Irakly Avaliani joue Robert Schumann (2009) – 2/8

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Première de couverture

 

Le balancier ambigu qui va de Florestan à Eusebius dans cet opus 12 de Robert Schumann  pointe Eusebius après avoir désigné Florestan. Toutefois, « Grillen » (Chimères), à jouer « avec humour », suggère l’unité de ces deux opposés en prolongeant le Ré bémol de la pièce précédente. Nous voici en ternaire et en joie puisque

  • des accents et des contretemps pimpent le phrasé,
  • des octaves dégringolent joyeusement les dernières marches du registre grave, et
  • les fines nuances apportées par l’interprète ajoutent de l’élégance à la tonicité

avant qu’une première modulation ne réoriente le propos entre fa mineur et La majeur. Le retour du thème liminaire en Ré bémol n’est que le début de la suite (si, si) du tournoiement. Un passage en Sol bémol, agrémenté d’une mesure à deux temps, ne relance-t-il pas

  • la richesse,
  • l’inventivité et
  • la capacité de surprises qui contribue à faire vibrer la partition ?

L’embrassement dont nous parlions dans notre première chronique pour désigner l’intrication d’Eusebius et de Florestan s’illustre alors dans ce passage a priori plus méditatif mais qu’agrémentent, en réalité,

  • appogiatures bondissantes,
  • enjambements de mesure,
  • contrastes d’intensité et
  • variété d’attaques,

de sorte que l’on ne sait plus si c’est l’excitation qui trouble la mélancolie ou l’inverse. Irakly Avaliani ne cèle rien des charmes de la pièce :

  • la violence résolue des percussions,
  • l’élégance des piani et
  • la vivacité des changements d’atmosphères

sont ici présentés avec une crudité et une hauteur de vue remarquables.

 

 

« In der Nacht » (Dans la nuit), à deux temps et en fa mineur, associe

  • la couleur sombre des arpèges mineurs grondant à la basse,
  • l’aspiration à détacher une mélodie dans l’aigu qui ne s’élève que pour mieux retomber, et
  • la « passion » qu’exige l’indication placée par le compositeur en tête de partition.

Celle-ci se manifeste par un rythme oxymorique car

  • très régulier (les huit doubles croches par mesure le martèlent),
  • très contesté (la mélodie frotte ses triolets aux doubles binaires), et
  • très libre (çà et là se déploie à bon escient une agogique vibrante, parfois amplifiée par les nuances).

Devant un Schumann inspiré donc inspirant, l’auditeur oublie presque de s’ébaubir d’une exécution équilibrant parfaitement sensibilité et rigueur pour se laisser éblouir par

  • les modulations éphémères ou plus stables,
  • l’allant souple que rien ne semble pouvoir endiguer et qui sait pourtant, un instant, s’apaiser, ainsi que par
  • une joyeuse capacité à associer
    • virtuosité,
    • fougue et
    • musicalité.

Voilà bien une grande pièce interprétée avec un brio éclairé par une lecture intime des tensions qui électrisent cette nuit-là !

 

 

Le contraste le plus vif est réservé pour « Fabel », qui assume une tonalité d’Ut mais prolonge le 2/4 de « In der Nacht ». À une astuce près : ici, s’opposent frontalement passages lents et passages prompts. Ce nonobstant, doit-on parler

  • d’opposition,
  • d’entrelacement (d’embrassement qui embrase, donc) ou
  • de mise en miroir ?

Après tout, la rapidité ne s’étalonne qu’à l’aune de la lenteur… de même que la difficulté technique n’est pas forcément dans le presto ou uniquement dans le presto. Ainsi de ces accords de dixième réservant aux grandes paluches l’interprétation de l’épisode ! Irakly Avaliani ne se trompe pas de propos en relativisant presque l’incompatibilité apparente des caractères grâce à sa spectaculaire palette

  • de nuances,
  • des touchers et
  • des choix d’interprétation.

En effet, « Fabel » offre une grande marge de manœuvre au pianiste puisque

  • les tempi ne sont pas chiffrés ;
  • les points d’orgue exigent de penser le son plus que de compter les beats ;
  • l’agogique et les respirations doivent accompagner le long passage rapide placé au centre de l’œuvre.

 

 

Le musicien en use, osant çà un decrescendo pour accompagner le ralentissement exigé par le compositeur alors que le passage est généralement marqué par un crescendo, ou là en risquant une accélération progressive fort à propos quand le strict respect de la partition aurait conduit à un contraste plus brutal et, curieusement, moins approprié. Ainsi ressentons-nous les différentes formes d’embrassements-embrasements qui alimentent la fantaisie des pièces et font miroiter la diversité des interactions possibles entre Florestan et Eusebius. Rendez-vous dans une prochaine chronique pour la fin du cycle… et un bonus !


Pour écouter gracieusement l’intégralité du disque, c’est ici.