Irakly Avaliani, Intégrale Brahms volume 1, L’art du toucher – 6/10
Si les huit pièces pour piano op. 76 de Johannes Brahms formaient un poème, ses huit épisodes seraient des vers aux rimes tour à tour plates (AABB) puis embrassées (ABBA), avec
- A désignant les caprices et
- B les intermèdes.
Nous voici arrivé à la seconde partie des rimes plates, donc aux deux premiers intermezzi dont le premier s’avance en La bémol, affublé d’indications presque précises : il doit être à la fois gracieux et expressif.
Pour ce faire, le compositeur munit l’interprète d’une mallette à outils dont il doit savoir se servir. Parmi ces ustensiles,
- le staccato de l’accompagnement,
- les arpèges allégeant certains intervalles et accords,
- des contretemps rebondissants,
- une concentration du propos sur la droite du clavier, plus naturellement froufroutante que la section grave, et
- des nuances contenues aux alentours du piano.
Assurément, Irakly Avaliani est un bon bricoleur brahmsologique, d’autant que sa pédalisation, enveloppante mais aérée comme l’exige la partition, caresse l’oreille. Ensuite, dans une partie B, l’air de rien, le rythme s’enrichit :
- triolets dans une mesure binaire,
- contretemps et
- appogiatures mordant sur la mesure pour lancer les temps forts
contribuent à développer le propos. Enfin, dans une brève reprise des deux parties,
- l’élargissement du spectre des aigus,
- manière de synthèse et
- mesure alanguie cédant au ternaire
enrubannent cette virgule musicale glissée avec délicatesse par les doigts d’Irakly Avaliani.
Le deuxième intermède monte d’un ton et se retrouve en Si bémol majeur, toujours « grazioso » mais, cette fois, « allegretto ». Ici, le balancement et la fluidité s’imposent grâce
- au partage des rôles (lead au soprano, accompagnement aux autres voix),
- à la collaboration entre la pédale d’alto à contretemps et le swing de la main gauche qu’elle complète, et
- à l’hésitation tonale qui lance le morceau sur un F7 et s’amuse ensuite à masquer la dominante de Si bémol en multipliant les fausses pistes
- (si et mi naturels,
- sol dièse / la bémol,
- pédale de sol à la basse laissant croire à une tonalité de sol mineur).
Dans cet étrange confort inconfortable (confort car très mélodieux, inconfortable car joliment instable), on goûte
- la finesse du legato,
- la netteté de la mécanique au sein de la mesure et
- l’art d’Irakly Avaliani d’habiter la douceur pianistique en appliquant
- nuances appropriées,
- agogique habile car contenue, et
- ductilité des piani, si l’on entend par « ductilité », terme chéri des critiques musicaux parce que c’est pas très clair ce qu’est-ce que ça veut dire, la capacité d’une matière à résister à l’étirement, en l’espèce
- à changer de couleur sans changer de nature,
- à paraître cohérente sans sembler stagnante, et
- à garder la douceur d’une surface étale sans se soustraire au charme des irisations.
Nulle modulation ne parvient à perturber le calme de l’intermède. Mieux, celle qui ouvre la dernière partie semble entretenir cet apaisement joyeux en nourrissant la simplicité de l’œuvre ou, plutôt, la rassérénante apparence de simplicité qui sourd de la maîtrise du clavier par l’interprète
- (égalité de toucher sur l’ensemble des registres,
- conception d’ensemble du phrasé et non volonté didactique d’éclairer chaque partie,
- capacité presque magique de faire sonner la mélodie sans étouffer l’accompagnement au swing indispensable).
Vivement les rimes embrassées que nous commencerons d’explorer lors du prochain épisode !
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