Irakly Avaliani joue Piotr Ilitch Tchaïkovsky (Intégral) – 3/3

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Quatrième du disque

 

En février 1886, Piotr Ilitch Tchaïkovsky honore une commande qui prend la forme d’une rêverie sous-titrée « Scène rustique russe ». C’est sa célèbre Dumka en ut mineur que choisit Irakly Avaliani afin de compléter le programme ouvert par Les Saisons. L’andantino cantabile s’ouvre sur un prélude paisible.

  • Arpèges tranquilles,
  • économie de notes et de décibels, mais aussi
  • exposition de motifs plus rythmiques que mélodiques (noire pointée + deux doubles descendantes, croche pointée + deux triples en guise de faux mordant)

distillent une atmosphère retenue dont l’interprète rend l’énigmaticité sans surjouer le mystère ou le suspense suffisamment exprimé par le texte

  • (répétition des mêmes brèves séries descendantes,
  • allègement puis extinction de l’accompagnement,
  • allongement de la mesure passant provisoirement de 4/4 en 3/2).

Le thème s’affirme au ténor, en sandwich entre le clapotement obstiné de la main droite et l’harmonisation sans fanfreluche du reste de la main gauche. L’enrichissement du propos passe par

  • l’investissement des différents registres du clavier,
  • la circulation du thème du grave à l’aigu, et
  • la suspension joyeusement frustrante du discours dans le suraigu.

 

 

« Con anima », la section suivante frotte entre eux les silex

  • d’un staccato décidé,
  • d’ornements légers et de triples croches-tremplins pour le thème, efficaces comme des lanceurs sur un porte-avion, ainsi que
  • d’accords que le pianiste parvient à rendre pesante (c’est la rusticité et la partition qui l’exigent) sans les enduire d’une couche pataudo-lourdaude qui serait topique et superfétatoire.

Sous des doigts caméléons, l’auditeur se réjouit des

  • contretemps,
  • accélérateurs
    • (traits,
    • rythmes pointés,
    • sextolets…) et
  • suspensions presque rhapsodiques

 qui égayent la rêverie.

  • Modulations,
  • changements de registres et
  • cadence virtuose

conduisent à un « moderato con fuoco » se gobergeant

  • d’octaves,
  • de jaillissements et
  • d’échos.

En émerge un andante tout en triples croches. Sa fougue déborde tant que, même « meno mosso », l’interprète brille par sa capacité à

  • faire de la musique plutôt que du bruit,
  • captiver l’auditeur par sa capacité à conduire l’écoute plutôt qu’à chercher à impressionner,
  • rendre la fluidité de la rêverie plutôt qu’à la saucissonner pour forcer les contrastes.

Le retour au calme rend sa paix au rêveur en revenant

  • au silence,
  • au premier motif et
  • aux nuances médium

à peine troublées par le double fortissimo final, surprenant comme un réveil voire réveillant par surprise le mélomane qui aurait succombé aux charmes de la somnolence.

 

 

En guise de bis, Irakly Avaliani choisit la sixième pièce de l’opus 51 : l’affriolante « Valse sentimentale » en La bémol, dont le compositeur prend soin de préciser qu’elle se doit jouer au « tempo di valse », bref. Expressivité et douceur sont exigées et au rendez-vous grâce à

  • la délicatesse du toucher (mélodie et accompagnement),
  • la subtilité de l’agogique (l’élargissement ou le resserrement de la mesure exigeant
    • modération pour conserver l’efficacité du procédé,
    • à-propos stylistique pour éviter le sentimentalisme Stabylo et, par contraste,
    • régularité du beat de valse) ainsi qu’à
  • la précision des nuances.

Le « tranquillo » central ne l’est pas longtemps. Le voici secoué par

  • les octaves (d’abord à gauche puis à droite),
  • l’élargissement des hauteurs (en clair, tandis que grondent les graves jusqu’à présent discrets, apparaissent des notes aiguës jamais ou rarement ouïes) et
  • l’accélération du tempo dans un « più presto » énergisant.

Irakly Avaliani excelle à tuiler ce tourment avec l’apaisement qui accompagne le retour de la section liminaire. Ainsi apprécie-t-on, tout au long d’un disque qui semble comme synthétisé dans ce bis moins spectaculaire qu’intense, sa capacité

  • à caractériser chaque atmosphère,
  • à les assembler de façon multiple
    • (glissement de l’un à l’autre,
    • collage,
    • frottement disjonctif – si, si – quand les mains expriment deux intentions différentes) voire
  • à les associer par le soin apporté

    • à la disposition des nuances,
    • au travail sur le rythme,
    • au choix des touchers et
    • à la construction des phrasés.

De la belle ouvrage qui donne envie, dans une prochaine notice, de se pencher sur un autre jalon de la discographie de l’artiste – probablement son disque Johann Sebastian Bach. C’est donc fini et à suivre cependant !


Pour écouter tout le disque gratuitement, c’est par exemple ici.