Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 2 (L’art du toucher) – 3/4
Composées en 1893, les six pièces pour piano op. 118 associent quatre intermezzi, une ballade et une romance. Le premier intermède, un allegro « non assai ma molto appassionato » est officiellement en la mineur mais le masque bien. Irakly Avaliani en rend l’énergie grâce
- à la clarté des octaves pointillant – et hop – une mélodie,
- au grondement des croches rugueuses,
- à la maîtrise d’un tempo tempétueux, et
- à l’alternance des nuances éclairant à la fois le discours et les reprises jusqu’à la tierce picarde conclusive.
Le deuxième intermezzo semble rebondir sur ce La conclusif, mais change l’esprit (andante teneramente, cette fois) et la métrique (ternaire contre binaire).
- La qualité du toucher profite autant au lead qu’à l’accompagnement ;
- la précision de la pédalisation contribue à créer une atmosphère très spécifique ; et
- le sens du tempo, entre rigueur et souplesse épousant la logique musicale, emporte à la fois
- l’adhésion,
- la satisfaction et
- l’intérêt de l’auditeur.
Avec ses triolets à la main gauche, la section centrale ajoute du ternaire au ternaire, en le faisant frotter contre un énoncé binaire (deux croches contre un triolet). Le pianiste transforme cet entre-deux en quelque sorte intermédiaire en un froufroutement
- limpide et non insipide,
- diaphane et non confite en gnangnantise,
- saisissante et non réduite à une mignonnerie bien troussée.
La tentation de la modulation marque la bascule vers la seconde partie de la pièce : après le rappel du deuxième motif revient le premier, parcouru de frissons
- (mutations du tempo,
- miroitement des nuances et
- changements de caractère dont Irakly Avaliani sait rendre autant la profonde continuité que les délicieuses ruptures).
La ballade en sol mineur, allegro energico, revient à une battue à deux temps.
- Tonicité de la main droite,
- assurance de la basse,
- fermeté des nuances forte :
on se délecte jusqu’à la transition vers la partie en Si qui contraste par sa délicatesse heureusement animée par le grondement arpégé de la main gauche. Arrivé à ce point du parcours, il nous faut faire demi-tour. Aussi repassons-nous par le paysage revigorant croisé au début de la promenade. L’énergie et le beau crescendo que nous réserve l’interprète ragaillardissent ; la fin una corda surprend et séduit.
L’intermède en fa mineur est un allegretto un poco agitato. Il associe le binaire de la battue à deux temps et le ternaire des triolets qui l’accompagnent. Iralkly Avaliani fait son miel de cette tension mutante en construisant la finesse
- du toucher,
- de l’agogique,
- des nuances et
- de la construction d’un récit ABA.
On apprécie l’impressionnant tuilage entre les phases
- d’attente,
- de friction et
- de rugissement
jusqu’à l’aboutissement avec la provocante tierce picarde. La romance en Fa poursuit le dialogue entre binaire et ternaire en affichant une mesure à 6/4, associant deux mesures ternaires (3/4 + 3/4) de façon, donc, binaire. C’est bien l’histoire de la pièce, hésitant – eût dit le versificateur – entre
- le balancement,
- le sursaut et
- l’enjambement.
La modulation « allegretto grazioso » en Ré ajoute de la liberté dans l’air musical.
- Appogiatures,
- trilles,
- triolets
se balancent sur une fausse barcarolle fomentée par la main gauche, avant que le thème initial n’y mette bon ordre. Romance, oui, mais point trop n’en faut, m’enfin ! Les six pièces s’achèvent sur le plus long intermède au programme, inscrit dans cette saleté de tonalité de mi bémol mineur. Au programme, ambiance doublement ternaire (3/8 à la mesure, sextolets de triples croches à gauche) et contraste entre allant et tempo officiellement « andante, largo e mesto ». Irakly Avaliani y trouve ressource pour fomenter une cohérence de jeu associant
- certitude,
- mystère et
- magie des permutations de registres.
Les divagations de la main gauche restent longtemps dans une teinte sépia du plus bel effet, avec
- souplesse de la diction,
- exactitude de l’énonciation et
- certitude de la direction que l’ensemble prend.
Pourtant, la secousse de la partie centrale remet en cause toutes les certitudes mignardes. L’interprète fait sonner les doubles octaves avec une vigueur qui prend toute sa force quand elle s’efface dans le retour du sépia liminaire. Magistral et parfait pour donner envie d’ouïr au plus vite l’opus 119, qui sera l’objet d’une prochaine notule – ô teasing ! quand tu nous tiens !
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Ici, l’opus 116.
Là, l’opus 117.