Irakly Avaliani joue Robert Schumann (2009) – 7/8

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Première du disque

 

Nombre de la vingtaine d’épisodes composant le Carnaval op. 9 de Robert Schumann, dont l’écoute a commencé ici avant de se poursuivre , fonctionnent deux par deux. Ils peuvent être

  • enchaînés (« Arlequin » succède à « Pierrot », « Florestan » à « Eusebius »)
  • fusionnés (« ASCH – SCHA ») ou
  • dissociés : l’intermède paganinien ne suit pas l’hommage à Chopin, et Estrella, portrait de femme qui nous intéresse à présent, ne succède pas directement à « Chiarina », évocation de Clara Wieck.

Cette non-systémacité évite d’enfermer l’écriture dans un système guindé pour lui accorder une forme de liberté carnavalesque de circonstance. « Estrella », évocation d’Ernestine von Fricken est une valse en fa mineur.

  • Vivacité des deux tempi,
  • tonicité des octaves,
  • contraste des nuances dans les parties A et B,
  • enjambements haletants des mesures, et
  • brièveté de la miniature

saisissent l’auditeur, faisant écho au texte de Nancy Huston qui dialogue, dans le livret, avec les peintures de Masha Schmidt, et assume ses embardées quand elle décrit la brutalité comme une « caresse trop rapide », devenant une gifle grâce à laquelle « nous nous sommes embrasés » au feu de la « gracieuse beauté de l’aléatoire ». « Reconnaissance », hit du recueil, garde les quatre bémols mais bascule en deux temps et en mode majeur. Sous ses airs primesautiers, l’animato n’en relève pas moins d’un défi musical autant que technique, la main droite étant partagée entre une mélodie à jouer legato et des notes répétées à l’octave inférieure qui elles, doivent être « sempre staccato ». Comme si, en réalité, tout cela n’était que fastocheries pour première année de premier cycle,

  • les charmantes modulations,
  • les effets d’écho de la partie centrale entre soprano et basse,
  • la volte d’humeur et
  • la non-fin en suspension

sont restitués par l’interprète avec

  • une habileté,
  • un entrain et
  • une poésie

aussi entraînants que remarquables. « Pantalon et Colombine », qui conserve le rythme binaire mais revient en fa mineur, est un autre exemple de duo fusionné.

  • Vivacité sachant être inclure d’habiles respirations,
  • netteté des staccati,
  • soin apporté aux transitions et aux finitions (ironie parfaite des deux derniers accords)

ravissent le tympan. Se présente alors un duo embrassé, cette fois : la « Valse allemande » est jouée avant et après l’intermède hommageant – et hop – Paganini. Le thème principal, en fa mineur, associe

  • virulence des octaves et notes répétées,
  • légèreté des doubles faisant osciller la mélodie et
  • plaisir roboratif des doubles reprises que l’on retrouvera pour partie après l’intermède.

« Paganini » est un presto furieux en mode majeur et à deux temps, dont les mouvements contraires des deux mains exigent

  • de redoutables réflexes à la senestre,
  • une excellente articulation pour garder sa lisibilité à ce torrent d’octaves et de doubles, et
  • une hauteur de vue qui, par
    • les nuances,
    • les touchers et les accents, ainsi que par
    • l’usage très précis de la pédalisation

offrent à ce mitan contrasté le lustre qui permet à la virtuosité de rutiler sans abandonner le projet de musique au profit de la seule esbrouffe. Un « Aveu »

  • « passionato » mais intériorisé,
  • en fa mineur mais tenté par le La bémol,
  • à deux temps mais prêt à élargir la mesure par l’agogique de l’interprétation ou le ritardando exigé par le compositeur,

suggère avec délicatesse, à travers ses contradictions, les ravissantes affres amoureuses.

  • Chromatisme disant sans dire,
  • deux-en-deux avançant sans avancer, et
  • reprise développant sans développer

semblent dessiner, piano, les contours ineffables – eh oui – du sentiment.

 

 

Ternaire et en Ré bémol, la « Promenade » qui lui succède et peut-être le prolonge est ici source de contrastes tranchés dans

  • les attaques,
  • les nuances et
  • les phrasés.

Irakly Avaliani ne croit pas à la sensiblerie mais n’est pas insensible aux sentiments schumanniens, plus souvent montagnes sismiques que lignes lisses tant qu’ils sont vivants. La micro « Pause » en La bémol est souvent lue comme une farce de Robert Schumann, pas forcément réputé pour son boute-en-trainisme, car elle est tout sauf reposante. Au contraire, elle exprime

  • une puissance agitée,
  • une envie d’en découdre et
  • la nécessité d’évacuer l’énergie accumulée pendant les deux derniers épisodes, plus calmes.

Ainsi le piano débaroule-t-il tout feu tout flammes dans la « Marche des Davidsbündler contre les Philistins », désignant le fight entre un club imaginaire de gens parfois réels mais pas toujours, ligués contre les bourgeois, c’est-à-dire ceux qui n’aiment pas la musique de Robert Schumann (je synthétise). Le pianiste en fait sentir la colère sans feinte subtilité. C’est évidemment malin car la transition vers la partie centrale est d’autant plus efficace.

  • À la brutalité succède la légèreté ;
  • à la linéarité de la baston et de la fanfaronnade se substituent les à-coups de la rage et de l’urgence
    • (« accelerando »,
    • « animato »,
    • « vivo ») ;
  • à l’uniformité du fortissimo répond une large palette d’intensités ainsi que de précieux crescendi.

Irakly Avaliani y associe

  • virtuosité digitale,
  • inventivité esthétique,
  • souci des détails et
  • variété des couleurs.

Une conclusion

  • bariolée,
  • frémissante ici,
  • brillante là, et
  • investie à souhait

pour parachever un Carnaval dont la présente exécution associe

  • une grande finesse,
  • une indispensable capacité à restituer les innombrables versatilités thymiques entre les épisodes mais aussi au sein même de nombreux mouvements, et
  • une compréhension profonde d’un compositeur

dont la bipolarité consubstantielle au narratif qui l’écrase parfois de nos jours n’est point, ici, pathologie ou caricature, mais fructueuse source d’étincelles et, par force, d’incendies qu’il n’est pas indécent, pour une fois, de contempler avec

  • joie,
  • gourmandise et
  • ravissement.

Et dire que, en guise de bis, un bonus nous attend : chic !


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Pour écouter gracieusement l’intégralité du disque, c’est ici.