cahots précipitent la course des instrumentistes dans le sixième mouvement, où le violoncelle prend le lead, accompagné par ses pairs. La légèreté de la flûte fait basculer ce beau monde dans l’Allegro assai final où Jan Novák utilise sa spéciale : après qu’il a installé une dynamique fascinante, le compositeur envoie un soliste (en l’espèce la flûte) planer au-dessus de la bataille… avant de re-susciter un antagonisme swingué (la flûte, toujours, à 0’45 !). Même si les dix secondes de blanc à la fin de la piste surprennent, tout est savoureux : la partition, à la fois simple, riche et gorgée de vie ; l’exécution, brillante et musicale ; et la restitution discographique, claire et sans chichi.

La ballade s’achève déjà, hélas, avec le Concertino pour quintette à vent (12′), Jean-Louis Capezzali s’emparant de la partie de hautbois. Cette musique de bonne humeur tente de marier jazz et musique savante. Dès l’Allegro molto, la liberté harmonique qui sourd çà et là se frotte aux contretemps, aux formules récurrentes qui ruissellent de pupitre en pupitre, aux effets de mini big band (1’22) renforcés par l’utilisation d’un basson en guise de contrebasse assurant le redoutable beat. Changement d’ambiance avec l’Adagio : le basson y évoque l’accompagnement du célèbre « Air » de la Suite en Ré de Johann Sebastian Bach, tandis que la flûte, comme feu Johnny, a le blues. Le basson qui la rejoint après plus d’une minute l’encourage dans cette mélancolie. Le cor ne dit pas autre chose. Perturbante, l’arrivée des hautbois et clarinette semble dégingander le rythme, et hop, plus que remettre d’aplomb cette musique sciemment de guingois. Le basson-contrebasse s’offre alors un solo, avant que le thème initial ne revienne à la flûte, harmonisé pour l’ensemble du quintette.

C’est écrit avec métier, ironie et subtilité ; et l’exécution est à la hauteur du compositeur – on regrette d’autant plus que le decrescendo final soit truqué par un fade-out artificiel que, vu le niveau des musiciens, l’on a tendance à imaginer inutile. L’Allegro stipulé « swingy » dégaine un hautbois qui se dandine. La flûte, puis le basson, puis la clarinette donnent une teinte sérieuse car quasi fuguée à ce mouvement, où le motif liminaire résonne d’un bout à l’autre de l’ensemble, cor compris, façon fugato ou unissons modulants. Le basson reprend par intermittences son rôle de contrebasse, la flûte gardant la préséance pour énoncer les thèmes qui balancent, en alternance avec les figures montantes (on part du grave, on ascensionne, zip zip, progressivement mais ensemble) et les moments rythmiques (accords en quintette à rythmes pointés). Le tout finit alla big band, ce qui sera toujours préférable à quelque « Allahou akbar » de grand malade de l’os de la tête ; et le résultat est, ma foi, quelle qu’elle soit, bien savoureux.


En conclusion, on l’aura déduit, ce disque nous a totalement séduit. Les pièces qu’il rassemble sont à la fois diverses et palpitantes. Les interprètes sont brillants : virtuosité des saucisses, travail d’ensemble et capacité à modifier la couleur des sons quand nécessaire. Un regret supplémentaire, néanmoins ? Non, deux. D’une part, à l’aune du CD, la durée totale de 43′ est difficile à justifier… même si d’autres disques Novák peuplent le catalogue de VDE-Gallo. D’autre part, on eût aimé que le livret expliquât le choix de ces pièces – volonté de surligner la diversité du compositeur ? retranscription d’un projet de concert nécessitant des œuvres aux tonalités variées ? Rien n’en est dit. Ces regrets gourmand puis encyclopédique n’enlèvent pourtant guère à une découverte remarquable que nous nous réjouissons de partager avec des lecteurs qui, éventuellement, seraient presque aussi incultes en novákologie que nous… donc hâtifs de rencontrer cette musique revigorante en diable !


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