Irakly Avaliani joue Frédéric Chopin – 3/6

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Première du disque. Visuel : Masha S.

 

Après la barcarolle op. 60 et les trois nocturnes tubesques, faute de légitimité critique bien établie, on est allé quérir quelques épithètes de bon goût chez les Sachants pour évoquer la Polonaise-Fantaisie en La bémol de Frédéric Chopin, dont le storytelling rappelle qu’elle a été composée peu après que le lover a brisé là avec George Sand. “Dosée, marmoréenne, tendre et intrépide” seraient son horizon idéal d’après les Experts de France Musique. Souvent emballée sur YouTube en douze ou treize minutes, elle dépasse le quart d’heure sous les doigts d’Irakly Avaliani (même si la quatrième de couverture s’emballe en l’annonçant à 16’41 au lieu de 15’41 au compteur). Comme on n’a pas trop d’inquiétude sur la virtuosité du zozo, on se réjouit de passer un peu plus de temps que prévu en sa compagnie musicale.
L’allegro maestoso associe

  • solennité des accents graves,
  • onirisme des arpèges aspirés par le suragiu et
  • mystère d’un prélude posé en apparence plus qu’en tonalité.

S’y substitue un “tempo giusto” a priori tonique et solaire. Le pianiste en fait entendre

  • l’apparente gaieté,
  • les tensions (changements
    • d’intensité,
    • de tempo et
    • d’agogique) et
  • l’allant empreint de contradictions
    • (octaves potentiellement bondissantes à main gauche,
    • chromatismes descendants,
    • frictions rythmiques associant
      • contretemps,
      • associations, oppositions et complémentarité entre binaire et ternaire, ainsi que
      • débordements par l’élargissement de la mesure par
        • la pédalisation,
        • les points d’orgue sur les respirations et
        • l’agogique).

Le discours hésite entre

  • suspensions,
  • emportements et
  • tonalités.

Le motif des quatre notes répétées

  • nourrit,
  • unifie et
  • relance

un développement plus rhapsodique que prévisible. Irakly Avaliani en rend les oscillations de couleurs par

  • un toucher protéiforme,
  • une habile organisation d’une mesure assez libre pour associer çà 3/4 et 9/6, et
  • un équilibre global offrant, selon la circonstance d’accompagner les changements (par exemple de tonalité) et de laisser l’auditeur s’en étonner (certaines modulations ne sont pas piquées des hannetons, comme on disait quand il y avait des hannetons), selon que la note de bascule – quasiment la blue note – est valorisée ou non.

Les tourments de l’inspiration ne sont donc pas exprimés par

  • l’usage du forte (rare chez cet interprète),
  • la mise en avant du brio quand les notes se bousculent ou
  • les stratégies Stabylo bien connues
    • (contrastes,
    • élargissements appuyés façon wagon de grand huit avant une descente vertigineuse, voire
    • précipitations).

Le musicien préfère la musicalité à la frime. On se laisse d’autant mieux saisir par Chopin qu’Avaliani ne fait pas le beau : il fait du beau ; et la polonaise-fantaisie profite à plein

  • de son art du ralenti frappant d’évidence,
  • de sa science de la progression nuancée, et
  • de sa conception holistique du temps, qui permet au son
    • de respirer,
    • de résonner,
    • de se bousculer ou
    • de réguler métronomiquement le texte.

 

 

Aussi le passage en Si et Si bémol sonne-t-il avec

  • l’intériorité pudique,
  • la gravité lumineuse et
  • la profondeur équivoque

qui lui conviennent. Sans désamorcer toute surprise, le porte-voix du compositeur nous guide dans le labyrinthe

  • tonal,
  • rythmique (un 6/8 éphémère surgit là à la main gauche comme pour explorer encore une autre voie disponible dans la limite du 3/4) et
  • expressif

d’une partition tournoyante.

  • L’élégance de l’arythmie
    • (régularité / agogique,
    • binaire / ternaire,
    • mesuré / trille),
  • la fulgurance des nuances,
  • l’émouvante pertinence des attaques

ne peut que bouleverser celui qui, au lieu d’entendre, écoute. Parfois, des curieux me demandent si, avant de dire que c’est wow, j’ai ouï les versions de leurs poulains préférés. Franchement, qu’est-ce qu’on s’en tampiponne ? La musique n’est pas concurrence, elle est connexion entre

  • un texte,
  • un interprète et
  • un auditeur.

Ici, ce que je veux raconter, ce n’est pas le critère de perfection consensuelle, c’est pourquoi je pense que les curieux auraient profit personnel à verser (ou non, oui en l’espèce) une oreille dans cette histoire.

  • Ni payé par l’attaché de presse,
  • ni rémunéré par l’interprète,
  • ni encouragé par un label (certains en pourraient témoigner),

je raconte des histoires ; qui s’y connecte les suive et, surtout, se risque à glisser une esgourde sur le travail de l’artiste pour vérifier si lui aussi connecte. En l’espèce,

  • récurrences,
  • remotivations du 3/4 en 18/8 puis 9/4 à dextre avec rythme pointé à gauche,
  • fulgurances modulantes

sont supérieurement menées.

  • Fougue intérieure,
  • virtuosité extérieure,
  • émotion communiquée grâce à l’impossible et décevante osmose entre binaire et ternaire,
  • émouvante et vaine – à l’aune humaine –  espérance de l’accord parfait final

animent cette version. Peut-être pas

  • marmoréenne et
  • tendre et
  • intrépide et
  • dosée et
  • je sais pas ce qu’il faut pour francemusiquer,

mais

  • pensée,
  • propulsée,
  • intelligente et
  • émouvante.

Bon, d’accord, pour les mazurkas qui nous attendent, on ne cherchera pas la solution critique ab initio. Mais, franchement, pour un tel monument, fallait tenter de regarder le “Profil / Hatier” de l’œuvre, non ?

 

À suivre…


Pour écouter l’intégralité du disque, c’est par exemple ici.