Irakly Avaliani joue Johann Sebastian Bach (L’art du toucher) – 3/4
Sans doute soucieux de diversité, puisque c’est dans l’unité du multiple qu’apparaît la patte d’un compositeur, Irakly Avaliani choisit, après les fantaisie et fugue BWV 903 puis le concerto dans le goût italien BWV 971, de nous proposer la Deuxième partita en ut mineur BWV 926, composée de six mouvements ici captés en une vingtaine de minutes (à titre de comparaison András Schiff évacuait le problème en à peine plus d’un quart d’heure).
La sinfonia s’ouvre sur un segment bigoût, à la fois grave et adagio. On en apprécie le mix’n’match entre
- solennité,
- silence, et
- équilibre dosant percussivité, résonance pédalisée et silence.
L’andante de la symphonie surgit avec d’autant plus
- d’élégance,
- de fraîcheur et
- de délicatesse.
La mélodie festonne sur une walking bass très jazzy.
- L’art du chromatisme alla JSB,
- la finesse des rares ornements,
- le groove des questions-réponses et des contretemps
déploient une méditation hypnotisante qui se laisse soudain déborder par une embardée ternaire.
- La légèreté,
- la tonicité et
- l’habileté de l’accentuation
font de cette troisième partie un moment roboratif dont la solidité digitale de l’interprète rend avec habileté la musicalité. À son tour, l’allemande frémit d’ambiguïté :
- dansante, elle est cependant calée sur un deux temps inébranlable ;
- établissant un dialogue aussi clair qu’efficace entre les deux pattes du pianiste, elle privilégie cependant le rôle prépondérant de la main droite en ramenant çà et là la main gauche à son rôle d’accompagnatrice ;
- inexorable, elle s’offre cependant les sursauts qui, grâce à la science du phrasé d’Irkaly Avaliani, contribuent à son charme
- (ornements,
- triples croches de relance,
- deux en deux sautillants…).
La courante ternaire sait être
- prompte sans être brouillon,
- énergique sans être vibrionnante,
- cohérente sans être monolithique grâce, notamment, aux nuances choisies par le pianiste lors des reprises.
La sarabande, forcément ternaire elle aussi, prend le contrepied du mouvement qui la précède. Elle fusionne
- un tempo posé avec un allant serti dans la plus convaincante régularité,
- une rigueur métronomique avec une sensibilité qu’un toucher incroyable rend presque palpable, et
- la clarté du discours avec le soin gracieux d’éviter tout surlignement explicitateur, pédagogisme pédant ou sous-titrage prenant les auditeurs pour des lapins d’une semaine et demie.
Le bref rondeau, toujours ternaire (après
- trois blanches par mesure puis
- trois noires par mesure, voici que la partition concentre
- trois croches par mesure),
sait
- bondir (les staccati !),
- jaillir (l’impulsion donnée par les sauts de quinte !), et
- rendre ravissants les détails grâce à la précision de l’exécution (la très fine différenciation entre la durée d’une croche détachée et le surgissement d’une double après un quart de soupir !).
Le capriccio final revient au battement binaire. Il concentre les points d’attraction goûtés lors des cinq épisodes antérieurs, notamment
- les contradictions qui rendent vivant un contenu a priori engoncé dans des formes préétablies et sagement respectées
- (solennité et grâce,
- vigueur et légèreté,
- immutabilité du tempo et sensualité des nuances),
- la palette de touchers qui transforme un débit de notes en musique,
- l’excellence du phrasé qui
- éclaire le propos,
- galbe une dynamique et
- donne du souffle à cette épopée en doubles croches ininterrompues, ainsi que
- le parfait étagement des intensités rendant la polyphonie à trois voix
- foisonnante,
- gourmande et cependant toujours
- claire et distincte.
Une telle réussite, magnifiée par la prise de son nette mais point froide de Joël Perrot, réjouit d’autant plus qu’un dernier diptyque nous attend pour l’ultime notule, à venir, autour de ce disque jusqu’ici plus qu’impeccable : passionnant.
À suivre !
Pour écouter l’album en intégralité, c’est par exemple ici.