Irakly Avaliani joue Robert Schumann (2009) – 3/8

admin

Première de couverture

 

Avec ses Pièces de fantaisie op. 12, Robert Schumann semble explorer non pas l’opposition entre ses deux facettes (l’exubérance et l’inclination à la rêverie) mais leurs interactions. Sous les doigts d’Irakly Avaliani, nous avons constaté que la caractérisation des états d’âme permettait rapidement

  • le brouillage des frontières les plus solides en apparence,
  • la contamination sporadique ou durable des uns par les autres, et
  • l’évocation d’une unité oxymorique entre Florestan et Eusebius, tissée de
    • la friction la plus vigoureuse,
    • la superposition imparfaite et
    • la découverte étonnée de similitudes.

« Traumes Wirren » (Songes troubles) prolonge cet éloge

  • de l’entre-deux,
  • du fluant,
  • du brouillage

par opposition à une dichotomie schizophrénique des humeurs – éloge qui résonne d’autant plus fort dans ce que Thomas Bauer a diagnostiqué comme une « époque de faible tolérance à l’ambiguïté » à laquelle elle préfère le clivage donc la communautarisation (in : Vers un monde univoque. Sur la perte d’ambiguïté et de diversité, trad. Christophe Lucchese, L’échappée, 2024, p. 60). Le mouvement, en Fa et « extrêmement vif », se révèle palpitant.

  • La célérité,
  • la légèreté et
  • l’art de détacher la dernière double croche des ensembles de quatre

emportent l’auditeur dans une cavalcade effrénée.

  • La manière de tuiler les modulations,
  • l’architecture des nuances et
  • la science des respirations, notamment dans le passage en Ré bémol

suscitent un sentiment

  • d’urgence plus que de confusion,
  • de course plus que de dégringolade,
  • de vivacité plus que de secousse immaîtrisée.

Tout se passe comme si Irakly Avaliani tâchait de rendre perceptible

  • l’éphémère,
  • l’instantané,
  • l’insaisissable,

sans que, in fine, l’on sache si ce mystère « extrêmement vif » illustre

  • un mouvement passionné,
  • une pulsion soudaine ou
  • l’espoir de saisir un rêve insensé qui nous devance toujours et s’évanouit au réveil.

 

 

« Ende vom Lied » (Épilogue) prolonge la tonalité de Fa « avec un certain humour. L’allure est décidée, presque martiale (il s’agirait pourtant d’une volée de cloches figurant le mariage avec Clara…), l’interprète faisant son miel des associations entre

  • accents et résonance suscitée par la pédale qu’exige le compositeur,
  • rythmicité, contretemps et légère détente pour faire respirer le bloc compact du son,
  • aspiration aux aigus et octaves descendantes,
  • puissance de la sonorité mais large spectre de forte.

On retrouve ainsi, suggérée, l’association sinon des contraires, du moins des différences. Un passage plus animé en Si bémol secoue à son tour la dynamique qui semblait bien établie. Cette fois, l’énergie provient essentiellement

  • de la tonicité du toucher,
  • de la répétition des notes,
  • de l’efficacité des deux en deux,
  • de l’installation d’un chromatisme têtu, et
  • du contraste tant des intensités que des registres.

On apprécie qu’Irakly Avaliani n’essaye pas de jouer joli, préférant garder le cap d’une force qui avance et semble autogénérer son dynamisme et ses cahots. Le texte lui donne raison : l’absence de préparation de la modulation finale ramenant au premier motif est une nouvelle secousse… qui prélude à un dernier soubresaut en guise de coda scellant gravement l’histoire dans le crépuscule d’un doute intérieur qui synthétise peut-être

  • la mort des certitudes,
  • l’impossibilité d’une affirmation définitive et, qui sait ?
  • la conscience de l’abyme qui nous attend par-delà la déflagration des tourments, contrariétés, soucis et joyeusetés, grands ou petits, qui pétillent nos vies (et hop).

 

 

En interlude avant le Carnaval op. 9, où nous attendent Florestan, Eusebius et quelques autres, Irakly Avaliani, toujours soucieux de construire ses disques, quoique monographiques, à la manière d’un récital, nous propose les Arabesques op. 18. Nous comptions les chroniquer ici mais, s’il s’agit bien d’un interlude, c’eût été une erreur : gardons à l’interlude sa fonction d’interlude, et examinons-le dans une prochaine notule spécifique donc interludique !


Pour écouter gracieusement l’intégralité du disque, c’est ici.