Irakly Avaliani joue Franz Schubert (Soupir) – 2/2

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Première du disque feat. Sky is the limit (détail) de Masha Schmidt

 

Après l’allegro et l’andante, deux mouvements concluront notre voyage dans la dix-septième sonate de Franz Schubert telle qu’interprétée par Irakly Avaliani à l’été 2022, devant les micros de Joël Perrot : un scherzo (allegro vivace) et un rondo (allegro moderato) de dix minutes chacun.
Le scherzo est ternaire par sa mesure et par son écriture puisque, après avoir opposé la solidité fortissimo voire sforzendo d’accords répétés et la délicatesse piano d’un duo dans les registres médium et aigu, il propose une synthèse presque dansante entre les deux pistes. Demeure cependant une tension dont témoignent

  • les fluctuations tonales voire modales,
  • le surgissement d’accords à l’unisson ou en progression inversée, et
  • les grondements sporadiques de la main gauche.

 

 

Avec ses accords répétés mais legato, le trio en Sol propose une autre forme de fusion entre

  • mélodie,
  • harmonie et
  • tonicité.

L’interprète soigne particulièrement les contradictions de la partition, exigeant à la fois

  • répétition et ligature,
  • régularité d’un propos balisé rythmiquement et à-coups
    • (respirations,
    • rares blanches suspendant le débit de noires,
    • point d’orgue avant la résolution),
  • miroitement harmonique tuilé (en presque clair : les accords éclairent de différentes façons la ligne mélodique en évoluant doucement) et sforzendi + fortissimi plaquant des modulations inattendues (de Ré à Ut à Mi bémol à si bémol mineur, etc.).

La recette reste mystérieuse, mais la tactique est claire comme eau de roche (exception faite de l’eau minérale traitée par Nestlé, mais c’est une autre histoire). Irakly Avaliani travaille dans trois directions :

  • l’horizontalité des progressions sur le temps long,
  • la verticalité des attaques percussives, et
  • la profondeur qui garde la tonicité des accords en sourdine mais polarise l’écoute par un aigu plus audible que l’accompagnement harmonique.

En repassant en Ré, le trio bascule vers la réexposition du scherzo. L’auditeur, dont l’oreille est désormais préparée, peut mieux goûter les trois pôles que sont

  • les segments mélodiques,
  • les parties toniques et
  • les séquences fusionnées,

alors agrémentées par

  • une souplesse de tempo,
  • une richesse de nuances et
  • un agencement des contrastes clair donc délectable.

 

 

Le rondo, allegro moderato, revient à une battue binaire et à la tonalité nominale de Ré. C’est la fête

  • du staccato,
  • du legato et
  • du rebondissement digital.

Sous l’apparente simplicité d’un ton badin, l’énoncé du thème use des astuces de développement confortablement coutumières et centrées sur la complémentarité entre

  • rythme binaire pointé et ternaire,
  • thème à droite et reprise à la main gauche,
  • motif majeur et petit aperçu de sa traduction en mineur.

S’ensuit manière de double qui accentue le jeu entre

  • doubles croches (binaires) et triolets (ternaires),
  • duo distinguant thème à droite versus accompagnement à gauche et unissons toniques rapprochant les deux mains,
  • légèreté du thème et surgissement d’accords joués sforzendo.

On se délecte de la manière dont le pianiste parvient à

  • caractériser chaque nuance,
  • passer d’une teinte à l’autre et
  • mélanger les couleurs quand la partition l’exige,

d’autant qu’il est supérieurement servi par une prise de son remarquable et un très beau Fazioli accordé par Jean-Michel Daudon.

  • Le swing des temps forts,
  • le plaisir du motorisme confié aux doubles croches et
  • l’échange de rôle entre les deux mains

captivent. Ajoutent au charme

  • la variation des registres,
  • la rigueur de l’ostinato et
  • l’élégance découpée mais jamais guindée du toucher.

Après la réexposition du thème, un passage “un poco più lento” en Sol offre comme une respiration avec mélodie intégrée à l’harmonisation par la main droite et aimable bariolage de la main gauche. Pourtant, à nouveau, une houle modulante secoue ce havre de paix. Irakly Avaliani rend subtilement la force du ressac grâce à

  • une pédalisation minimale,
  • une agogique adaptée et
  • une science des variations d’intensité d’une délicatesse saisissante.

S’il semble que tous les points de montage ne soient pas parfaits (ainsi du léger sursaut de 8’09), ces défauts techniques sont assez microscopiques pour donner de la chair au disque et laisser presque imaginer le travail démentiel qu’il faut pour

  • jouer,
  • enregistrer et
  • produire

un tel travail dont la longue et magnifique coda donne pourtant une impression presque grisante

  • de facilité spontanée,
  • de fluidité naturelle et
  • de légèreté presque enfantine.

Nous sommes conquis car

  • la solidité des doigts,
  • l’équilibre des parties et
  • l’allant inépuisable de l’interprète, dans
    • la célérité,
    • la retenue et
    • la percussivité

parent cette version d’une aura très séduisante. Nous aurons tantôt l’occasion de poursuivre notre exploration de la discographie du pianiste. Hâte d’en partager les prochains éclats !


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