Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 1, L’art du toucher – 8/10
Un dernier binôme pour clore l’opus 76 de Johannes Brahms : un intermède et un caprice. Le premier nommé n’est certes pas une mince affaire à jouer puisqu’il est « moderato » et « semplice ». A priori,
- peu de virtuosité surhumaine à attendre,
- peu d’effets wow soufflants à craindre pour les permanentes violettes des mamies de cinquante ans émues car elles viennent d’apprendre que l’adjointe à la culture et aux finances de madame la maire est elle aussi présente dans la salle des fêtes du casino (si, c’est celle qui nous a serré la main, l’autre jour,
- peu de traits mitraillettes qui font s’entreregarder les spectateurs sur l’air du « mazette ! le zigue l’a bien descendu ».
Même la tonalité de la mineur est accessible au premier amateur de lignes de gling et de glang, c’est dire… Pour capter les brava du mélomane, il va donc falloir chercher ailleurs, respectant ainsi la division schématique du recueil entre intermèdes plutôt paisibles et caprices potentiellement survoltés. Le prélude annonce un esprit balancé
- (demi-mesure pour commencer qui lance le propos,
- rythme pointé,
- contre-temps)
que ne contredit pas le premier motif, tout en lui ajoutant une autre caractéristique : la répétition entêtante. La tentation d’un écart
- (modulation,
- marche chromatique descendante,
- dilatation de la mesure qui passe de C barré à 3/2)
fait presque trembler le bourgeois à lorgnon qui sommeille en nous et se réveille parfois, mais il peut retourner ronfler car force reste à l’ordre qui se rétablit – la reprise est donc moins inquiétante pour les amateurs
- de la rigueur,
- des rangs d’oignon et
- de la paix des ménages.
Irakly Avaliani parvient néanmoins à captiver l’oreille en sachant éclairer l’intermède avec
- un phrasé subtil,
- une note légèrement plus sonore,
- une respiration sciemment un rien trop longue
que compense une parfaite maîtrise du tempo par ailleurs. La coda confirme le charme d’une œuvre associant
- plaisir presque lascif du swing,
- gourmandise régressive de la répétition et
- gracilité juvénile des nuances médianes
au pays desquelles l’interprète a sans doute été promu citoyen d’honneur.
« Grazioso ed un poco vivace », le caprice final risque une mesure à 6/4 et une écriture opposant deux débiteuses de croches : la main gauche et la main droite. Johannes Brahms s’empare du ternaire non point pour bercer l’auditeur mais pour le secouer.
- Suspensions,
- relances pointées,
- accents sur les temps faibles et
- escamotage des premiers temps grâce aux notes liées
figurent manière de halètement et permettent à l’interprète de nous saisir dans ses rets avec une efficacité digne d’un pêcheur de haute volée.
- Mélodie en pointillés,
- riche instabilité harmonique et
- contrastes d’intensité
construisent le mystère captivant de cette course-poursuite moins vertigineuse que vaguement inquiétante.
- L’élargissement des registres convoqués,
- les accélérations
- (densification du nombre de notes par mesure,
- accords de dm7 traversant le clavier vers le grave,
- tempo hâté sous l’effet d’un moment « appassionato »…) et
- les choix de nuances, portés par de grands crescendi et decrescendi et par des piani subito
font bouillonner le clavier. Néanmoins, le petit plus avalianique pourrait bien résider dans sa capacité à être chou et chèvre presque simultanément. Son jeu sait être incandescent puis, comme si de rien n’était, s’apaiser et n’être plus qu’un peu de vent sur un voile de tulle légèrement froissé, à l’instar de ce caprice censé être en Ut-mais-c’est-plus-compliqué. De même, on s’ébaubit devant le mélange entre
- respect du texte,
- liberté et
- musicalité,
qui sont sans doute trois synonymes ou presque au top niveau de la musique. C’est du moins ce que semble subodorer Irakly Avaliani qui nous propose pour conclure son premier volume Brahms intégral les deux rhapsodies opus 79. Oh surprise, elles feront l’objet des prochaines chroniques sur le sujet.
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