Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 4/4
Dernier volet de la tétralogie Bach proposée par Irakly Avaliani : les prélude et fugue en si mineur BWV 869 qui couronnent le premier – non le « 1et » comme le propose le sommaire intérieur de la réédition de 2011 – livre du Clavier bien tempéré. Il s’agit d’un diptyque somptueux, qui laisse clairement la place à l’interprétation puisque certaines versions torchent l’histoire en 10′ (on connaît la punchline de Jo Privat, après avoir écouté un jeune virtuose accordéoniste venu lui demander des conseils : « C’est très impressionnant, tu conduis vite, mais c’est dommage car tu n’as pas pris le temps de regarder le paysage ») quand la présente proposition frôle les 17’30. La controverse est banale et insoluble, Bach n’ayant jamais assigné un tempo précis à ses œuvres, se contentant d’indications sciemment floues – ici : andante puis largo. Ce qui est moins banal est
- la richesse,
- la liberté, presque
- la polysémie,
que cette fausse négligence octroie à l’interprète. À lui de construire sa vision de l’œuvre et de convaincre l’auditeur que sa conception se tient et donne à entendre des aspects spécifiques de la pièce.
En l’espèce, le prélude ne tergiverse point. Il marche, comme son indication de tempo l’exige, bien aidé par une walking bass d’une légèreté permise par le Fazioli réglé par Jean-Michel Daudon et sublimement captée par Joël Perrot. Il y a tout ce qu’il faut :
- l’allant,
- la sérénité et
- l’étagement des intensités qui distingue avec une netteté impressionnante les trois strates de la partition
- (mélodie,
- harmonie,
- basse).
Le texte est énoncé avec
- une précision scrupuleuse,
- un phrasé harmonieux et, surtout,
- une simplicité saisissante
qui rend d’autant plus fascinants
- les chromatismes hypnotisant,
- les frottements résolus (l’enchaînement Si / fa dièse mineur à la reprise de la seconde section !) et
- les voltes modulantes,
captivant l’auditeur, fermement convaincu à l’issue de cette écoute que ce tempo est le bon tempo – idée stupide, on l’a dit, mais qui traduit à sa façon la performance artistique de l’interprète…
La fugue à quatre voix est annoncée largo ; et, en effet, on ne lâche pas les chevaux, comme disait la pelote, au contraire. À la virtuosité d’esbroufe, Irakly Avaliani substitue une virtuosité de la retenue, où
- le microdétail l’emporte sur le panoramique,
- le choix du toucher sur la précipitation, et,
- sur l’impression générale la construction spécifique du son
- (intensités,
- pédalisation,
- rapport entre les voix).
Bach a choisi de clore son recueil sur une pièce où les difficultés
- technique,
- intellectuelle et
- artistique
consistent, pour le claviériste, à transformer en musique envoûtante une quadriphonie rebelle aux effets waouh. Dans le présent disque, son porte-voix fait son miel d’une telle option avec un jeu dont
- la clarté confine à la grâce,
- la science harmonique à l’élégance et
- l’imperturbable humilité devant le génie du compositeur à un hommage de grande classe.
Se dégage de cette interprétation une évidence loin des problématiques mondaines qui nous happent d’ordinaire. Même les règles si strictes et rutilantes de la fugue semblent se dissoudre dans un flux qui fait sens par lui-même, indépendamment des contraintes mafflues qu’il lui faut respecter. A posteriori, c’est fort impressionnant. Dans l’instant, c’est juste
- saisissant,
- puissant et
- beau.
Et dire qu’il nous reste encore moult disques d’Irakly Avaliani à découvrir !
Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.
Pour retrouver les précédents épisodes de la chronique Bach, cliquer sur
Fantaisie chromatique et fugue,
Concerto dans le goût italien et
Deuxième partita.