Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 5/5
« Le thème est nul, disait en substance Christian Chamorel en présentant en concert les variations KV 455, mais les variations ont un élan qui me met toujours de très bonne humeur. » Peut-être est-ce l’une des raisons ayant motivé Irakly Avaliani à conclure son disque Mozart par les Variations en Sol sur « Unser dummer Pöbel meint », dont on connaît la légende : Wolfgang Amadeus l’aurait composé en 1783 en se remémorant une improvisation donnée sur cet air de Christoph Willibald Gluck en présence de CWG (Tchaïkovsky s’étant plus tard inspiré de l’œuvre inspirée de l’air, etc.). Va donc pour un thème nul et dix variations euphorisantes !
L’allegretto liminaire travaille essentiellement
- les attaques,
- les détachés et
- les contrastes d’intensité.
Au contraire, la première variation insiste sur le legato des doubles de la main droite sans négliger la légèreté tonifiante
- des octaves,
- des notes répétées et
- des conclusions de traits.
La deuxième variation envoie la senestre au charbon, tandis que la dextre s’amuse des
- appogiatures,
- contrechants et
- contretemps.
La troisième variation offre une vision swing et légère du thème, ici traité piano de façon
- ternaire (triolets de croches),
- sautillante (itération du ré) et même
- malicieuse (mordants).
Grâce à sa maîtrise du contact entre doigts et clavier, Irakly Avaliani propose une quatrième variation
- moins martiale que contrastée,
- moins contradictoire (entre octaves de la basse et doubles croches de l’aigu) que frictionnelle, et
- moins clivée que dialoguante.
La cinquième variation ose
- le mode mineur,
- le rythme pointé et
- le métissage binaire / ternaire.
La sixième variation est la fête
- des trilles,
- du staccato et
- de la passation de mélodie entre les deux mimines.
La septième variation creuse davantage
- l’enrichissement harmonique,
- la tentation de la modulation, et
- l’élargissement de l’écriture à une, deux ou trois voix.
La huitième variation renvoie le thème à la main gauche tout en exigeant qu’elle pose la basse du premier temps avant d’aller folâtrer dans les aigus en croisant sa consœur bariolante au passage. On y apprécie
- le motorisme de l’accompagnement,
- la complémentarité de registres et
- la légèreté du toucher avalianien.
L’originalité structurelle de ce segment s’exprime par la présence
- d’une coda,
- d’une cadence, et
- d’un enchaînement
tuilant la huitième avec la neuvième variation, la plus longue (et de loin). Le pénultième réinvestissement du thème surjoue le contraste :
- après le secouage de saucisses de la précédente variation et avant une fin que l’on imagine forcément brillante, il suspend le discours en assumant un tempo adagio ;
- lent, donc, il se zèbre d’éclairs oscillant entre triples et quadruples croches ;
- posé sur le quatre temps de l’aria, il secoue ce carcan à l’aide
- de trilles,
- d’ornements et
- de triolets de doubles croches.
Le mouvement tient
- de la méditation claudiquante, comme si le compositeur avait peine à contenir sa fougue dans la petite vitesse qu’il s’est imposée ;
- d’une synthèse presque nostalgique des types d’écriture explorées au fil des variations ; et
- d’une réflexion bouillonnante sur toutes les variations qui pourraient avoir été composées – en témoignent
- la longueur du mouvement, quatre fois plus importante que la moyenne observée jusqu’alors,
- les cahots stylistiques (alors que, jusqu’à présent, chaque mouvement était aisément caractérisable, celui-ci se dérobe à l’unicité en associant
- traits,
- octaves,
- accords…), et
- l’espèce d’hésitation que rend admirablement l’interprète à travers, notamment,
- les silences,
- les changements d’humeur et
- les oscillations rythmiques.
La dixième variation
- revient à l’allant d’un allegro,
- s’émoustille de staccati pimpants à souhait et
- s’aventure dans les froufrous d’une fringante pulsation ternaire
avec
- cadence brève donc d’autant plus spectaculaire,
- croisement de mains pour pimenter la chose, et
- retour au quatre temps pour
- la réexposition du thème,
- son emballement par contamination de doubles croches et
- la péroraison finale.
Une version
- d’une grande finesse,
- d’une allégresse miroitante et
- d’une musicalité vibrante
qui nous permet de conclure, avec notre mauvaise foi têtue et notre idiolecte d’expert ès musicologie appliquée : Mozart, souvent, j’aime pas, mais ça, c’est un autre Mozart, alors j’aime bien !
Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., là.