Irakly Avaliani joue « Un autre Mozart » (2006) – 1/5
Un autre Mozart ? Tant mieux. Si, tant mieux car
- le petit HPI qui écrivait ses concerti à trois ans pendant que ses compères de la crèche jouaient à se fracasser le crâne à coups de hochets en bois,
- le joli cœur qui remplissait des pages de bariolage à cent sous la minute pour un résultat à peu près aussi passionnant que le monologue aux oiseaux du Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen,
- le génie malade qui meurt en écrivant son propre requiem commandé par la Faucheuse en personne,
tous ces clichés quasi sulpiciens et la cohorte de musique qui l’accompagne, censée être géniale alors qu’elle est souvent presque aussi
- navrante,
- banale et
- ennuyeuse
qu’une sonate pour flûte alto de Georg Philip Telemann jouée sur instruments d’époque par un consort subventionné à grands frais, jouant dans de petites chapelles sous l’éclairage feutré, tamisé et vacillant de bougies électriques, on aura bien senti que ce n’est pas notre came. En revanche, quoi de plus stimulant que de mettre ses propres clichés à l’épreuve de la musique ?
Voilà long de temps que nous avons observé une bizarrerie à la limite de la diablerie. Des pianistes que nous estimons – tels Jean Muller, Christian Chamorel et, en l’espèce, Irakly Avaliani – s’astreignent à explorer l’immense catalogue mozartien pour clavier. Comment des musiciens doués et sensés peuvent-ils dépenser leur énergie et leur temps à jouer des fadaises ? La dissonance entre la gourmandise pour Mozart dont témoignent ces interprètes remarquables et notre peu d’appétence pour cette musique suscite notre curiosité, sur l’air du : et si c’était pas si nul que ça, en réalité ? Irakly Avaliani va très loin dans la provocation en écrivant qu’
un seul accent au milieu de la phrase de Mozart peut provoquer plus de désarroi que toute la grosse machinerie romantique du dix-neuvième siècle.
Pour l’instant, j’aurais tendance à pouffer ; alors au travail, mon colon ! Et le disque, présenté par Tzvetan Todorov, rien que ça, de commencer par le troisième rondo de WAM, un andante en la mineur écrit en 1787 et mesuré à six croches par mesure. Le pianiste en cisèle l’incipit volontiers chromatisant par l’association entre
- une nuance piano,
- un phrasé précis et
- un sens délicat de l’attaque.
Sans alourdir par une agogique excessivement souple les respirations ménagées entre les différents segments qu’accole (avec un seul « l ») le compositeur, l’interprète fait cliqueter les éléments dynamisant la sage pulsation de la main gauche, notamment
- les anacrouses,
- les appogiatures,
- les trilles et, plus généralement, les nombreux ornements.
On goûte
- la légèreté de la pédalisation,
- l’étagement des voix quand elles se retrouvent trois à discuter, et
- les contrastes d’intensité.
Malgré une interférence grave qui surprend l’auditeur (3’11-3’17), l’oreille se concentre sur la veine
- modulante,
- chromatique et
- alternante (tantôt le travail sur la mélodie est premier, tantôt le travail sur l’harmonie prend le lead)
de la partition. Un segment central,
- en mode majeur,
- largement staccato et
- volontiers doublement ternaire
ravive l’intérêt de la proposition. Le compositeur et son porte-voix jouent à la fois sur
- la fragmentation d’un discours changeant,
- le plaisir du développement et
- l’agencement entre ruptures et continuité dont témoignent les oscillations tonale et modale.
En effet, le moment solaire en majeur s’effrite soudain pour laisser place à la réexposition du premier sujet – mineur – du rondeau,
- réinvesti,
- enrichi et
- devant presque obsessionnel.
Une dernière péroraison partagée par dextre et senestre permet d’apprécier l’art du toucher cher à Irakly Avaliani et achève de nous convaincre que, va, bien que ce soit du Mozart, il semblerait bien que nous eussions hâte d’ouïr la suite. À suivre, donc !
Pour écouter gracieusement le disque en intégrale, c’est, par ex., ici.
Pour réserver en vue du concert Beethoven avec lequel Irakly Avaliani fêtera ses 75 ans dont 65 de carrière, c’est, par ex., là.